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04 juillet 2019
Industrialisation, objectifs sociaux et environnementaux pour un autre développement

Dans son éditorial, « Politiques industrielles au Sud : à quelles conditions ? », François Polet aborde, entre autres, la nouvelle géographie industrielle, les trajectoires opposées des pays, la concentration de l'activité manufacturière, les processus de désindustrialisation, « La redécouverte des retombées socio-économiques spécifiques du secteur manufacturier se fait paradoxalement dans le contexte d'une reconfiguration industrielle mondiale entraînant une « désindustrialisation précoce » dans plusieurs pays du Sud ». Je souligne que ces questions et leurs réponses en termes d'activité et d'emplois – et d'empreinte écologique – ne peuvent être abstraites des rapports de domination, des asymétries constitutives de la mondialisation néolibérale.

L'auteur met l'accent sur la « fragmentation internationale des processus de production », les différences entre le continent asiatique et les Amériques centrale et du sud, la « reprimarisation » de certaines économies, la volatilité propre aux marchés des matières premières, la place de l'industrialisation « dans l'élévation durable du niveau de vie des sociétés », les caractéristiques « régressives sur les plans social, démocratique et environnemental » du « développement » sans industrie, le démantèlement des politiques industrielles et la libération commerciale sous l'égide des organismes internationaux et leurs conséquences en termes de sous-développement.

Le libre échange, entre « partenaires » inégaux conforte la géographie eco-politique mondiale au bénéfice des Etats dominants, empêche le développement et la coordination industrielle, renforce la division internationale du travail au détriment des pays du Sud. « Par ailleurs, la mise à l'abri temporaire du marché mondial implique de s'appuyer davantage sur le débouché du marché intérieur, ou sur des marchés régionaux unissant des économies aux niveaux de productivité comparables, deux défis politiques importants. ». Sans oublier que les règles incluses dans les grands accords commerciaux internationaux « amputent juridiquement la liberté des gouvernements du Sud d'agir sur leurs secteurs industriels ».

En présentant les différents articles, l'auteur, souligne, entre autres, « les conditions politiques d'un changement dans le mode d'insertion … dans la division internationale du travail », la maitrise de politiques numériques « qui passe notamment par la construction d'infrastructures numériques publiques », les conditions « en termes de droit du travail, de création d'emplois, de transferts technologiques, de protection de l'environnement et de certains secteurs économiques et sociaux » dans les négociations internationales, la nécessité de penser conjointement « politique agricole et politique industrielle », les contraintes environnementales qui ne peuvent servir d'argument pour « disqualifier les efforts légitimes d'industrialisation » au Sud…. « Une politique industrielle progressiste devrait inclure des objectifs sociaux et environnementaux dans ses stratégies de développement, ne pas miser sur l'intégration aux chaînes de valeur mondiales à travers les avantages comparatifs de la compression continue des salaires bas ou de la possibilité de polluer »

Si la concentration de salarié·es dans des manufactures a permis, non sans luttes, le développement d'organisations syndicales et de capacités d'actions collectives des travailleurs et travailleuses, il ne faut pas cependant oublier les conséquences du « despotisme d'entreprise ». de même les actions de l'« Etat stratège » ou le volontarisme public ne peut être envisagé hors de l'analyse de l'Etat dans le fonctionnement du mode de production capitaliste (voir par exemple sur ce sujet, Antoine Artous, Tran Hai Hac, José Luis Solis Gonzalez, Pierre Salama : Nature de l'Etat capitaliste. Analyses marxistes contemporaines). Il ne me semble pas que ces questions puissent être traitées sans mobilisations autonomes des salarié·es et des citoyen·nes, sans choix conscients et majoritaires sur les politiques institutionnelles à mener.

Pierre Salama dans un article au titre significatif : « Amérique latine : Goodbye industrie, hello stagnation », aborde, entre autres, les profondes inégalités à l'intérieur des pays, la fiscalité régressive, l'importance des emplois informels, les évolutions des dépenses sociales et leurs effets sur la pauvreté et l'analphabétisme, les ré-primarisations « au mépris de l'environnement » et signifiant « une remise en cause des droits nouveaux obtenus par les populations indiennes, de plus en plus renvoyées à leur statut de sous-citoyen d'hier dans les pays andins, ainsi qu'une détérioration de la santé des paysans et des mineurs », les comportements rentiers, la faible intégration des pays « dans les chaines de valeur internationales », les effets délétères de la globalisation….

L'auteur parle de la montée en puissance des exportations, des fragmentations territoriales accompagnant la globalisation, de l'origine des gains financiers qui ne viennent pas de « nulle part », de division internationale du travail et d'éclatement de la chaîne internationale de valeur, de la place prise par la globalisation financière, des remises en causes des « quelques acquis » avec le retour des droites aux gouvernements…

Il développe sur la « désindustrialisation précoce », la spécialisation sur des biens pauvres en technologie, la faiblesse des taux de salaire et de productivité du travail, les conséquences des variations des taux de change, les effets de la reprimarisation sur le développement durable, « La reprimarisation des principales économies utilise des produits et des techniques de pointe. Elle entraîne des dégâts environnementaux importants, qu'ils soient dus à l'utilisation de pesticides et d'herbicides à grande échelle ou à l'exploitation des « mégamines » » et sur la distribution des revenus – sans oublier la culture du soja, la déforestation, l'utilisation massive des OGM, le viol du droit à vivre des populations indiennes sur des terres ancestrales.

Ubiquité et diversification. Pierre Salama explique pourquoi « l'industrie est à privilégier », regarde du coté du futur, « L'heure est à une nouvelle manière de s'insérer dans la division internationale du travail. Cela passe par de nouvelles alliances de classes, seules capables d'assumer politiquement une réforme fiscale conséquente, une distribution des revenus moins inégale, une politique industrielle moins clientéliste ».

Afrique. le passé colonial, l'extraversion négative du continent et la désindustrialisation atypique, les politiques d'ajustement structurel – il faudra un jour soutenir les conséquences judiciaires de ces politiques anti-démocratiques et attentatoires aux droits des citoyen·nes -, les travailleurs et les travailleuses pauvres, les dé-démocratisations, l'impossible formation « endogène de capital », l'utilisation des matières premières pour le seul bénéfice des métropoles coloniales, le travail de simple exécution, l'économie de prédation, l'économie de traite, l'économie des plantations…

Thierry Amougou revient sur la Conférence afro-asiatique de Bandung, les stratégies d'industrialisation endogène de l'Afrique, le rôle de l'Etat dans l'industrie naissante, la déconnexion promue par exemple par la CEPAL, les questions de financement… et le grand retournement avec « le consensus de Washington ».

Les politiques d'ajustement structurel, le refus des interventions de l'Etat et des choix sectoriels de développement, le marché comme seul lieu d'allocation des ressources, les pratiques informelles, les économies rentières, les migrations, les zones franches, les pollutions… et les possibles alternatives, « Un des défis majeurs que doit relever l'afro-optimisme industriel est d'inventer des mécanismes de protection de l'économie populaire africaine, de son artisanat, de son agriculture et de ses terres, de la concurrence déloyale de la Chine et d'autres grands groupes occidentaux », des alter-développements…

Arkébe Oqubay présente le cas de l'Ethiopie et de son industrialisation tardive, les instruments de la politique industrielle, les politiques « facilitatrices » et les politiques « faussant » les prix, l'exemple de l'industrie du cuir et de la floriculture (je souligne cependant le silence sur les conséquences en termes d'empreinte carbone de l'exportation massive de fleurs), l'industrie du ciment, la place de l'économie politique…

Il me semble nécessaire de revenir sur les tracés arbitraires des frontières dues aux colonialismes et sur la balkanisation des Etats, la persistance d'une monnaie coloniale comme le CFA, les multiples interventions militaires extérieures, etc. Industrialisation, autonomie et intégration régionale demeurent un horizon. Et la solidarité des prolétariats « occidentaux » – en rupture avec le nationalisme d'entreprise et le nationalisme tout court – reste toujours à construire…

Amérique latine. Outre le texte de Pierre Salama déjà commenté, un texte est consacré au Chili. Javiera Petersen et Nicolas Bohme abordent les spécificités historiques des politiques industrielles, la désindustrialisation relative de l'industrie manufacturière, l'analogie avec la « maladie hollandaise », les théories de la croissance, l'espace des produits, la spécialisation dans la production de produits primaires, la place des industries extractives, les industries d'exportation (exploitation minière, exploitation forestière, pêche et culture fruitière)… Ils font des propositions pour une autre politique économique (scénario macroéconomique favorable au développement, marché latino-américain intégré, subventions à la « recherche et développement » dans la structure productive, mise à disposition de biens publics, enseignement supérieur, production de connaissance, banque de développement, comité d'assistance technique de l'Etat)… Si leur discours est parfois entaché de vocabulaire néolibérale (par exemple, la fumeuse notion de « capital humain »), ce qui me frappe surtout c'est le peu d'interrogation critique sur le rôle de l'Etat (dans le fonctionnement des régimes d'accumulation du capital et dans la construction ou les réaménagements de la classe dominante) et l'absence à la fois de l'auto-organisation des salarié es et formes institutionnelles qu'elles pourraient prendre. Faute de lieux d'élaboration des choix démocratiques, les nouvelles politiques industrielles et les moyens de leurs financement me paraissent bien illusoires…

Asie. Un article est consacré à l'Asie de l'est (Corée du Sud, Malaisie, Philippines, Thaïlande) et au Pakistan, « Nous développerons l'argument suivant lequel ce sont les différenciations et les retours croissants du secteur manufacturier qui donnent aux pays le potentiel de stimulation d'une croissance économique rapide et d'un changement de structure ». Les comparaisons font ressortir les limites des politiques de « l'Etat développeur » sans changement des structures institutionnelles et sociales…

Le dernier article est consacré à l'Inde, aux impacts de la période coloniale sur l'industrie, aux performances industrielles de 1947 aux années 1990, aux « réformes » au détriment de l'industrialisation et à leur bilan, au déséquilibre entre secteurs économiques et à la stagnation industrielle, à la « libéralisation » et à ses conséquences, à l'intervention décisive des actions de l'Etat…



Manuel F. Montes interroge : de quel type de politique industrielle avons-nous besoin ?. Il pose cinq points, « La politique industrielle doit créer un espace économique et fournir les moyens pour de nouvelles activités et de nouveaux modes de vie » ce qui implique, entre autres, un effort pour remonter les filières de production ; « L'industrialisation ne concerne pas seulement l'essor des « industries ». Elle concerne également la productivité dans l'agriculture et les services » (l'auteur souligne, entre autres, les modèles de faible intensité énergétique et l'accès aux technologies et activités d'innovation) ; « La politique industrielle doit aborder les problèmes et mettre en place les politiques concernant les choix technologiques et l'échelle de production la plus efficace » (pour ma part je considère que l'efficacité de l'échelle de production doit être abordée tant du point de vue de son efficience économique que de ses dynamiques sociales) ; « La politique industrielle doit permettre l'émergence d'un secteur privé national fort » (L'auteur met l'accent sur les agriculteurs/agricultrices, les éleveurs/éleveuses et plus globalement sur la place des femmes. Il parle aussi de l'importance des entreprises publiques et des débats autour des investissements étrangers) ; « La politique industrielle doit s'efforcer de coordonner les différents domaines politiques et nécessite une planification à long terme », ce qui implique une politique en termes de droits de douane et de contrôle de capitaux – mais aussi, il me semble nécessaire d'insister – des formes de choix et de contrôles démocratiques…

Le dernier article traite de l'industrialisation numérique, des entreprises monopolistiques de « services d'intelligence numérique », de la construction d'infrastructures publiques numériques et de données (à noter que cette question déborde le Sud car la monopolisation de fait par des entreprises principalement étasuniennes – et la dictature des algorithmes – dépouille les citoyen nes de leurs données personnelles mais aussi de la maitrise de l'information et de choix qui devraient être démocratiques). Comme l'explique Parminder Jeet Singh : « La « libre circulation mondiale des données » est en réalité un euphémisme pour les entreprises qui revendiquent le droit à liberté totale de collecte, privatisation et appropriation de ces données « communes » ». L'auteur souligne qu'il nous faut aussi dépasser le cadre réducteur du « commerce électronique »….

Travail, emploi, industrie, numérique, les conditions de la lutte contre la pauvreté et l'urgence écologique sont au coeur de la lutte contre la globalisation néolibérale, contre les contraintes imposées par les institutions internationales, et, pour une réelle maitrise de leurs avenirs par les populations…
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