À la lecture de "
À la ligne : Feuillets d'usine " je ne regarde plus mon assiette de la même façon.
Intérimaires, précaires, ouvriers... tous à charge de remplir notre frigidaire et notre ventre, sans reconnaissance. Ils oeuvrent en silence dans l'ingratitude la plus totale, à l'heure où le sommeil a déjà englouti nombre de foyers.
Certains prétendent que l'origine du mot travail viendrait d'un instrument de torture, tripalium. D'autres de défendre un noyau différent exprimant le passage d'un état vers un autre.
À la ligne, à bout de souffle, sans point ni virgule... fait indéniablement corps avec un supplice dicté par la société de consommation.
Cette cadence effrénée, celle de ne pouvoir terminer une phrase sans être hors d'haleine, je la rencontre souvent... au travail. Je n'ai jamais embauché à l'usine, je me suis pourtant déjà retrouvée dans des situations de souffrances liées à la charge mentale, aux intéractions bien trop nombreuses, au stress, à la répétition... Encore une semaine, une semaine de plus...
" Demain c'est dimanche
Demain on profitera bien encore un peu de la liberté des vivants
Demain on rechignera encore à aller au lit tôt
Étant pourtant certain que l'on paiera cher lundi au réveil puis à l'embauche
Il sera toujours temps pour une nouvelle semaine
Encore une semaine "
L'auteur, épuisé physiquement, à bout de force, incapable de trois pas supplémentaires pour promener son chiot, nous conte son expérience sans fards ni poudre de fée. Son histoire telle qu'il l'a vécue.
Joseph Ponthus se livre corps et âme dans ce récit profond porté par une plume accomplie.
" Je repense à ma journée
Sens mes muscles se détendre
Et
Explose en larmes contenues
Tâchant d'être fier et digne
Et ça passera
Comme tout passe
La fatigue la douleur et les pleurs
Aujourd'hui je n'ai pas pleuré"
Foenkinos dans Charlotte s'est également habilement servi du retour à la ligne, afin d'alléger notre peine et nous permettre de reprendre notre respiration.
Ici, le retour à la ligne m'a essoufflée. J'ai appréhendé les premières strophes avec difficulté. Puis, j'ai réussi à trouver mon rythme, cadencé par la musique, celle d'une complainte en slam. J'ai entendu la voix chaude et suave d'un poète slameur,
Grand Corps Malade, pour habiller et faciliter ma lecture.
J'ai particulièrement apprécié les interludes "hors- usine". Une ode à la vie, la vraie vie, celle où vous respirez l'air marin en promenant votre chien, celle où vous séduisez votre épouse malgré les douleurs et la fatigue, celle où vous écrivez à votre mère qui s'inquiète pour vous...
" Dans la semaine
J'ai reçu une lettre de toi
Avec un chèque de cinquante euros
Et un adorable mot me disant de profiter
De mon weekend
De mon repos
De mon épouse
[...]
Tout va bien
J'ai du travail
Je travaille dur
Mais ce n'est rien
Nous sommes debout
Ton fils qui t'aime "
Joseph Ponthus, vibre avec les mots. L'adage est juste, coupant, acéré, étonnant, percutant et émouvant. L'auteur écrit et chante en hommage aux ouvriers trop souvent oubliés.
Lu en juillet 2019.