Un
Stevenson dopé à la testostérone !
Un
Kipling bercé aux illusions perdues !
Un London qui visite l'éden !
Un lecteur qui lit de bâbord à tribord, déboussolé par des personnages qui changent souvent de cap et qui passent à travers les planches de cette merveille de BD pour harponner les voyeurs.
Hugo Pratt, qui a toujours revendiqué l'influence de ces trois immenses écrivains et
Milo Manara, disciple émancipé au trait coquin, ont réalisé au début des années 90 ce bijou de littérature dessinée.
Mais commençons par saluer la magnifique présentation de l'ouvrage par
Michel Pierre qui nous offre en guise de préface des croquis préparatoires et la genèse de ce récit d'aventure.
Seconde collaboration après « l'Eté Indien » en 1983, Pratt écrivit la quasi-totalité de ce scénario qui illustre la frénésie coloniale des grandes puissances au début du 19 ème siècle, prêtes à tout pour s'assurer le contrôle des océans et des mers, la libération des peuples opprimés comme alibi. Les esclaves, victimes de la traite comptent les points entre deux massacres, comme à l'Eurovision, tanguant entre la peste et le choléra, fatalistes et convaincus que peu importe le vainqueur, ils seront toujours les perdants de l'histoire.
L'action se déroule le long du rio de la Plata, littéralement « le fleuve d'argent », estuaire qui sépare l'Argentine de l'Uruguay. le bout du monde à l'époque, un horizon que les anglais et les espagnols se disputent.
La petite histoire dans la grande histoire réunit un jeune tambour écossais, Tom Browne et Molly Malone, prostituée Irlandaise, embarquée à bord de la flotte britannique avec ses consoeurs pour assurer le repos du guerrier.
Par dépit amoureux, n'ayant pas le goût du partage, Tom Browne se porte volontaire pour partir en éclaireur à terre et se retrouve prisonnier des Espagnols. Molly et quelques compagnons quittent aussi le navire pour retrouver le jeune tambour et déserter un destin qu'ils savent funeste, assoiffés de liberté.
Les autres personnages ne sont pas de simples ornements à vignettes. Que ce soit le bossu, amoureux transit de Molly, certains Indiens, sages ou révoltés, certains officiers cupides de la marine britannique ou la jeune espagnole de bonne famille sensible au charme de Tom Browne, ils affichent tous une vraie présence dans l'histoire et de forts caractères. Des tas d'états d'âmes qui permettent aussi d'illustrer de façon réaliste la dimension historique du récit.
Sans surprise avec
Manara, les combats et le sexe sont plutôt crus, sans préliminaires, mais le fracas des armes et l'exotisme de ces latitudes ne pouvaient être confiés à un dessinateur pudibond. le lecteur ira néanmoins à confesse sans risquer la fessée car il s'agit avant tout d'un récit d'aventure bien troussé.
Molly Malone, belle insoumise, capture les regards dès la couverture de cet ouvrage que je vais m'empresser de déposer dans ma malle au trésor en espérant que dans quelques années, il y aura encore quelques explorateurs pour s'extasier de la découverte d'un album délavé qui aura résisté à la vague manga.