AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782705689063
274 pages
Hermann (22/08/2014)
5/5   1 notes
Résumé :
Jonathan Pollock restitue dans ce volume de 250 pages les contextes dans lesquels les Cantos d'Ezra Pound furent écrits, entre 1915 et 1966. Il compare son auteur à Hugo, dont on ne disait pas qu'il avait vécu au XIX°s, mais qu'il était le XIX°s. Pound est le XX°s, et la somme d'informations, de remarques et de faits que rappelle Pollock éclaire la lecture des Cantos d'une façon plus synthétique et décisive qu'un commentaire ligne à ligne.
Que lire après Lire les cantos d'Ezra PoundVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Je termine la lecture de cet essai dans un mélange de perplexité et d'admiration. Admiration pour le très beau travail de commentaire que fait l'auteur, nous ouvrant à la lecture des Cantos de Pound chapitre après chapitre, thème après thème. On a parfois de véritables "explications de texte" (sans la nuance scolaire du terme) indispensables pour apprécier réellement cette poésie. Ce livre corrige l'impression un peu négative que laisse Humphrey Carpenter, biographe de Pound qui, quand il sort de sa compétence purement biographique et se permet des jugements sur les ouvrages de l'auteur, est souvent ironique, réservé et peu enthousiaste. Pollock restitue à la poésie de Pound toute sa dignité et sa profondeur, il montre qu'elle est apte à nourrir des réflexions comme à produire du plaisir. Pollock a de plus l'avantage de compléter l'approche lexicale, indispensable bien sûr, du "Companion to the Cantos of Ezra Pound" de Carroll F. Terrell. Ses essais sont plus généraux et son livre n'est pas un dictionnaire poundien, mais un ouvrage raisonnable de 250 pages.

Pourtant certains passages m'ont laissé perplexe. Pollock s'attache à montrer comment on peut lire Pound aujourd'hui (son livre est de 2014) en dépassant le gros bon sens vieillot de Carpenter. Mais, pour montrer la modernité de Pound, sa pertinence pour nous, il a recours à des systèmes de pensée desquels je ne suis pas familier : Lacan, Deleuze/Guattari, Serres, René Thom ou, de façon très approfondie, la philosophie de Bergson, un peu moins ultra-moderne. Là, j'ai rencontré ma limite de lecteur et j'ai été vite largué en pleine mer. Voilà pourquoi cet excellent livre mérite de meilleurs lecteurs, mieux formés à la philosophie et à la modernité que moi.

Un livre à relire.
Commenter  J’apprécie          1314

Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
CITATIONS ET EXCITATIONS.
Par définition, le passé n'est plus actuel, n'est plus "agissant" : ne nous étonnons pas alors que tout le passé humain ne soit présent que virtuellement dans le poème de Pound. Cela dit, les "effets" du passé perdurent sous la forme d'objets, de monuments, d'institutions, d'oeuvres, d'enregistrements, d'inscriptions, de traces : autant d'objectivations de la mémoire collective, autant de "rétentions tertiaires", ou d'hypomnémata, selon la terminologie platonicienne de Bernard Stiegler. Les hypomnémata sont des supports de mémoire artificiels, dont, en premier lieu, l'écriture. On sait que Platon condamne la mémoire écrite (hypomnésis) au nom de la mémoire vivante (anamnésis), mais Pound n'oublie jamais le côté hypomnésique des faits qu'il raconte. Il refuse de séparer les événements du passé du support matériel qui a permis leur conservation, allant jusqu'à reproduire le numéro de page de ses sources textuelles, voire leur numéro de cotation dans les archives où il les a trouvées. D'où son utilisation systématique de la citation - ce qui a valu aux Cantos d'être assimilés aux "centos" de la Renaissance.
Sous la plume de Pound, une cittation est un morceau réactualisé du passé ; en ce sens, elle équivaut à l'image-souvenir de Bergson - un souvenir étant une image actuelle qu'on est allé chercher dans la virtualité du passé. Et comme l'image-souvenir, elle garde sa part de virtualité, ce pourquoi elle est toujours elliptique, tronquée, partielle. Elle n'a de sens qu'en tant qu'elle renvoie à un ensemble non actualisé, virtuel, et, dans bien des cas, difficile à identifier pour un lecteur qui n'aurait pas les connaissances historiques et langagières d'Ezra Pound. A vrai dire, les citations qui émaillent les Cantos, - et dont ils se composent en majeure partie - sont moins des citations que des excitations. Ce sont autant de motifs évocateurs dont le rôle est d'exciter l'intelligence et la sensibilité. Leurs valeurs phoniques et rythmiques égalent, dépassent même, leur valeur symbolique. D'habitude, une citation renvoie le lecteur à sa source, soit au contexte discursif originel de l'énoncé, s'il s'agit d'un écrit, soit à la situation d'énonciation, s'il s'agit de paroles. Le lecteur doit donc détourner son attention du texte pour la diriger vers l'intertexte, c'est-à-dire vers un autre texte plus ancien et, le plus souvent, d'une autre nature. Si les citations de Pound sont bien plutôt des excitations, c'est qu'elles font allusion à d'autres textes d'une manière elle-même allusive. Faut-il élucider pleinement l'allusion ? Ne serait-on mieux inspiré de lui laisser son caractère fugitif et indéterminé ?
Il y va de la relation du tout à ses parties. Ezra Pound ne nous donne pas tout car, pour lui comme pour Bergson, l'idée du tout désigne une virtualité. Sa conception de la "Grande Basse" (Great bass) en musique exemplifie cette idée : "Au-dessous de la note la plus basse synthétisée par l'oreille et 'entendue', il y a des vibrations plus lentes." (Guide to Kulchur) Le coefficient entre ces fréquences et celles produites par les instruments de musique (et donc entendues) constitue le fondement même de toute structure musicale. C'est dire que les parties actuelles du poème ne se laissent pas totaliser, mais forment une complexité qui échappe à la sommation comme à la représentation. En revanche, chaque partie retient le tout - quoique sous un certain aspect, et d'un certain point de vue - en raison à la fois de ses propriétés rythmiques et de la part du virtuel qui la prolonge.

pp. 163-165
Commenter  J’apprécie          50
Pound quitte les Etats-Unis pour l'Angleterre en 1908 ; il quitte l'Angleterre pour la France douze ans plus tard ; puis il s'établit en Italie à partir de 1924. Il a donc passé les quarante premières années de sa vie sous des régimes libéraux et démocratiques, ceux-là mêmes qui se donnent en modèle au reste du monde. On pourrait croire que le choix ultérieur de vivre en Italie, ainsi que le soutien actif accordé au régime de Mussolini pendant les années 1930 et 1940, soient la conséquence d'un rejet total des valeurs et des institutions de la civilisation libérale. Les choses ne sont pas aussi simples. Aussi étonnants que cela puisse paraître, les Cantos consacrés à l'histoire de l'empire chinois (52-61) et ceux écrits à la gloire du régime fasciste (72-73) encadrent un bloc de dix Cantos célébrant les "exploits" de l'un des pères fondateurs de la Constitution américaine, John Adams : "there is our norm of spirit / our chung (milieu, centre)" (84-560) Qui plus est, Pound met l'accent sur les travaux juridiques d'Adams, sur sa défense acharnée des droits et des libertés des colons américains, sur sa lutte contre les abus du pouvoir impérial britannique. De même, les trois derniers Cantos (107-109) du dernier recueil achevé reviennent sur l'oeuvre d'un autre champion du droit coutumier, le juriste anglais Sir Edward Coke, pourfendeur de la monarchie absolue au début du XVII°s. Pound n'était même pas un homme de droite, si par "valeurs de la droite", on entend le nationalisme (il était un cosmopolite invétéré), le militarisme (il condamnait la propagande belliciste), une méfiance à l'égard de toute forme de révolution sociale (il prônait une refonte radicale de l'économie), ainsi qu'une certaine hostilité envers les institutions politiques des régimes démocratiques : "Je crois qu'aucune forme de gouvernement n'est meilleure que le gouvernement américain dans son INTENTION et en tant que système (...)," écrit-il le 18 juin 1932 à Langston Hughes. Comment alors expliquer le fascisme impénitent d'Ezra Pound ?

pp. 63-64
Commenter  J’apprécie          90
D'après Bergson, tout corps change de forme d'instant en instant, "(ou) plutôt il n'y a pas de forme, puisque la forme est de l'immobile et la réalité du mouvement. Ce qui est réel, c'est le changement continuel de forme : la forme n'est qu'un instantané pris sur une transition." Ainsi, "pour rendre la notion de 'chose' (pour nous une notion individualisante), les Chinois disent 'est-ouest' (dong-xi) ; pour rendre celle de 'paysage' (pour nous une notion unitaire), ils disent 'haut et bas', 'montagnes-eaux'."
(...)
Tandis que le narrateur du I° Canto, Ulysse, met l'accent sur ce qu'il a fait, Acoetès, lui, rend compte de que qu'il a vu et ressenti. Pound oppose ainsi les passions de l'un aux actions de l'autre, mais derrière cette opposition se cache une deuxième, plus fondamentale, celle qui explique la présence de la philosophie confucéenne dans Les Cantos : la différence entre une esthétique (épique et héroïque) de l'action et une esthétique (plutôt lyrique) de la transformation.
(...)
En mettant l'accent non pas sur ce qu'il a fait mais sur ce qui lui est arrivé, à lui et aux membres de son équipage, Acoetès souligne le caractère proprement "événementiel" de l'événement, cette part de l'événement qui échappe à la volonté des hommes et balaie toutes leurs vaines tentatives de maîtrise et de prévision. Car l'événement a ses propres lois et ses propres constantes, auxquelles les hommes feraient bien de prendre garde.
(...)
Qu'il ressortisse à la fiction personnelle, au mythe collectif ou à la réalité historique, l'événement n'est jamais simplement "rapporté" ; au contraire, l'élaboration artistique consiste à dégager sa dimension non empirique, virtuelle, "intempestive", à sonder la part de l'Evénement dans tout événement. C'est ainsi que la structure de l'oeuvre peut contribuer à mettre à nu les ressorts profonds de l'événement, les articulations de l'une épousant les arêtes de l'autre.

(pp. 109-110-111, ouch).
Commenter  J’apprécie          32
... Les Cantos de Pound ont été rapprochés des ouvrages de son ami et obligé James Joyce (c'est Pound qui le premier a repéré la puissance novatrice d'"Ulysses" et qui en a assuré la publication - et la publicité - en revue). Et certainement Les Cantos sont à l'histoire de l'expérimentation poétique ce que "Ulysses" et "Finnegans Wake" sont à celle de l'expérimentation en prose. Cependant, les deux auteurs n'ont pas connu le même sort : "Avec le XX°s, écrit Gérard Mordillat, deux grands navires s'éloignent : le navire Joyce, le navire Proust ... Ulysse rentre à la maison, le temps est retrouvé, l'aventure romanesque s'achève." Les livres de Joyce et de Proust ne suscitent plus guère de résistance, servant de combustible à de grandes machines éditoriales et universitaires. Petit à petit, ils sont devenus lisibles. Et Mordillat de diriger notre attention "vers deux montagnes que les brumes dissimulent encore : la montagne Ezra Pound, le mont Antonin Artaud. Deux oeuvres qui pèsent sur notre présent d'un poids insoupçonné".

p. 6
Commenter  J’apprécie          50
Ne pas comprendre.
L'expérience est familière à tout lecteur des Cantos : "au-delà d'une courte séquence, [l'imagination] n'arrive plus à comprendre l'ensemble des grandeurs et des mouvements qu'elle appréhende successivement." Est-ce dire pour autant que la pensée du lecteur parvienne "à ce qui dépasse toute imagination, c'est-à-dire l'ensemble des mouvements comme tout ?" Tel est du moins le souhait de Pound : élever l'esprit du lecteur jusqu'à une conception quasi simultanée du temps historique comme Tout fondamentalement ouvert. W.B. Yeats s'en est rendu compte et en rend compte, à sa manière, dans l'article déjà cité : "Ezra Pound has made flux his theme... Il espère donner l'impression que tout est vivant, qu'il n'y a pas de bords, de convexités, rien pour arrêter le flux."

Les citations sont de G. Deleuze, Cinéma I. L'image-mouvement.
p. 183
Commenter  J’apprécie          30

autres livres classés : poème épiqueVoir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus

Autres livres de Jonathan Pollock (1) Voir plus

Lecteurs (4) Voir plus



Quiz Voir plus

Testez vos connaissances en poésie ! (niveau difficile)

Dans quelle ville Verlaine tira-t-il sur Rimbaud, le blessant légèrement au poignet ?

Paris
Marseille
Bruxelles
Londres

10 questions
1220 lecteurs ont répondu
Thèmes : poésie , poèmes , poètesCréer un quiz sur ce livre

{* *}