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Critique de Levant


1492, une date que l'histoire a retenue pour un événement pourtant passé inaperçu en son temps. L'expédition de Christophe Colomb et l'ouverture au Nouveau Monde ne pouvait avoir le retentissement propre à occulter le fait majeur du monde chrétien, la succession au trône pontifical.
C'est en effet à cette date que la famille Borgia accède pour la deuxième fois à la consécration suprême. Après son oncle Calixte III, Rodrigo Borgia devient pape sous le nom d'Alexandre VI, en succédant à Innocent VIII. Cette élection se fait à l'issue du premier conclave tenu en la Chapelle Sixtine, au cours duquel intrigue et corruption donneront le ton à ce qui suscitera la réputation de la famille Borgia.
Il n'y a pas de fumée sans feu. C'est sans doute le dicton le plus approprié pour aborder le mythe qui s'est construit autour de la famille Borgia quant à l'usage des poisons. A ceci près que pour ce qui concerne cette famille pour le moins sulfureuse, en tout cas telle que la présente l'historiographie, il est devenu difficile de discerner le fantasme de la réalité. Victor Hugo n'a pas été le dernier à forger la triste renommée avec son Lucrèce Borgia en 1833. Au fil de la construction du mythe, avec beaucoup plus tard l'arrivée du cinéma, l'exploitation des côtés nauséabonds à noirci la légende et rendu la réalité encore plus floue. La fumée est devenue écran de fumée.
Avec ce premier tome de la trilogie qu'elle consacre à son héroïne, Francesca, Sara Poole prend ses distances avec ce débat. Dans une note en fin d'ouvrage, elle précise qu'elle est bien au fait de toutes les incertitudes qui planent sur la véracité des méfaits reprochés aux Borgia. Aucune source contemporaine n'avalise en réalité de façon incontestable les aspects les plus sombres du mythe Borgia. Pas même le journal tenu par le maître de cérémonie du palais pontifical, Johannès Burckard. Il a été le plus contemporain et le plus proche, des observateurs de la vie d'Alexandre VI durant son pontificat.
Difficile donc de faire la part de choses entre la réalité et les rumeurs engendrées en tout premier lieu par les concurrents au trône, mais aussi par les observateurs outrés par la dérive des moeurs au plus haut sommet de l'église, tel Savonarole. Sans oublier les protestants qui ont trouvé là du pain bénit pour blâmer, à juste titre, l'église catholique.
Sara Poole a fait preuve d'habileté pour intégrer ses personnages imaginaires dans la grande Histoire que la pénurie documentaire fiable peine à certifier. En se refusant à exagérer la perversion des comportements qu'on a bien voulu mettre en exergue au fil des siècles, elle parvient à entretenir la crédibilité de sa fiction. Rodrigo Borgia, son fils César y paraissent toutefois sous un jour un peu trop sympathique. En partageant leur intimité, Francesca leur restitue la part d'humanité que la légende leur a volé. Alors que l'histoire, friande de sensationnel, n'a retenu que la froide cruauté des rivalités qui opposaient les grandes familles italiennes dans l'accession au pouvoir suprême de l'époque.
En ces temps troublés, la conquête du trône papal était une affaire plus politique que religieuse. Et la politique c'est la guerre, affirme Machiavel dans l'ouvrage qu'il consacre à César Borgia, le Prince.
Notre héroïne, Francesca, est instituée en narratrice actrice de cette romance. On n'imagine donc pas la voir disparaître du scenario avec une fin tragique, comme la renaissance italienne en a le secret dans ses régressions barbares. Elle prend le lecteur à témoin, ce qui est pour le moins singulier pour un personnage de l'histoire lointaine, mais pourquoi pas. L'artifice a son intérêt. C'est une façon d'impliquer le lecteur dans le scenario.
Parce qu'il ne tombe pas dans le panneau de l'exploitation du côté glauque de la légende, ce premier tome la saga Borgia de Sara Poole semble le fruit d'un travail sérieux sur l'histoire de cette famille. Il encourage à poursuivre l'aventure avec ce personnage fictif habilement glissé dans les couloirs des palais romains. Empoisonneuse à la cour des Borgia, voilà une fonction pour le moins insolite quand elle est affichée en titre officiel à la cour d'un prince, puisqu'il faut considérer le pape avec ce rang politique au temps de la renaissance italienne. Mais pourquoi pas. C'est un roman. Il se lit bien et il est prenant.
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