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Critique de Alzie


Au milieu d'un florilège d'étés avec des écrivains : Pascal, Valery, Montaigne, Proust, Victor Hugo, Homère, Machiavel etc… le jeune Postel (pas Jean-Philippe que j'aime bien mais Alexandre dont je n'avais rien lu) invente un Automne de Flaubert où il saisit l'écrivain en pleine débâcle littéraire et pécuniaire à Concarneau où celui-ci a décidé, à la mi-septembre 1875, de rejoindre deux connaissances pour se changer les idées (Georges Pouchet savant naturaliste et Georges Pennetier directeur du Muséum de Rouen). Une échappée d'arrière-saison tonique et plutôt savoureuse pour le lecteur malgré la déprime de l'écrivain dont la sinistrose pendant cette parenthèse bretonne n'entame jamais la placidité assurée de ses deux acolytes. Trois personnages donc dans ce petit “roman” et un cadre marin pour faire se tutoyer littérature et sciences dites autrefois naturelles. Entre coquillages et crustacés, dans les relents de retours de pêches et de sardines éviscérées, les odeurs d'huile rance des vieilles conserveries de la Ville Close, voilà Flaubert installé à la pension Sergent et sa table trop bien garnie : “gorgé de homards et de tourteaux”. C'est l'ami Pouchet qui la lui a recommandée. Entre un voisin de chambre qui tousse gras, des cabinets trop éloignés, une aimable Charlotte auprès de laquelle il ne se sent plus de conter fleurette… il attend des lettres de Caroline (sa nièce) fixant son sort à Croisset, s'essouffle à la nage sur la plage des Dames et, de rêves en cauchemars, apparaît d'abord tel « un gros enfant qui mange, dort, chie et trompe l'ennui comme il peut » (p. 109).

Dans la chambre où il se morfond et « fait des siestes trop longues », c'est là justement que le guette Postel. Car là prend corps, sur le papier du moins – entre dégustations, excursions et dissections au vivier laboratoire –, le plan et l'ébauche de la légende de Saint Julien L'hospitalier ; un jour de repli quand Pouchet a annoncé qu'il n'y aurait pas de promenade possible. D'un bref et intense moment biographique (du 16 septembre au 1er novembre 1875) bruissant des silences éloquents dont la littérature aime s'emparer, Postel construit une mise en scène vivante faite de réminiscences et d'une succession de tableaux où peuvent même s'immiscer à l'occasion d'une procession de Pardon à Pont-Aven d'anciennes divinités païennes. Il raconte un "sursaut intérieur", malaxe la vase de l'ennui et les ruminations flaubertiennes qui précèdent l'acte d'écrire à l'origine du conte médiéval le plus échevelé qui soit (Saint Julien est le premier des Trois Contes, dernière oeuvre achevée publiée de Flaubert souvent présentée comme son apothéose stylistique, après une longue série de revers critiques qui l'ont assez ébranlé pour lui faire envisager d'en finir avec l'écriture). Un dialogue silencieux semble s'installer. Tandis que les deux savants s'absorbent dans leurs travaux respectifs, Pennetier adepte de la théorie de la génération spontanée avec ses infusoires et Pouchet se plongeant dans les entrailles d'une raie ou "mutilant" un turbot, Flaubert en perte de son art, comme ce homard qu'il a vu muer a laissé sa carapace, s'abandonne à la substance des vieilles légendes ancrées dans son souvenir et à la matière colorée des éclats d'un vitrail de la cathédrale de Rouen pour accoucher de sa créature. A chacun d'aller puiser dans ce petit récit plein de verdeur au style réjouissant ce que peuvent avoir à se dire littérature et anatomie...
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