Ce livre est composé d'un assemblage de textes qui pour une large part ont été publiés par ailleurs de manière séparée. Il se présente donc comme une suite de réflexions et de digressions que l'auteur rattache à la notion d'ombre.
Celle-ci ouvre sur des thématiques fréquentes chez Pontalis : l'inconscient, le rêve vu à la suite de Merleau-Ponty comme une perception non consciente, les métamorphoses, la mémoire,...
Cet ensemble disparate mais non dénué de charme apparaît comme une apologie de la vie vue comme invention, transformation, indétermination, incertitude. Ce livre est un éloge de l'informe, de l'imaginaire et du désordre. Et c'est justement dans le désordre que l'on peut appréhender la lecture de ce livre, par fragments auxquels on revient en fonction des propres digressions de sa pensée.
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Nombreuses sont les nuits où nous rêvons de nos morts. Est-ce nous qui les invitons, ces visiteurs nocturnes, rendus par la vision du rêve souvent plus présents, plus proches qu'ils ne l'ont jamais été ? Ou bien viennent-ils en intrus nous importuner pour nous intimer l'ordre de ne pas les laisser tomber dans l'oubli, pour nous interdire de les croire désormais enfermés dans le mutisme de leurs tombes ? Revenants accusateurs, ils n'iraient vers nous que pour nous reprocher de les avoir mal aimés, mal traités, jusqu'à les abandonner à la mort, nous les survivants, les infidèles et même jusqu'à les faire mourir, nous, les criminels.
Les mots ombres portées exercent depuis longtemps sur moi un pouvoir d'attraction comparable à celui que j'ai pu ressentir avec les mots limbes et clairière. Les mots et ce qu'ils désignent. Les limbes ce lieu sans contours précis, situé entre les ténèbres de l'Enfer et la lumière radieuse du Paradis; la clairière qui s'ouvre, aussi inattendue qu'espérée, au creux de la forêt si dense et si sombre que je crains de m'y perdre avant que la clairière et ses rais de lumière ne dissipent l'angoisse naissante.
Nul ne peut s'arranger avec la mort. Mais chacun de nous trouve une issue pour s'arranger avec les morts.
Il nous faut croiser bien des revenants, dissoudre bien des fantômes, converser avec bien des morts, donner la parole à bien des muets, à commencer par l'infans que nous sommes encore, nous devons traverser bien des ombres pour enfin, peut-être, trouver une identité qui, si vacillante soit-elle, tienne et nous tienne.
La vie est inquiète.
La vie et la mort sont inconcevables.
Je me refuse à séparer le jour et la nuit. La nuit n'est pas ténèbres et nos jours ne sont pas lumineux.
Vidéo de Jean-Bertrand Pontalis