Les quatre derniers siècles d'histoire de France vus à travers le prisme de Versailles, des fastes du grand Roi, à l'envers du décor bien peu ragoûtant, aux savantes combinaisons des congrès des IIIe et IVe Républiques, en passant par les éruptions révolutionnaires, victorieuse en 1789 et défaite dans le sang en 1871, par un auteur qui mène très bien son récit, de manière alerte, érudite et non dépourvue d'humour, même si la minutieuse description de la succession des aménagements et des pièces de mobilier disparues et, pour certaines, retrouvées, peu parfois lasser.
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Candidat déclaré, le socialiste Vincent Auriol, vieux routier de la politique, ne cachait pas son inquiétude : les voix socialistes et communistes, dont il était assuré, ne suffiraient pas pour atteindre la majorité absolue. Les députés noirs, qui lui semblaient favorables, arriveraient-ils à Versailles à temps? Le ministre Jules Moch lui promit de les faire venir par avion au jour dit.
À quatorze heures, la séance s'ouvrit sous la présidence de Vincent Auriol, président de l'Assemblée. Il était rassuré, l'avion d'Afrique était arrivé. « Quand je pense, s'étonnait un député, dans le style du temps, que le choix du chef de l'État va dépendre de six nègres tombés du ciel! » La décision fut en effet acquise dès le premier tour : aux voix communistes et socialistes s'étaient jointes celles des députés noirs et musulmans.
La situation financière du royaume était catastrophique et exigeait des mesures révolutionnaires. Un édit préparé au château imposa un impôt nouveau, le dixième, qui aura un effet désastreux car il se surajoutera à tous les impôts existants. Cela ne suffit donc pas à ramener l'équilibre, mais, les armes s'étant un peu tues, Louis XIV put se livrer à ce qui était pour lui un dogme et un divertissement, en décidant du rang des princesses de sang en certaines circonstances. On était le 4 mars 1710, l'hiver avait été terrible, la guerre allait reprendre, on envoyait la vaisselle plate à la Monnaie, et le roi fixait le rang de préséance de ses cousins...
Dans le même temps, le roi se trouvait en butte, et pour quarante-cinq ans, à l'opposition des parlementaires ligués contre lui, bloquant toutes les réformes. « De 1725 à 1770, les cours souveraines n'ont pas cessé de grogner, s'opposer au roi, contester les arrêts du Conseil ou ses édits, contraindre Louis XV à convoquer des lits de justice » (F. Bluche). Opposition aveugle et stupide découlant du droit de remontrance rendu par le Régent et essentiellement motivée par la défense des privilèges, en premier lieu l'immunité fiscale des gens de robe.
L'année 1686 fut pour le roi gravement troublée par des problèmes physiques. Sa boulimie naturelle entraîna des crises de goutte qui entravaient sa marche et le forçaient parfois à s'aliter. Toujours dur au mal et tenant journellement à imposer sa présence, il faisait chausser son pied malade d'un soulier coupé et se faisait porter à la chapelle ou au conseil.
Ce gros mangeur avait toujours souffert des dents, qu'il ne lavait jamais et qu'on soignait par la seule méthode connue, l'arrachage. Au moyen d'une grosse pince de fer forgé, « l'opérateur » saisissait la dent malade et la tirait à force de bras, en secouant, sans se soucier de l'épanchement mêlé de morceaux de gencive. Au cours de l'un de ces charcutages d'une maladresse brutale, une partie du palais fut brisée et resta à vif ; l'os fracturé, s'infectant, dégageait une « odeur cadavéreuse » que le chirurgien Félix proposa de combattre par cautérisation. Le malade y consentant, quatorze fois Félix appliqua dans le trou un fer rouge, ce que le roi, une fois de plus, supporta vaillamment, et la plaie finit par cicatriser, faisant l'objet des conversations de la Cour.
Le dauphin et la dauphine s'astreignaient à suivre un cérémonial suranné où les repas pris en public constituaient toujours une attraction très prisée. « Les huissiers, écrit Mme Campan, laissaient entrer tous les gens proprement mis, ce spectacle faisait le bonheur des provinciaux ; à l'heure des dîners, on ne rencontrait dans les escaliers que des braves gens qui, après avoir vu la Dauphine manger sa soupe, allaient voir les princes manger leur bouilli et qui couraient ensemble à perdre haleine pour aller voir Mesdames manger leur dessert. »
La grande histoire du Louvre, Georges Poisson