Karel Polacek, écrivain tchèque juif, est mort en 1945 dans un camp de concentration. Et dire que c'est le dernier livre qu'il a écrit avant sa déportation en 1943, alors que ses livres étaient deja interdits de publication et qu'il était désoeuvré , vivant de ses économies. C'est dans une cache luxueuse au siège de la Communauté juive de Prague , la dernière à rester dans le Protectorat après la fermeture de toutes les autres corporations juives du pays, qu'il écrit cet éloge joyeux de l'âge de l'innocence. le narrateur est un petit garçon, fils d'un épicier d'une ville de province isolée, probablement l'alter ego de l'auteur, lui-même fils d'un épicier de la ville de Rychnov, aux confins de la Bohème orientale. Caché chez un ami pragois de Polacek le manuscrit verra le jour en 1946, roman culte dans son pays , il restera le symbole de la joie de vivre pour toutes les générations tchèques à venir jusqu'à nos jours.
De la hauteur d'un enfant, le narrateur Petr Bajza doté d'un don aigu de l'observation et d'un langage au ton incrédule , avec toute la fraîcheur et l'innocence de son jeune âge, raconte des épisodes truculentes de son enfance . Les personnages enfants ou adultes colorés et originales donnent une image nostalgique de cette société de bourgade tchèque de province de l'époque. Zilvar , le fils du mendiant en chef de la ville à la jambe de bois, Eva la fille du pâtissier macho qui refuse qu'on s'adresse à lui en tant que « Très estimés époux Svoboda », Otakar le fils du riche de la ville qui ne circule jamais sans sa gouvernante et qui aimerait participer à tous les exploits ,…..Les anecdotes, l'une plus croustillante que l'autre, comme celle délicieuse de l'arrivée d'un cirque qui va mobiliser toute la communauté enfantine racontent les aventures de cinq polissons interchangeables 😁qui affrontant la vie sans peur, sans vergogne, avec une logique intacte encore non souillée observant le monde incompréhensible des adultes. Des jeux de mots , comme « un saint-et-maître », « catégisme », « Votre Excrémence », « miséri-cordonnier », « le thermo- maître »….parsèment ce merveilleux texte comme des pâquerettes .
Vu les circonstances particulièrement difficiles de l'écriture de ce livre , pour l'auteur écrire une histoire d'une telle douceur, de tendresse et d'humour à mon avis devait relever de l'exploit, sans doute fut-il un échappatoire à son présent et à son futur sans espoir. Il n'y sera jamais question de juifs ou de judaïsme , ni de nazis, les seuls fois qu'ils apparaissent étant dans un contexte humoristique à la page 180 , « …veuillez ne pas vous agiter comme un juif dans une poêle », et p.289 , deux éléphants qui s'insultent « Je vais te tripoter les côtes jusqu'à ce que tu entendes chanter les coeurs célestes ,espèce de nazi. ». J'aurais voulu mettre pleines pleines de citations mais c'était trop long à recopier 😁, et puis je vous laisse le plaisir de les découvrir !
Un pur bonheur de lecture !