Ce n'est pas le premier livre d'
Arnauld Pontier que je lis, pas le premier que j'aime, apprécie et vais même relire tellement il le nécessite comme souvent. Mais, pour parodier Marcel Phillipot dans Palace avec son « Je l'aurai ! Un jour, je l'aurai », peut-être effectivement arriverais-je, un jour, à ne pas tomber dans ses textes. Et, si j'y arrive, j'espère que ce sera avant les 24.000 ans nécessaires au plutonium 239 pour ne plus être radioactif.
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Dehors les hommes, le titre est intriguant, l'histoire tout autant, la narration encore plus.
Je commencerai par le plus évident de la lecture, à savoir que les fils tissant la trame de ce récit empruntent çà et là à d'autres histoires, d'autres aventures, que ce soit en références, en clins d'oeil ou en drageons que l'univers SF a créés et semés au fil des décennies. Les plus évidentes seraient – par exemple et pour n'en pas trop citer – des évocations de Pierre Boule, de certains épisodes d'Au-delà du réel, parmi de nombreuses autres escarbilles. Des évocations, mais sans jamais en faire la base de l'histoire, sans recréer celle-ci à partir de celles-là.
Vient s'ajouter à cela, le plaisir de découvrir une narration à double niveau.
D'abord, une vision extérieure d'un monde post-apocalyptique fort lointain, sans doute au-delà de 2307 ans, au-delà de la Grande Explosion [non, ne cherchez pas, ce n'est pas un événement inexpliqué comme dans la Route, ce n'est pas un gigantesque accident à Tchernobyl qui aurait recouvert le monde de radioactivité mortelle, mais tout vient à qui sait lire jusqu'au bout…]. Les dates n'existent plus. Les lieux si, puisque nous sommes explicitement près de Brooklyn et donc vers New York et de Liberty Island [Tiens ? vous comprenez soudain une partie de la raison d'être de la couverture, une partie seulement…]. Nous suivons l'errance d'un androïde créé pour protéger l'Homme de ses ennemis – mais lesquels ? et qui est donc le pire ennemi de l'Homme ? Il parcourt en solitaire le monde dont il a déjà fait le tour, à pied et sac à l'épaule. Un androïde très particulier, à la fois mécanique, quantique et biologique, qui a perdu au fil des siècles une partie de ses capacités, de ses connaissances… mais qui chante toujours.
Ensuite, cette narration se fait en vision de l'androïde sur lui-même, une véritable ipséité observée et racontée de l'extérieur. Perceptions, souvenirs et réflexions, sensations et introspections, sans jamais qu'il ne parle lui-même de ces ressentis et questionnements, mais bien que ce soit le narrateur qui pose là le réveil de ses souvenirs enfouis et perdus. Ce réveil lent qui va nous faire découvrir et comprendre tout ce qui a mené à cette disparition des hommes, car ils ne sont plus là ; dehors, les hommes sont tombés…
Enfin, il y a par-dessus tout cela, l'immense plaisir d'un voyage littéraire. Si le récit est une succession presque sans fin de questions [les certitudes n'arriveront qu'au final], si le personnage central, son errance et son histoire forment des vagues sans fin pour voir et faire tomber les hommes, le style vient tout renforcer. Alternant phrases incisives et phrases ciselées, musicales au vocabulaire riche que ce soit pour évoquer l'arkhé ou la phorésie – qui ne fleurissent pas, hélas, dans n'importe quels textes aujourd'hui – on a le plaisir d'une vague qui, tantôt, déferle vers vous pour vous projeter l'action, les événements durs et crus, tantôt, retourne étale vers la mer pour vous décrire un paysage de désolation où la nature reprend ses droits ou vous laisser plonger dans les « pensées » de cet androïde mi-homme, mi-machine semblerait-il.
Dehors les hommes tombent…
Est-ce pour toujours ? À jamais ?
Qu'importe, car je me suis laissé, moi, emporter jusqu'à la chute et sans tomber.