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Critique de LibraireTemeraire


Déjà auteur de Cinéphilo (qui a reçu un bon accueil de la critique et engendré une suite parue cette année), Ollivier Pourriol délaisse, avec Eloge du mauvais geste le domaine du septième art pour s'attaquer à celui du ballon rond. Une approche philosophique du football ? Pas seulement. Pourriol s'est intéressé plus particulièrement, comme l'indique le titre de son ouvrage au mauvais geste dans le football, ce qu'il peut signifier ou représenter. On verra d'ailleurs que la symbolique du mauvais geste est très importante pour cet auteur.

Les mauvais gestes sur lesquels Pourriol revient sont au nombre de six. Il s'agit du ‘coup de boule' de Zidane, de la main de Dieu de Maradona, de la main de Thierry Henry face à l'Irlande, de l'agression d'Eric Cantona à l'égard d'un supporter, de celle de Schumacher face à Battiston et enfin de la joie de Platini lorsqu'il marque en finale de la Ligue des Champions et laisse éclater sa joie alors que des dizaines de supporters sont morts dans les tribunes quelques instants auparavant.
la main de Dieu de Maradona

Les mariages entre deux éléments antinomiques sont toujours des preuves d'audace, que ce soit en art culinaire, en littérature ou autres. Cependant, un mets comme le canard à l'orange fait partie intégrante des recettes traditionnelles de fin gourmet et un poème comme ‘Le sonnet du trou du cul', même s'il amuse par sa thématique, laisse les littérateurs sur leur séant face à la maîtrise métrique et stylistique de Verlaine et de Rimbaud. Ainsi peut-on s'amuser de voir paraître l'Eloge du mauvais geste, et ce, pour plusieurs raisons. Car, et c'est un lieu commun – mais les clichés ont la vie dure – football et choses de l'esprit ne font pas forcément bon ménage (la confession de Loïc Rémy avouant – s'enorgueillissant ? – n'avoir jamais lu de livre de sa vie tend d'ailleurs à le confirmer). Est-ce à dire que tous les amateurs de football sont des décérébrés patentés ? Probablement pas, auquel cas je serait tenu de m'inclure dans le nombre. On compte d'ailleurs de nombreux amateurs de football tant chez les écrivains que chez les intellectuels en général. On peut citer notamment Albert Camus (qui, enfant, était gardien de but en Algérie) : « Ce que je sais de la morale, c'est au football que je le dois ». Ainsi si, comme le considérait Coluche, avec l'esprit d'équipe, il y a un esprit dans une équipe et que les joueurs sont forcés de partager, on peut se laisser aller à penser que si c'est avec l'esprit de Camus qu'il faut partager, il y en aurait assez pour onze.

Selon Pourriol, le mauvais geste est inattendu, il n'est pas prémédité. Chacun des mauvais gestes en question a échappé à l'arbitre, mais ils ont également échappé à leur auteur qui, « dans un éclair de liberté sidérant, […] invente un geste inouï qui révèle le revers de son génie. […] Comme un chef-d'oeuvre à l'envers. » A travers ce livre, Pourriol aborde entre autres, quels peuvent être les enjeux de ces mauvais gestes, ainsi note-t-il au sujet du coup de tête de Zidane: « La seule beauté qui reste dans la défaite, écrivait Michaux, jouer une défaite plus grande. Zidane, par son geste inouï en finale de la Coupe du monde 2006, ne joue même plus une défaite plus grande, mais se défait de la question de la défaite ou de la victoire. » Il n'est plus ici question de football. Face aux injures proférées par Materazzi, Zidane choisit de défendre son honneur et celui des siens en se faisant justice lui-même.

La notion de justice revient d'ailleurs à plusieurs reprises dans le livre de Pourriol. Elle est bien évidemment une question centrale puisque l'arbitre, comme déjà évoqué, se voit dépassé lors de la création du mauvais geste. Mais le philosophe va plus loin. Pour Maradona, l'injustice est d'être si petit face à un gardien anglais d'une stature aussi imposante. Face à cette injustice, instinctivement, il corrige ce qui est inné et s'agrandit… par le bras. Il se fait ainsi justice lui-même et marque le premier but face à l'Angleterre… injustement. Ce droit à s'affranchir de la justice, il le fera valoir quelques minutes plus tard en effectuant cette chevauchée fantastique, légendaire, avant de marquer son second but du match et de propulser ainsi son équipe en demi-finale de la Coupe du monde 1986. Mais ce qui est intéressant c'est de considérer comment Maradona lui-même aborde ce mauvais geste. Car là où un Thierry Henry se montre penaud là où il faut confesser une faute, Maradonna assume. Pire, c'est lui qui invente l'idée de la main de Dieu. C'est lui qui en fait un culte. Messi imitera d'ailleurs le geste de son modèle et arborera fièrement l'inscription La mano de Dios sur ses Adidas lors de la Coupe du monde 2006.

Pourriol propose une approche très intéressante du mauvais geste, même si, en bon philosophe qu'il est, il tend parfois à un peu trop intellectualiser les choses. Ainsi lorsqu'il évoque le fait que Zidane a du mal à s'exprimer face à son geste et tente de s'expliquer en bafouillant, le philosophe considère que « les déchets [de langage] n'en sont pas, recèlent cette part de vérité que Freud assignait au lapsus. Ici on n'a pas affaire à un lapsus : Zidane affirme que son geste, loin de lui avoir échappé, l'exprime pleinement, et s'appuie sur une idée de la justice qu'il importe de défendre. » Ne pourrait-on pas quand même voir dans ces déchets des déchets?
Lien : http://lelibrairetemeraire.b..
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