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Kevin Powers - Yellow Birds - 2012 : Murphy et Bartle, deux gamins avides d'aventures et de reconnaissance s'engagent comme beaucoup d'autres pour aller combattre en Irak. Il faut dire que la société américaine engendre des bataillons de jeunes hommes désoeuvrés prêt à suivre l'oncle Sam dans ses pérégrinations guerrières. Tout est bon pour vivre autre chose que le train-train des petites villes de province américaines rongées par le conformisme et l'absence de perspectives. Murphy sort à peine de l'enfance et très vite pendant les classes il forme avec bartle un duo de copains qui voient arriver l'heure du départ avec la satisfaction de ceux qui se voient déjà célébrés comme des héros à leur retour. L'angoisse est pour les familles et les proches et le jour de la séparation une promesse bien trop lourde pour ces jeunes âmes est arrachée à Murphy avant l'embarquement. La guerre telle qu'elle est décrite ici n'est pas différente pour les soldats modernes des conflits qui ont eu lieu dans le passé. le champ de bataille respire la mort de la même façon et le stress du combat s'affiche dans chaque page comme dans celles des grands chefs-d'oeuvre qui ont décrit la guerre par le passé (A l'ouest rien de nouveau, Les croix de bois, La ligne rouge). L'Irak est un piège et chaque soldat se sent pris dans la nasse, acculé par des combats d'une violence et d'une sauvagerie qui les dépassent. Les médias ont beau annoncer que l'ennemi est écrasé, sur le terrain c'est la peur qui sort victorieuse. le drame frappe nos jeunes héros comme la foudre tombe presque au hasard sur le promeneur attardé qui tente de se protéger sous un arbre. La mort va trancher avec la responsabilité pour celui qui reste de n'a pas avoir su respecter sa parole de garder l'autre en vie. Mais cette promesse arrachée par un mère inquiète pouvait elle être tenue alors que le feu renvoi ces soldats au rang de jeunes enfants effrayés. Mères dressez vous toutes ensemble !!! Que vous soyez américaine, irakienne, russe, ukrainienne, israélienne ou palestinienne, empêchez qu'on prenne vos enfants pour satisfaire les instincts belliqueux d'une minorité en mal de pouvoir et de sang. Kévin Powers livre un roman presque autobiographique. Dans une vie précédente, il a combattu en Irak et les difficultés pour se réadapter à la vie civile après les combats qu'il raconte ici, il les a connus lui aussi. L'enfer est à celui qui reste dit-on car il ramène sa guerre chez lui avec son cortège de barbarie, de terreur et surtout de regret. Grâce à ce livre éreintant, le lecteur n'ignorera rien des états d'âme d'une génération de soldats ballotés dans un monde irrespirable entre le chômage, la précarité, la violence des réseaux sociaux et le traumatisme lié au combat qu'on trimbale toute sa vie quand on ne laisse pas sur le champ de bataille une jambe, un bras ou son existence... édifiant
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Al Tafar. Province de Ninawa. Irak.
Bartle et Murphy sont embarqués dans le bourbier irakien sous les ordres de Sterling. le premier a promis de ramener Murph vivant au pays. Mais comment tenir une promesse quand les atrocités sont votre lot quotidien, quand la peur vous tenaille vingt quatre heures sur vingt quatre, quand vous êtes aux lisières de la folie ?
Et puis malgré tout, il y a ceux qui rentrent au pays avec des cauchemars pour des vies entières. Comment se reconstruire quand on reçoit en pleine gueule ce qu'une jeunesse ne pourrait imaginer ?
Kevin Powers a combattu là-bas. Son récit est tout simplement prodigieux, d'une brutalité et d'une poésie rarement égalé. On ose espérer qu'il exagère (sans y croire une seconde), ça vous prend aux tripes, ça vous mets la nausée au bord des lèvres, la violence, la peur, la mort sont là insoutenables. Kevin Powers signe un récit qu'on est pas près d'oublier.
Il y a des romans qui s'impose comme une évidence. Celui-ci en est un.


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Les enfants adorent jouer à la guerre.
« Pan pan, j't'ai tué ! Raaaah, je joue plus avec toi, t'es jamais mort »
Seulement voilà, les gamins grandissent. Il arrive même parfois que certains, encore à peine sortis des jupons maternels, y soient envoyés au nom de la mère patrie. Et là, fini l'insouciance. Bonjour tristesse. Découvrir la solitude, dominer sa peur, gérer ce besoin de tout plaquer pour retrouver le giron familial mais surtout tuer, décimer, buter, exterminer sans aucun état d'âme. Jamais bon les remords sur le front.

Bartle et Murphy sont inséparables. Agés respectivement de 21 et 18 ans, ils sont soldats en Irak.
Bartle a fait une énorme connerie. Si s'engager semblait déjà ne pas être l'idée du siécle, promettre à la maman de Murphy de ramener son petit vivant lui collera douloureusement à la peau comme le fameux sparadrap du capitaine Haddock. Rien de pire qu'une promesse non tenue...Sinon deux, peut-être...

S'inscrivant dans la droite ligne d'un Full Metal Jacket, Powers le bien nommé vous flingue le moral à la vitesse d'une balle de M16.
La guerre, c'est moche. le retour à la vie civile guère mieux.
Sous les ordres de l'animal à sang-froid qu'est le sergent Sterling, le quotidien pue la charogne et la désolation.
Murphy y est resté. Bartle en est revenu mais à quel prix ?
Marqué au fer rouge par le conflit Irakien, hanté par la disparition de son frère d'arme, il n'est plus qu'une ombre au pays des vivants.

Un court récit maîtrisé de bout en bout qui fait la part belle à l'horreur des combats tout en insistant savamment sur les répercussions psychologiques de la chose. L'écriture touchante empreinte de douceur contraste avec la sécheresse du propos. Un bouquin exempt de tout espoir qui pourrait bien faire réfléchir, allez savoir, les va-t-en-guerre de tout poil...
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Je lis assez peu de romans sur la guerre, mais suite à un échange avec Isidoreinthedark sur une de ses critiques, celui-ci m'a orientée vers une lecture qui l'avait fortement marqué par sa puissance lyrique, celle de « Yellow Birds » de Kevin Powers dont le titre s'inspire d'un chant militaire américain.

« Un moineau jaune / Au bec jaune / S'est penché / Sur ma fenêtre / J'lui ai donné / Une miette de pain / Et j'lai éclaté / Ce putain d'serin… »

Le titre fait aussi référence au rôle des canaris dans les mines de charbon comme détecteur de monoxyde de carbone. Les gaz toxiques tuaient les oiseaux avant les mineurs, donnant l'alerte et leur offrant un peu de temps pour évacuer avant que l'explosion ne se produise. En utilisant cette métaphore, l'auteur souhaite montrer la détresse des anciens soldats et le choc du retour à la vie quotidienne.

J'ai aimé ce titre d'une poésie et d'une profondeur incroyables au regard du thème et c'est ainsi que j'ai abordé ce roman dont je n'avais jamais entendu parlé. Merci Isidore.

*
Le soldat Murphy, 18 ans, et le soldat Bartle, 21 ans, sont envoyés à al Tafar, à l'extrême nord de l'Irak, près de la frontière syrienne. Ils ne se connaissent pas, mais vont devenir frères d'armes, se protégeant l'un l'autre des dangers incessants.

Bartle reviendra changé de la guerre. Victime du syndrome de stress post-traumatique, il est impuissant à se réintégrer au monde civil.

« J'étais devenu une espèce d'infirme. »

Les séquelles de la guerre sur le jeune soldat ne sont pas corporelles, mais psychologiques.
Son esprit en lambeaux, gangréné par la violence et la mort, est resté piégé dans le désert irakien. Désorienté, il ne sait comment reprendre pied dans ce monde qu'il ne comprend plus. Il ne sait pas comment recoller les morceaux de son être qui se sont éparpillés aux quatre coins de la Province de Ninawa.

« Si je ne pouvais pas oublier, j'aspirais du moins à être oublié. »

Ses réflexions tournent en boucle, revenant sans cesse sur un évènement traumatisant en particulier. Petit à petit, le lecteur comprend ce qui s'est réellement passé.

*
La structure fractionnée, non linéaire du récit, permet de mieux nous décrire l'état d'esprit du jeune homme.
En effet, les chapitres alternent plusieurs temps qui s'accordent : son engagement dans l'armée, sa rencontre avec Murphy, son service en Irak et son retour à la vie civile en Virginie. Mais cette histoire m'a fait l'effet d'un boomerang, car même revenu chez lui, la guerre reste toujours présente dans sa tête.

J'ai saisi pleinement sa souffrance intérieure, sa pensée embrumée par des images de combats et de tueries, ses sentiments de peur et de honte quant à ses actes en temps de guerre, sa culpabilité d'être toujours vivant alors que tant de camarades sont morts si brutalement.
J'ai également perçu de manière plus subtile, un détachement par rapport aux évènements qu'il subit, aux hommes de son unité, à la mort qui le frôle sans cesse, comme si son corps et son esprit se détachaient l'un de l'autre pour mieux supporter la barbarie du monde qui l'entoure.

« Je me souviens comme j'étais assis par terre dans les broussailles, terrorisé à l'idée de devoir montrer ce que j'étais devenu. Pourtant, personne ne me connaissait vraiment dans ce coin, mais j'avais l'impression que si je rencontrais qui que ce fût, il devinerait ma déchéance et me jugerait instantanément. Rien ne vous exclut plus que d'avoir une histoire singulière. du moins, c'est ce que je croyais. À présent, je sais : toutes les douleurs sont identiques. Seules changent les circonstances. »

A travers le regard et les mots de Bartle, Kevin Powers donne la parole à tous ces soldats revenus brisés de la guerre, eux qui, le plus souvent, ont choisi le silence pour affronter leur traumatisme. Il met des mots sur leur souffrance, leurs peurs, leur détresse, leurs regrets.
Il évoque aussi la solitude de ces soldats devant le regard ignorant et admiratif des proches qui n'ont pas souffert de la guerre et qui les accueillent en héros alors qu'ils se sentent meurtriers dans l'âme.

« Les secrets que l'on garde pour soi sont les plus lourds à porter. »

*
On ressent une pudeur dans ce récit, mais également une grande sincérité. En effet, Kevin Powers, vétéran de l'armée américaine, a servi en Irak de 2004 à 2005 dans la région de Tall Afar et de Mossoul, les mêmes régions et au même moment que celles où patrouillent Bartle et Murphy dans le roman.
La violence des combats n'est pas esquivée, elle est présente, mais l'auteur a fait le choix audacieux et surprenant de décrire son expérience de la guerre dans une fiction mettant en avant les sensations, les émotions, les sentiments, la violence psychologique, les traumatismes plutôt que des descriptions de guerre.
Le rendu est aussi beau que poignant.

« Tu n'es rien, voilà le secret : un uniforme dans une mer de nombres, un nombre dans une mer de poussière. »

*
J'ai lu qu'au retour du front, Kevin Powers avait obtenu une maîtrise en poésie. Cela se ressent dans son écriture. Je l'ai trouvée belle et originale pour un roman sur la guerre.

« Lorsque les obus de mortier tombèrent, les feuilles, les fruits, les oiseaux s'effilochèrent comme des bouts de corde. Ils gisaient sur le sol en un tas épars ; un enchevêtrement de plumes déchiquetées, de feuilles lacérées et de fruits éventrés. Les rayons du soleil glissaient entre les cimes, scintillant ici et là sur le sang d'oiseau et les citrons. »

Il décrit aussi la beauté du monde et ces éclats de lumière amènent une touche de douceur et d'apaisement. Les couleurs, les sons, les odeurs sont très présentes dans ce roman.

« Une aigrette vola juste au-dessus de mon épaule et rasa la surface de la rivière de si près que je songeai qu'il était impossible qu'un corps pût rester si près d'un autre en contrôlant parfaitement sa position. Mais le bout des ailes de l'animal filait malgré tout sans même effleurer quoi que ce fût. L'oiseau, qui semblait ne prêter aucune attention à ce que je pouvais penser, vira légèrement et disparut avec une grâce extrême dans l'éclat du soleil. »

*
Pour conclure, ce récit, aussi poétique que brutal, nous immerge dans la guerre et dans l'esprit des soldats.

« La guerre fabrique surtout des solipsistes : comment vas-tu me sauver la vie aujourd'hui ? En mourant, peut-être. Si tu meurs, j'ai plus de chances de rester en vie. »

Kevin Powers livre un témoignage émotionnellement fort sur la guerre et la vie qu'il faut redécouvrir après les combats. Ce récit admirable et émouvant offre une réflexion profonde sur la liberté, la peur des combats, la futilité de la guerre, l'amitié, le poids de la honte et du mensonge.
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Tu te souviens de ces images qui repassaient en boucle sur ton téléviseur Samsung dernier cri ? Des flashs spéciaux se multipliant jusqu'à fusionner avec ton temps pour te tenir informé à la minute près, 24/24 – 7/7. L'info en continu. Comme le présentateur semble apprécier cette phrase. La guerre, de nos jours, se passe river sur son écran dans ton salon, un logo sponsor en bas gauche de l'écran et un clignotant ‘DIRECT' en haut droite. Des éclairs dans la nuit et des feux d'artifice de technologie. Pendant que toi, tu bois une bière, humide et mousseuse. Irak, printemps 2005.

Le soldat Bartle et le soldat Murph, deux jeunes recrues envoyés dans le désert. Pas vraiment d'explication, ni même de justification à cette guerre. Ils y sont sous l'ordre du sergent Sterling, un habitué de cette campagne. La guerre, pour ceux-là, c'est du concret. Un casque, un fusil, une lunette de visée et du sable. Beaucoup de sable et de chaleur. Un soleil à rendre fou, à moins que cela soit la guerre qui rend ‘fou'. Je ne sais pas.

Kevin Powers, un premier roman, « Yellow Bird ». Un coup de poing, un coup de coeur. L'histoire est touchante bien que cruelle. C'est la guerre, normal. Des morts et des innocents morts. Mais au-delà du scénario – nul doute que cela pourrait devenir un film – il y a la construction du roman en lui-même qui est appréciable. Les souvenirs se mélangent dans la voix du ‘héros', images de la guerre, images de la libération, retour en ses terres, images de sa Virginie natale – avant. Puis après, douloureux retour, incapacité à vivre après avoir survécu à cette parade meurtrière, sentiment de culpabilité, d'avoir laissé partir des gars là-bas et être revenu.

Une pensée est apparue sous la chaleur de mon casque : j'étais heureux de ne pas m'être pris une balle. Je m'étais dit combien j'aurais souffert si j'avais été celui étendu là en train de mourir, à regarder les autres qui l'observaient agoniser. Et moi aussi, même si c'est avec tristesse à présent, j'avais songé intérieurement, Dieu merci, il est mort et pas moi. Dieu merci.

De quoi il est question en fait ? de se demander pourquoi une telle guerre ? de se demander pourquoi je suis un survivant et pourquoi mon camarade de chambrée, celui sur qui je devais veiller juste parce que j'avais trois ans de plus, n'est pas revenu. J'avais promis à sa mère de veiller sur son fils, mais cette promesse fut vaine et inutile. Je suis vivant, à quoi bon ? le retour à la vie civile, une vie normale, m'est devenu inenvisageable, surréaliste même. Voilà le constat fait de la vie de ce soldat, trop jeune pour mourir, mais pourtant qui a trop vécu pour survivre après cette guerre.

La guerre, Kevin Powers ira de bon gré. Pas besoin de se poser la question du bien-fondé, de délibérer sur une éventuelle justification. La solidarité envers ses frères d'armes, voilà ce qui compte. le retour sera plus douloureux, plus dramatique même que cette période dans le désert. Parce que de nouveau au pays, il se rend compte que cette guerre ne reposait sur rien, ou si, sur de pieux mensonges. Les soldats gardent une part d'humanité qu'à leur retour on semble leur retirer ; Mais lorsqu'ils tirent sur des civils, juste par peur ou par ordre, la plume de l'écrivain témoigne encore d'une note de poésie et de magie. L'oeuvre d'un grand écrivain. Peut-être ne sera-t-elle qu'une unique oeuvre dans la vie de cet ex-soldat, mais celle-ci est tellement forte qu'il ne faudrait pas détourner les yeux.
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Bartle, après ses études a choisi de s'engager dans l'armée. C'est lors de la période de formation militaire qu'il rencontre Murphy de trois ans plus jeune, originaire lui aussi de Richmond en Virginie. Les deux jeunes, idéalistes sont pris en charge par Sterling, un instructeur particulièrement dur, mais juste, dont l,aspiration est de les préparer aux dangers et risques de la guerre. Les trois hommes sont envoyés en Irak et Bartle décide de prendre sous son aile Murphy, jusqu'à promettre à la mère de ce dernier, de le ramener en vie.

Yellow birds est un roman court mais prenant, alternant les périodes de formation, celle des combats et le retour du jeune Bartle, 21 ans. Une histoire de crédulité en le discours séduisant des recruteurs de l'armée, un destin qur l'on veut glorieux ou une envie de se réaliser dans une mission héroïque ou quelque fois, s'enrôler dans l'armée pour devenir ce que l'on pense être un homme responsable. Bartle lui, s'est pris d'amitié pour Murphy, encore gamin et cette responsabilité va le hanter plus qu'il ne le pensait. Dès l'arrivée en Irak, les deux jeunes sont confrontés à des actes violents, qu'ils doivent assumer ou couvrir et le déchaînement de cette violence fera perdre ses dernières illusions au jeune Bartle. Un retour difficile à la vie normale, pour un militaire qui a perdu plusieurs de ses amis, une réadaptation difficile à la vie civile et des comptes à régler avec soi-même.
Un roman très humain qui dépeint la guerre et ses horreurs mais surtout qui met l'accent sur le ressenti du jeune Bartle, bouleversant ses croyances...Kevin Powers livre un roman dans un style de toute beauté, de l'Amérique qui se veut gagnant mais au prix du sacrifice de ses enfants...les yellow birds, les moineaux jaunes sont les paroles d'un chant militaire américains.
Poignant et humain.
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Malheureusement pas autant emporté que ce à quoi je m'attendais avec Yellow Birds de Kevin Powers – traduit par Emmanuelle et Philippe Aronson – qui a peut-être souffert d'un trop plein d'enchaînement de livres de guerre ces derniers temps.

J'y ai cependant retrouvé avec plaisir ce que j'avais apprécié dans L'écho du temps : une grande habileté dans la construction du livre, fait d'allers-et-retours entre le service en Irak du soldat John Bartle à l'automne 2004 et son difficile retour au pays quelques mois plus tard ; la beauté du style de Powers, extrêmement travaillé, faisant de ce livre une lecture exigeante qu'on ne peut lire en dilettante ; et le grand travail sur les personnages, plongée introspective sans jugement dans la psychologie traumatisée de ces soldats décidément trop jeunes pour subir cette violence.

Mais au-delà de ces réussites, je suis resté assez loin de cette énième récit de l'impossible retour post-conflits, cherchant en vain l'originalité. le déficit de préparation, le trauma des combats à la déloyale, l'importance du frère d'armes, l'insupportable regard positif et enthousiaste des autres lors du retour, la difficile gestion solitaire de l'après, sont des thèmes ayant ici un air de déjà lu.

Il n'en reste pas moins que Yellow Birds est un livre marquant, témoignage précieux du théâtre opérationnel irakien et de la folie guerrière qui traverse les époques et meurtrit les jeunes hommes sans discontinuer.
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A vingt ans, Bartie est un jeune Américain comme un autre. A vingt-deux ans, c'est un homme détruit, menacé d'une peine de prison. Entre ces deux anniversaires, c'est la guerre en Irak qui a tout ratiboisé. Comment reprendre une vie normale après vingt mois d'enfer ? Comment retrouver le goût de vivre après avoir perdu des dizaines d'amis ? Comment revenir dans sa chambre d'enfant et faire comme si rien de s'était passé ?

Mais le passé n'oublie pas, et finit toujours pas nous rattraper …

"Lorsque j'essaie de m'en rappeler dans le détail, je n'y parviens pas. Lorsque j'essaie d'oublier, le souvenir revient d'autant plus vite et avec d'autant plus de force. Sans trêve."

Entre document et roman, Yellow Birds est le premier texte que je lis sur la guerre en Irak, du point de vue des Américains, et d'autant plus du point de vue d'un jeune soldat, de mon âge, dans un carnage du XXIe siècle.

C'est là-bas en effet que Bartie va laisser sa jeunesse, ses illusions, entre le moment de son engagement et la mort de son ami le plus cher, Murph. Tout le texte est tourné autour de ce dernier, dont on sait qu'il est mort à 18 ans, 10 mois après son engagement, dans des circonstances troubles. Des circonstances dans lesquelles le jeune Bartie ne semble pas être totalement innocent, ce qui le taraude depuis son retour, d'autant qu'il avait promis à sa mère de le ramener vivant.

"Dix mois, plus ou moins, depuis ce jour jusqu'à celui de sa mort. Cela peut sembler court mais toute mon existence n'a depuis été qu'une digression sur ces jours-là. Et cette période semble à présent suspendue au-dessus de ma tête telle une querelle qui jamais ne s'apaisera."

Pour comprendre, il reprend toute son histoire depuis le jour de son incorporation, son entraînement, leur arrivée en Irak, les opérations diverses et variées. Et puis le décompte des morts, qui les frappe de plein fouet à chaque fois.

"Il semble absurde à présent que nous ayons pu voir en chacune de ces morts une affirmation de nos propres vies. Que nous ayons pu croire que chaque mort appartenait à un temps donné et que par conséquent ce temps n'était pas le nôtre. Nous ne savions pas que la liste était infinie. Nous ne nous étions pas projeté au-delà de mille. Nous ne nous étions jamais dit que nous pourrions faire partie des morts vivants. "

Ce qu'il y a de grand dans ce roman c'est qu'il n'y a pas de jugement, de parti pris : le narrateur subit cette guerre, comme une fatalité. Et l'auteur ne fait passer aucun message. Car il ne s'agit pas seulement de cette guerre, mais de toutes les guerres de l'humanité qui ont rendu fou puis fauché des jeunes gens dans la fleur de l'âge, siècle après siècle. Et il n'existe toujours pas de remède pour rendre supportable cette horreur (heureusement …). La guerre, ce n'est donc pas seulement celle d'Irak, qui se vit sur le terrain, c'est aussi celle de ramène le narrateur dans sa tête : alors qu'il rentre chez lui et redécouvre les paysages familiers, il se surprend à entrevoir les terrains favorables à une attaque, une butte pour se cacher, un buisson pour se camoufler. Désormais, la guerre ne le quittera plus.

A yellow bird with a yellow bill
Was sittin' on my window sill
I lured him in with a piece of bread
And then I smashed his little head

Un roman puissant, intemporel, magnifique.
Lien : http://missbouquinaix.wordpr..
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À l'image de ses personnages John Bartle et Daniel Murphy, Kevin Powers, s'était engagé dans l'armée américaine et avait combattu en Irak entre février 2004 et mars 2005.
Pourquoi..? Et pourquoi Bartle, 21 ans, et Murph, 18 ans, eux, se font enrôler? Comme pour d'autres aspects de ce récit souvent économe en termes d'éléments purement contextuels ou psychologiques, l'auteur ne s'attardera pas trop sur les raisons qui les avaient conduits à rejoindre l'armée. On laisse plutôt au lecteur le soin d'imaginer, à partir de quelques indications en filigrane (le souvenir évoqué du travail à la mine, comme son père, par Murph ; le besoin de prouver «qu'il était un homme», pour Bartle..) les contours d'un arrière-fond social et familial ayant participé à cette décision : des jeunes paumés, un milieu socio-économique plutôt défavorisé, la rage d'en découdre face à l'absence de perspectives d'avenir, l'Amérique profonde... Allways the same old story..! À quoi bon insister, n'est-ce pas?
Si, toujours selon Kevin Powers, YELLOW BIRDS est né de son envie de témoigner de «ce qu'a représenté physiquement, émotionnellement et psychologiquement » pour les jeunes de sa génération engagés comme lui en Irak, c'est néanmoins sous les traits d'une oeuvre de fiction que l'auteur aura choisi d'en évoquer les ravages psychologiques subséquents, souvent sous-estimés et sommairement évalués par les services médicaux de l'armée lors du retour à vie civile («Question 2 : Vous avez tué ou vu quelqu'un se faire tuer. Evaluez votre état émotionnel en cochant l'une des deux cases suivantes : (A) Ravi / (B) Mal à l'aise » !), séquelles parfois conséquentes que les spécialistes assimilent aux «syndromes de stress post-traumatique». Aux États-Unis, le SSPT semble toucher un nombre important de vétérans, avec des conséquences quelquefois tragiques et irréversibles pour les sujets concernés (des statistiques indiquent un taux de suicide dans ce groupe plus de deux fois supérieur au reste de la population ; un nombre considérable de fusillades publiques dans le pays sont perpétrées par d'anciens combattants…).
En lisant le roman, on peut d'ailleurs légitimement se demander si l'écrivain n'en aurait personnellement fait l'expérience. le style brisé, emprunté par une plume qui paraît en état permanent d'hypervigilance, la structure éclatée de son récit, la puissance sensorielle et à fleur de mots qui imprègne son écriture sont des éléments qui pourraient sûrement y faire songer.

L'histoire imaginée par Kevin Powers paraît pourtant de prime abord assez attendue dans ce registre particulier. le thème de son roman, sans le talent indéniable dont l'auteur saura faire preuve, aurait pu aussi créer chez le lecteur une certaine sensation de déjà-lu et déjà-vu… Un thématique somme toute assez familière aux lecteurs actuels, tournant autour des traumatismes psychologiques des vétérans de guerre, de la difficulté à se réadapter et à se réinsérer dans la vie courante lors de leur retour à vie civile (à ce sujet, la guerre du Vietnam notamment, aura fourni matière à de nombreux récits et adaptations cinématographiques devenus depuis des incontournables du genre). Tous les éléments d'usage y pointent bien d'ailleurs, dans YELLOW BIRDS: le combat acharné contre la peur, les pactes imaginaires passés avec la mort, la volupté provoquée par la montée d'adrénaline, la haine et la «chosification» de l'ennemi, les exactions et les exécutions sommaires, les profils borderline en position de commandement, l'horreur innommable des corps mutilés, déchiquetés, la perte irréparable d'un camarade proche… Certes, dans un contexte revu ici à l'aune des conflits actuels et essentiellement non-territorialisés contre le terrorisme en Moyen-Orient, touchant de manière dramatique et indiscriminée combattants et populations civiles, se traduisant la plupart du temps par des opérations de terrain dépourvues d'une réelle stratégie militaire cohérente, et surtout de toute convention éthique de guerre, passée entre les belligérants, croisades modernes incapables de dresser de garde-fous solides contre la dissémination de la haine à l'état pur, s'enlisant en une sorte de guérilla brutale, sans issue, où les dérapages sont fréquents et les individus plongés dans une climat d'irréalité et d'absurdité aux conséquences psychologiques particulièrement délétères.
Ce sera cependant dans le traitement purement littéraire et très original de ce matériau brut que YELLOW BIRDS fera en fin de compte la différence par rapport à d'autres récits du genre. Par une construction essentiellement immersive, par une syntaxe en apparence simple mais très souvent au bord de la rupture de sens, par une imagerie incongrue et poétique qui envahit soudain des remémorations d'événements par ailleurs absolument terrifiants, leur conférant par la même occasion une beauté inusitée d'ode funèbre (personnellement, à la lecture de certains passages me seront revenus à l'esprit les vers sublimes du «Dormeur du Val»), par ses reconstitutions à l'aspect incomplet, par ses dialogues à moitié suspendus, par ses silences également, l'auteur forgera un langage original qui fait éprouver au lecteur, à lui aussi de manière plus intuitive que rationnelle, l'immense désarroi subjectif de son personnage narrateur, son incapacité à vivre dans le moment présent, le morcellement de ses pensées et de son sentiment d'identité propre.

Septembre 2004 : des obus de mortier traversent l'espace au-dessus des bâtiments poussiéreux d'Al-Tafar ; par une chaleur étouffante, Bartle se souvient pourtant «d'avoir eu l'impression de [se] retrouver dans une rivière glacée aux premiers beaux jours du printemps, trempé, terrifié et le souffle coupé». Un an après, en août 2005, de retour chez lui à Richmond, John Bartle rentrera effectivement, sans aucune préméditation, dans les eaux du James River et se laissera flotter à la dérive, frôlant encore une fois la mort, cette fois-ci dans l'espoir de pouvoir «dormir et oublier».
Mais depuis où se souvient-il exactement le narrateur quand il raconte les événements? Dans son errance sans but, la nature, les courants d'eau, ainsi que ses souvenirs en général, s'entremêlent, les images se superposent, les distances s'annulent. de retour d'Irak, Bartle ne se sent qu' «un intrus» dans le paysage qui lui était familier. La-bàs, à Ninawa, à la confluence du Tigre et de l'Euphrate, alors qu'il «faisait feu sur tout ce qui bougeait», il se rappelera avoir touché et vu s'écrouler un homme près de la rive. À cet instant-là, nous dit-il, «je reniai les eaux de mon enfance». Les souvenirs du Tigre ou de la baie de Chesapeake, du James ou du Chatt-el-Arab ne lui appartiennent plus, «mais à quelqu'un d'autre ; peut-être n'avaient-ils jamais vraiment été miens ».


Kevin Powers construit un récit qui s'ajuste au fur et à mesure à l'état de sidération de son personnage, psychiquement écorché, soumis à des aller-retour incessants entre passé et présent, à des flash-backs lui faisant revivre en boucle les visions, les sons et les odeurs qui continuent de squatter sa sensorialité, à une distorsion spatio-temporelle qui ne lui laisse d'autre alternative que de s'isoler et chercher une sédation dans l'alcool. Par une grande sobriété dans l'expression des sentiments, l'auteur évitera cependant le piège facile du pathos larmoyant et édifiant. Face aux images de cauchemar qui hantent l'esprit de Bartle, de morts-vivants retenant de leurs mains leurs viscères déchiquetées, de cadavres de civils, y compris de femmes et enfants, gisant dans les ruelles poussiéreuses d'Al-Tafar, ou encore de son compagnon et frère d'armes, capturé, torturé puis émasculé avant d'être décapité, les effets provoqués par cette économie de moyens en seront d'autant plus saisissants, troublants pour le lecteur, témoin ahuri, impuissant, aussi démuni que le personnage face à l'absurdité de cette boucherie inutile. «Oh Barbara, quelle connerie la guerre ! »

Cette écriture « stupéfiante » nous rappelle la puissance inouïe dont peuvent se parer des mots simples grâce à leurs résonances insoupçonnées, leurs assemblages intuitifs, leur poésie inusitée. Mots induits par une logique autre que celle d'une raison provisoirement hors service. Mots aussi aux vertus potentiellement cathartiques, comme dans les tragédies antiques. Si, comme l'on a souvent dit, «un mot peut tuer», des mots peuvent également être en mesure de ramener à la vie et parfois, comme ce fut visiblement le cas ici, de faire naître un jeune écrivain.

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Coup de poing du sergent Sterling! Rompez soldat!
Car jamais Bartle n'aurait du promettre à la mère de Murphy de prendre soin de son fils et de le ramener vivant.
Murphy ne reviendra pas...

Irak, 2004. Engagés dans une sale guerre, deux jeunes hommes perdent toute innocence dans les combats de rues éternellement recommencés, encadrés par des gradés désabusés et épuisés. Ils fonctionnent en mode automatique dans une nébuleuse de violence et de mort. Certains autour d'eux résistent avec rage et détermination, certains autres disjonctent peu à peu...

Quelque soit l'époque, la raison du conflit et les motivations des combattants, la guerre fracasse les hommes, et, si elle les laisse vivants, elle les rend infirmes dans leur corps et dans leur tête.
Au retour au pays, être vétéran entraine toujours les mêmes effets : décalage total avec la brutalité des combats. Il ne reste que honte, culpabilité et parfois déchéance, avec l'absurdité de cette période de vie perdue, qui change un homme définitivement.
Comment peut on être l'assassin qu'on fête?
Comment Bartle peut-il vivre avec cela, en ayant raté la seule chose sur laquelle il s'était engagé: sauver son copain?

Très belle lecture.
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