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Critique de tamara29


L'Arbre-Monde de Richard Powers m'a scotchée, émue, captivée, pulvérisée…
Une émotion rare à l'état pur. Une émotion qui ressemble fort à celle qu'on recherche en commençant chaque livre. Comme un coup de poing. Telles les racines aériennes d'un figuier des banians, il m'a ligotée pour m'attirer dans son monde. Lilliputienne, je suis entrée à petits pas comme on entre dans la forêt de Brocéliande, regorgeant de lutins planqués derrières les fougères, de fées cachées derrière les troncs imposants des châtaigniers ou des chênes. Peu à peu, je me suis perdue dans la jungle amazonienne, ébahie par sa faune et sa flore gigantesques, époustouflantes, me rappelant à chaque pas qu'on est bien peu de chose à côté. Nous ne sommes que grains de poussière de quelques années parmi tous ces sages centenaires, voire millénaires. Juste un peu de compost qui nourrira, fertilisera -on l'espère au mieux- quelques-uns d'entre eux ainsi que tout l'écosystème alentour. On leur doit bien ça (ce qui permettrait par là-même de résoudre le problème de places dans les cimetières. Mais, il parait que les corps ne se décomposeraient plus, à force de consommer des antibiotiques et des aliments contenant conservateurs… Fichtre, partant de ce constat-là, cela signifierait qu'on serait au mieux classé « E » sur l'échelle Nutri-score des aliments pour les plantes.)

Un roman frisant avec l'essai botanique, intelligent, foisonnant, luxuriant de beauté et de douleur, de poésie et d'espoir, d'alertes et de cris écologiques.
Un roman qui se déroule aux Etats-Unis et où se mêle l'histoire de 9 personnages auxquels on s'attache, à qui on ressemble un peu, de certains qui butent contre une branche, ramassent une feuille, plantent un arbre dans le jardin. 9 personnages qui ont chacun une essence d'arbre particulière dans leur histoire personnelle ou qui les représentent (châtaignier, murier, érable, chêne, tilleul, pin, hêtre, chêne vert jusqu'au Ginkgo Biloba, dit fossile vivant).
Et c'est le début d'une grande histoire d'amour avec les arbres et la forêt. le début d'un lien qui se tisse comme une liane entre la nature et l'homme. le début d'une union entre des personnes qui ne se connaissaient pas mais qui vont entremêler leur vie pour tenter de sauver les arbres. Telles les racines de deux sapins de Douglas qui peuvent fusionner sous terre pour ne plus former qu'un. Telles des ramifications visibles ou non ou encore le souvenir qu'une partie de nos gênes vient de l'Arbre.
Une saga, des années de passion, de sang et d'amour, des histoires qui naissent, qui poussent, qui grandissent comme un séquoia et qui meurent parfois. Une histoire de différences aussi, de solitude, loin des hommes ou trop près de ceux que nous sommes devenus, à détruire, saccager la nature sans nous rendre compte qu'on se détruit nous-mêmes, qu'on crache dans la main qui nous nourrit, qui nous donne de l'oxygène.

Il était étonnant et dérangeant de savoir qu'en même temps que je lisais ce livre sur les arbres, la forêt amazonienne était en proie aux flammes. Difficile de ne pas mentionner ce drame écologique le plus grave de ces derniers mois, pour ne pas dire des dernières décennies alors que j'écris ces quelques mots. Malheureusement, se contenter de critiquer Bolsonaro et la politique de déforestation serait simpliste et discutable. Nous, européens, donneurs de leçons, sommes aussi les consommateurs de soja, d'huile de palme et de bois (la France aurait d'ailleurs importé du bois tropical d'Amazonie coupé illégalement). Il vaut mieux donc que je referme cette lourde parenthèse sur ces incendies, même si justement la déforestation est au coeur de ce livre.
Je confesse que ma main s'emballe en écrivant un billet écologiste, un brin militant, illuminé ou exagéré pour certains peut-être ; l'action de la photosynthèse n'agissant pas aussi bien sur moi que sur les plantes, sans doute. D'ailleurs, j'ai bien conscience d'écrire un billet (qui se voulait petit) un peu fouillis, passant d'un thème, d'une émotion à une autre.

Dire que j'ai adoré ce roman ne serait pas tout à fait approprié. Dire qu'il m'a happé serait plus proche de la réalité. Ce roman était tellement puissant et captivant que pendant plusieurs jours ce fut mon rendez-vous fort et indispensable de la journée.
Pour être sincère, je ne cache pas que, durant la lecture, il m'est arrivé de me dire que la rencontre entre certains personnages faisaient un petit peu trop ‘'bonbon sucré'' (et mon billet a peut-être ce goût-là aussi). J'avoue surtout m'être un peu essoufflée au milieu du roman (de plus de 530 pages), dans la partie où certains personnages se faisaient plus ‘'activistes''. Heureusement, la suite a repris de la consistance plus émotionnelle à mon goût. Et c'est cela que je retiens.
J'étais si souvent émerveillée par ces lignes de poésie, de lumière, toutes ces pages regorgeant d'informations botaniques sur les arbres et leur intelligence (notamment aéroportée), leur communication, leur mémoire et tout ce qu'ils fabriquent en plus de leurs bois et fruits (les cires, gommes, sucres, etc.). La liste des variétés d'arbres, de petites bestioles tout autour, de termes scientifiques s'allonge tellement au fil des pages que cela pourrait rebuter certains à la longue, car nous sommes loin d'être tous des dendrologistes ou botanistes. Et j'étais impressionnée par l'énorme connaissance de Richard Powers et de son travail de recherche sûrement aussi conséquent.
Forcément, par jeu de miroir, je me sentais frustrée de ne pas connaître toutes ces espèces énumérées à la pelle, de ne pas avoir l'image exacte de toutes ces variétés, agacée de ne pas avoir eu plus d'intelligence ou de curiosité pour en apprendre plus de ce qui m'entoure.
Je me sentais déchirée face à la destruction, à la mort des arbres, ulcérée, en colère, triste, comme je l'étais devant les images de la forêt amazonienne qui brulait. J'étais heureuse, souriant à ces différents personnages avec qui on se lie parce qu'ils ont l'intelligence d'ouvrir les yeux pour nous, le courage d'agir pour sauver les arbres, la planète et nous-mêmes. Des personnages de nature diverse, aux parcours différents, qu'ils soient scientifique, avocat, créateur de jeux vidéo, étudiant, marginal ou un peu idéaliste ou illuminé (je ne suis donc pas toute seule). Et c'est justement cela que l'on retient : quels que soient leur histoire, leur vécu, leur passé, quelles que soient les raisons et sensibilités de s'intéresser à ce sujet, quel que soit le temps plus ou moins grand que cela leur prend, ils finissent par comprendre l'importance, l'utilité, les bienfaits des arbres, de la forêt pour la biodiversité, pour le présent, pour le futur. Ils comprennent l'importance de réveiller les consciences, de nous faire ouvrir les yeux sur ce que nous sommes en train de faire, d'agir et de trouver des solutions…

Depuis mon enfance, j'ai été nourrie par la sève des arbres, amoureuse de la nature et reconnaissante de ses bienfaits sur mon humeur… Et sûrement que la majorité des lecteurs de « L'Arbre-Monde » sont comme moi, déjà curieux, sensibles et soucieux de l'environnement (ajoutés au fait que ce roman a reçu le prix Pulitzer 2019).
J'ai l'impression que l'arbre est très à la mode ces dernières années (« Dans la forêt », « La vie secrète des arbres », « Serena ») et peut-être certains se sont dit « Allez… Encore un qui surfe sur la vague écolo, l'arbre mon ami, mon frère ».
Effet de mode ou pas, on s'en moque. le tout est que cela fasse son petit bonhomme de chemin dans les esprits (et si possible assez rapidement), parce qu'il est urgent d'inverser la tendance, il est temps de revenir aux fondamentaux.
D'ailleurs, à bien y réfléchir, la forêt a toujours été énigmatique et mystérieuse (« Robin des bois », « le baron perché » sans oublier bien sûr « le petit chaperon rouge » ou « Bambi » !) ou encore célébrée (« Walden ou la vie dans les bois » de Thoreau, « L'homme qui plantait des arbres » de Giono, « Célébrations de la nature » de Muir…). On a même coupé beaucoup de bois pour l'encenser, mazette… (« Mazette », c'est parce que j'essaye de prendre quelques bonnes résolutions pour la rentrée).

Les arbres étaient là bien avant nous, et, je l'espère, seront là bien après nous. Nous, êtres humains, sommes jeunes sur cette planète, des petits bambins… Et pourtant, en un ‘'rien de temps'', nous avons réussi à l'abimer, nous sommes en train de la détruire… Nous sommes « arrivés » après et pourtant nous, mammifères dits intelligents, doués de raison, de conscience et de sentiment (…) mais sûrement aussi égoïstes, égocentriques, nombrilistes, inconséquents, aveugles, blasés, nous nous octroyons le droit de propriété, le droit de vie et de mort sur ce qui nous entoure, alors que c'est justement ce qui nous entoure qui nous permet de respirer, de vivre.

Ce roman-manifeste de Powers nous ouvre bien plus grand les yeux qu'auparavant sur l'urgence écologique. C'est un livre puissant dans lequel j'ai appris énormément sur les arbres. Mon regard sur ces plantes ligneuses terrestres sera à jamais différent, plus aiguisé et bien plus ému qu'auparavant.
A force de lectures, de discours écologiques -qui telles de petites graines s'infiltrent et poussent dans notre cerveau-, peut-être finirons-nous par apprendre, comprendre, être plus attentifs et respectueux, et témoigner aux arbres -et à la nature dans son ensemble- plus de reconnaissance et de bienveillance ?

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