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Critique de CorinneCo


Une fureur irrigue le premier roman d'Ismet Prcić. La fureur de l'exil, de la guerre, de l'adolescence, de la création artistique, la fureur de la vie et de la mort tellement imbriquées qu'elles ne se reconnaissent qu'à grand peine. C'est un roman frénétique, rapide. La phrase qui se termine est bousculée par la suivante, par l'idée qui la chevauche, qui veut presque la chasser et prendre sa place. Cela donne de la puissance, une forme un peu chaotique et emportée qui peut désarçonner. L'écriture vive, simple et tellement actuelle circule aisément. L'humour, le désespoir, l'amour, l'absurdité et la terreur l'irriguent. L'autobiographie dans le roman, le roman dans l'histoire de cette guerre des Balkans. Ismet Prcić a un imaginaire naturellement exalté, il observe sa ville, Tuzla, ses habitants, sa famille, lui-même, son quotidien d'enfant et d'adolescent avec un humour féroce, un désespoir tranchant, une dramaturgie à la fois sèche et foisonnante. Chaque situation ne demande qu'à être poussée pour tomber dans la farce, le burlesque. Entre l'affliction la plus sincère et le rire, le lecteur oscille. La réalité des faits est lustrée et distanciée par l'introduction d'un personnage imaginaire (dixit l'auteur) un double salutaire, lui permettant une distanciation schizophrénique de la guerre. Nous ne savons plus qui a vécu quoi ; lui, le double, les deux à la fois ? Qu'importe. Mustapha est le témoin invisible qui endosse la réalité de la guerre et sa vérité. Jorge Semprun avait lui aussi "inventé" son témoin invisible dans "le grand voyage". Mustapha, l'autre mental d'Ismet Prcić existe peut-être quelque part et sûrement. Qu'il soit resté en Bosnie-Herzégovine ou qu'il est réussi à immigrer, il personnifie le vécu de la guerre logé à l'intérieur de soi comme un abandon de l'âme. C'est aussi le récit de l'exil, d'une identité qu'on essaie de déliter pour qu'elle vous encombre un minimum et ne vous rappelle pas trop à l'ordre. J'ai aimé ce roman émotionnel troublant et un peu fou. Ce n'est pas une chronique sur une vie en temps de guerre, d'une ville assiégée et s'en est une. Ce n'est pas une autobiographie d'un adolescent qui veut vivre ses rêves d'adolescence et rester encore un peu dans l'enfance et s'en est une. Ce n'est pas le récit d'un exil et s'en est un. C'est un jeu de dominos où on aurait donné un coup de pied, par jeu, par exaspération, par dépit, par défi.
Je remercie Cioran d'avoir attiré mon attention (avec beaucoup d'enthousiasme) sur ce livre et j'espère que cette appréciation lui parlera.
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