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Écrire, est-ce devenir ce que nous écrivons ? Surtout lorsque la vie est désorganisée, difficile et qu'elle manque d'intrigue ? Pouvons-nous trouver dans l'écriture une échappatoire, vivre par procuration ? La vérité des faits et la vérité de l'imagination sont bien toutes deux des vérités, une objective, une subjective, mais bien deux réalités…Alors quelle est la « vraie » réalité ? Est-ce important de le savoir ? Christopher Priest entrelace les deux, joue avec son lecteur, il entremêle avec subtilité les différents niveaux de réalité, fiction dans le récit et récit dans la fiction, manuscrit dans le récit et récit dans le manuscrit, au point d'instaurer le doute en nous…Et nous ne savons plus, au milieu du livre, quel est le vrai récit et le récit affabulé !

Pourtant, au début du livre, quelque peu pétrifiée je suis restée. Au bord. A la lisière. Ce livre avait tout pour me plaire, notamment cette réflexion sur la réalité et la fiction, sur la distinction entre faits et souvenirs, entre faits et imagination, sur le pouvoir de la littéraire, de l'art, et son impact sur la vie. Ces questions ont souvent le don de me fasciner, je pense notamment à Philippe K.Dick qui reste pour moi le maître en la matière dans cette confusion entre rêve et réalité, dans cet effacement des frontières entre déréliction et faits…Mais je n'ai pas réussi à plonger immédiatement dedans et me suis carrément ennuyée par moment. Même la poésie déployée par l'auteur n'a pas réussi au départ à me convaincre et à m'emporter.
Et puis au tiers du livre ça a fonctionné, et là, je l'ai lu d'une traite, comme pétrifiée, cette fois non par une certaine indifférence mais par un pur plaisir qui devenait de plus en plus grand au fur et à mesure de ma progression. L'idée de l'écrivain qui se raconte par l'écrit, puis se relit pour revivre dans sa lecture est étonnante, riche et déroutante.

« La recréation artistique constituait une vérité plus haute que le simple souvenir. La vie pouvait être rendue en termes métaphoriques. Les détails concrets de ma vie scolaire, par exemple, ne présentaient qu'un intérêt anecdotique, alors que considérés métaphoriquement comme une forme d'apprentissage et de croissance, ils acquéraient une dimension plus large et plus haute ».

Les premiers chapitres m'ont bien plu, nous découvrons un homme, Peter Sinclair, anglais, qui a perdu presque en même temps son père, son travail et sa compagne qui vient en effet de le quitter. Beaucoup de pertes cumulées pour un seul homme. Enfermé dans le cottage d'un ami de la famille, il va se livrer avec frénésie à l'écriture d'un récit au point de ne plus manger, ne plus se laver, et laisser la maison prêtée dans un état déplorable. L'écriture de ce récit est tout d'abord autobiographique et basé sur ses souvenirs puis devient peu à peu métaphorique. Une métaphore du lui-même. Il est très intéressant d'être témoin de l'évolution de cette construction et de voir émerger les nombreuses questions passionnantes qui émergent de cette foisonnante créativité littéraire.

« Ces deux versions de lui étaient vraies, mais d'une vérité différente. L'une était sordide, déplaisante et définitive. L'autre tenait sa vraisemblance de ma seule imagination ».

Et, subitement, sans prévenir, nous sommes dans ce récit, dans le livre, dans cette réalité parallèle que vit Peter Sinclair lors de l'écriture de son récit. Quelques pistes nous étaient données, il est vrai, alarmes que nous avions contournées « Écrire, c'était devenir ce que j'écrivais » répète—il souvent dans les premiers chapitres. Peter Sinclair est un autre homme, citoyen d'un monde imaginaire avec sa mer Centrale, sa cité de Jethra et son foisonnement d'îles exotiques - parmi lesquelles la mythique Collago, où la Loterie offre aux heureux gagnants l'accès à l'immortalité...en contrepartie d'une amnésie. Peter Sinclair a gagné à cette loterie et le voilà pris dans l'étau des questionnements dans ce choix cornélien entre immortalité et perte de mémoire ou mort proche et mémoire intacte, conscient d'être ce qu'il se souvient, si l'athanasie lui enlève la mémoire il ne sera plus la même personne, perdra sa continuité support à son identité.

« La peur de la mort n'est pas seulement la crainte de la souffrance, l'humiliation de perdre ses facultés, la chute dans l'abîme…mais la peur primordiale de pouvoir s'en souvenir ensuite… ».

Bon d'accord, me suis-je dit, les ficelles sont grosses, nous voilà dans le récit, dans cette vie métaphorique dans lequel Peter Sinclair se sent davantage en phase et qui lui permet de se connaitre et de mieux se définir. D'accord, intéressants ces passages et ces réflexions sur l'immortalité. Sauf que…sauf que dans le récit, ce Peter Sinclair a écrit un récit, métaphorique, pour mieux se connaitre, qui va lui servir de béquille pour se préparer à l'athanasie, un récit autobiographique dans lequel il a inventé un monde totalement exotique : il y parle d'une drôle de ville dénommée Londres, de cottages, d'un certain Hitler…quelle imagination…Et là, là seulement, j'ai commencé à me régaler et à trépigner, me demandant ce qu'il allait advenir. Quant à la fin elle est tout simplement jubilatoire !

Roman vertigineux sur le rôle de l'écriture pour mieux se connaitre et connaitre les autres, La fontaine pétrifiante ne se laisse pas approcher facilement. Pour boire à son eau, et être pétrifiée d'admiration par ce récit, ou plutôt ces récits enchâssés, il faut se laisser aller et accepter cet exercice de style labyrinthique, qui parfois perd le lecteur pour mieux le reprendre ensuite, il faut comprendre qu'il y a plusieurs lectures possibles, plusieurs interprétations, il faut savoir cueillir les indices. Et percevoir que derrière ces récits enchâssés, une histoire profondément humaine et tragique se brode. Quel brio ! Pour moi, ce fut une fascination qui est montée crescendo après un début difficile pour finir en apothéose !

C'est le deuxième livre que je lis de Christopher Priest. « le monde inverti » m'avait marquée par son mouvement spatio-temporel incessant, cette volonté d'avancer sans relâche, coute que coute, vers le futur, être figé dans le passé pouvant détruire. Au propre comme au figuré. Là, nous sommes dans une approche du temps presque inversé, où le temps figé est mis à l'honneur. Immortalité, écriture au détriment de la vie, écriture comme substitut à la vie, écriture pour vivre par procuration, souvenirs du passé comme fondements essentiels de notre identité. Ce sont apparemment des thèmes chers à l'auteur autour desquels il tourne en de multiples variations. Et bien sûr le thème de la réalité : notre réalité n'est-elle pas uniquement celle que nous croyons, aussi peu réelle qu'elle puisse paraitre aux yeux des autres ? J'aime également, dans ses deux livres, cette façon d'aborder la SF en s'ancrant dans le monde qui est le nôtre. Ces livres restent largement accessibles même aux personnes non férues de SF. Christopher Priest, un auteur anglais à l'univers singulier dont je désire poursuivre l'exploration !
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Je suis littéralement bluffé. Ce bouquin est un véritable et un formidable exercice de style. Je n'ai jamais douté que Christopher Priest fut un grand écrivain, mais je dois reconnaitre que je l'avais encore sous-estimé. J'avais décidé de garder ce titre, point de départ de L'Archipel du Rêve, à découvrir après les autres ouvrages traitant de ce merveilleux monde imaginaire. Et j'ai bien fait.

La Fontaine Pétrifiante, qui porte bien son nom en français par rapport au contenu, mais dont le titre anglais "The Affirmation" permettait un jeu de miroir avec la nouvelle The Negation parue en premier dans le livre d'or de la SF, est à mes yeux un chef d'oeuvre de la littérature. D'ailleurs ce livre est absolument à la portée de tout lecteur. Sans en dévoiler l'intrigue et vous gâcher le plaisir, il s'agit aussi bien de littérature générale que de science-fiction.

Là où ce roman est incroyable, c'est qu'il permet plusieurs lectures, plusieurs interprétations, grâce, comme à l'accoutumée chez cet auteur, à tout un univers purement métaphorique. Les indices sont distribués à des moments parfaits. Les scènes entre les deux mondes se font parfaitement écho. La réflexion sur le travail de composition de l'écrivain qui se raconte lui-même puis se relit ensuite pour revivre dans sa lecture, est simplement géniale et nous emporte pour mieux nous perdre puis nous reprendre ensuite. Et en trame de fond, une vraie histoire authentique qui se tisse, se brode, se dévoile, nostalgique, tragique.
C'est un livre sur le caractère particulier d'un homme qui doit essuyer une accumulation de malheurs au même moment, et qui décide de partir s'isoler de tout afin de réfléchir à ce que pourrait être sa vie ensuite. Mais cet homme a une imagination hors du commun, à tel point que l'on peut se demander s'il n'a pas déjà imaginé et écrit l'introduction que je viens de vous mentionner.

C'est digne d'un K. Dick dans sa plus grande forme, mais sur un autre ton, moins écriture sous effets de quelconque drogue tout de même.

Non mais plus sérieusement, Priest a atteint ici le summum, l'apogée de son talent.

Allez hop, dans mes livres pour une île déserte....
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Je viens de terminer la lecture de ce roman et mon avis est assez partagé.

D'un côté, j'ai beaucoup aimé toutes les réflexions autour de la mémoire, des souvenirs et de leur importance dans la construction d'une personne. Il y a aussi le thème de l'écriture pour se trouver, se comprendre. Je pense aussi à ce bouquin de Visker Deloinne que j'ai trop envie de lire (oui je sais que « Renonciation » est un livre fictif) sur le refus de l'athanasie, sur la vie et la mort. En bref, j'ai noté une bonne dizaine de citations. C'est un fait, Christopher Priest écrit des phrases sublimes.

D'un autre côté, l'histoire en elle-même m'a profondément ennuyée. Les trois premiers chapitres m'avaient bien embarquée mais dès le quatrième, je suis restée sur le quai. Un petit sursaut d'intérêt à partir du chapitre 20 mais… oui je l'avoue, je n'ai rien compris. Quoi que peut-être qu'à la fin tout s'explique… Sauf que la fin

Retour sur l'Archipel du Rêve… je n'avais pas trop accroché à cet univers. Je crois que ce cycle n'est pas pour moi.

Ne jugez surtout pas ce livre sur mon avis car c'est un bouquin vraiment à part dans lequel il est littéralement possible de perdre pied. C'est juste que moi, ce n'est pas mon truc.




Challenge défis de l'imaginaire 2019
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Deux mondes parallèles, celui du l'Angleterre qu'on connaît, ou semble connaître, l'autre, un monde imaginaire rempli d'îles innombrables. Apparemment ce monde est celui du Manuscrit de Peter Sinclair, mais il ne faut pas se fier aux apparences, c'est bien là tout l'intérêt de ce roman. L'histoire évolue d'un univers à l'autre, les deux histoires se recoupent, se croisent, s'imbriquent judicieusement pour n'en faire qu'une. Évidemment, on ne peut éviter toutes les métaphores possibles, l'immortalité de l'écrivain, le rapport entre la fiction et la vie personnelle de celui qui la crée… C'est un roman sur la perception, sur la réalité, une variante de la caverne de Platon, qui nous entraîne bien plus loin qu'une simple histoire d'écrivain qui vit dans sa fiction, on navigue entre métaphore poétique et schizophrénie furieuse, l'équilibre se tient sur le fil du rasoir. J'ai adoré m'y perdre, accepté de ne pas croire plus en la réalité qu'en la fiction. Christopher Priest a semé au fil des pages, quelques petits dérapages volontaires pour nous faire perdre pied et nous plonger dans le doute, pour rendre l'abîme encore plus profond. Nos sens sont sollicités, l'écriture est juste, le rythme parfaitement maîtrisé, la construction efficace, les surprises au rendez-vous… J'adore quand les récits jouent avec notre perception de la réalité, quand tout ce qui y est raconté peut être sujet au doute, je suis fan de Terry Gilliam et j'ai retrouvé ici cet aspect schizophrène génial. Ce fut une lecture absolument jouissive !
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Il est un peu paradoxal de trouver autant de qualités à un livre qu'on n'a pas trop aimé ! Dans ce roman de Christopher Priest, il est question d'autobiographie, de mémoire, d'imagination et d'imaginaire, du réel, de métaphore, de la mort, de mélanges de tout cela, avec quelques échappées vers la folie. Et fondamentalement, de dualités. Il n'y a guère que le thème, permanent, de l'insularité qui ne fonctionne pas en miroir. Et ce jeu de miroir renvoie à quelques autres oeuvres anglaises telles "Le Faiseur d'histoire" de Stephen Fry ou, au cinéma, "Pile et Face/Sliding Doors" de Peter Howitt. Autant de thèmes fascinants, autant de raisons qui auraient pu me faire adhérer, de la part de l'auteur déjà apprécié du "Monde inverti" et surtout du "Prestige".

Dans la première partie du "Monde inverti", on suivant poliment une histoire dont les ressorts finissaient par apparaître et nous happer, voire nous fasciner. Il en est un peu de même ici, d'autant que le livre débute de manière presque précieuse (très bien rendue, comme tout du long, par l'excellente traduction de Jacques Chambon), puis s'installe dans discours lent, très analytique et autocentré, plein de digressions, en lien avec les thèmes, mais qui alourdissent la lecture. Tout aussi poliment, par respect, par curiosité et espoir, on s'accroche donc à l'histoire. Une première bascule intervient, qui introduit une certaine action, qui anime un peu la lecture, mais celle-ci conserve foncièrement la même lenteur, les mêmes auto-analyses, rapidement pesantes.

Plusieurs ressorts, dans les situations, dans l'opposition des argumentations, éveillent suffisamment l'attention pour éviter de refermer le livre. Qui plus est, Sur la promesse d'une fin réussie (comme l'étaient celles des précédents), je me suis donc accroché. Et si la toute fin ne peut s'empêcher de décocher un sourire complice, elle vient conclure une séquence finale qui n'est pas un aboutissement. La relecture du premier chapitre confirme bien que celui-ci contenait bien les avertissements et les clés du livre, mais il n'empêche : je n'ai donc pas eu grand plaisir à le lire. Sa construction est soignée, ses thèmes sont majeurs, et j'ai trouvé dans ce travail sur les dualités une illustration intéressante sur celle de la littérature et de la vie. Mais le ton du livre nécessite une humeur, dégage un genre de poésie auxquelles je n'ai pas été suffisamment sensible, et dans un sens je le regrette.

PS: Les deux titres, aussi bien l'anglais (The Affirmation) que le français (la Fontaine pétrifiante) sont un autre sujet de conjecture, tant ils semblent mal contenir l'étendu du propos du livre.
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Sans doute une de mes lectures les plus marquantes cette année!
Je n'aurais jamais choisi ce roman sur la base de la quatrième de couverture. « Roman sur l'acte d'écrire, rêverie poétique sur l'eau et la terre, méditation sur la mémoire et la mort » : beaucoup trop intellectuel pour moi tout ça.
Mais voilà, comme souvent, c'est souvent en sortant de sentiers battus que l'on trouve des pépites inattendues.
Le récit suit les méandres des aventures de Peter Sinclair. Où l'on passe de sa situation compliquée (il vient de perdre son travail et de se séparer de sa compagne) à un monde imaginaire issu de sa plume, composé d'îles exotiques où il est possible de gagner la vie éternelle.
Tantôt fiction dans le récit, tantôt récit dans la fiction, Christopher Priest entremêle avec talent différents niveaux de réalités dans lesquels il est plus ou moins plaisant de se promener, mais que la curiosité pousse à découvrir malgré quelques amers passages. Avec sans doute le final le plus … le plus… qu'il m'ait été donné de lire. Je ne trouve pas bien le mot ;). L'impression d'avoir assisté à un cours magistral d'un maître, que tous les romans qui cherchent à surprendre leurs lecteurs n'ont, ni ne pourront, égaler.
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C'est ma troisième incursion dans l'Archipel du rêve, après avoir lu « L'inclinaison » et « L'archipel du rêve ».
Ce roman, paru en 1981, est probablement le tout premier à explorer cet univers. Seules, peut être certaines nouvelles de « L'Archipel du rêve » sont-elles plus anciennes…

J'ai été tout d'abord décontenancé car la narration semble au début relativement simple, tout entière située dans l'Angleterre du milieu des années 1970. Mais rapidement les choses deviennent temporellement plus complexes. le monde de Peter Sinclair, le personnage principal, va bifurquer, grâce à l'écriture d'un roman supposé refléter sa vraie vie, vers deux réalités parallèles.

C'est dans cette seconde réalité, ou pour employer un des termes du roman, dans cette sous-vie, que Peter va naviguer dans cet Archipel, avec pour destination une île où l'attend un traitement médical qui devrait lui permettre de prolonger sa vie de manière conséquente.

Véritable ode aux pouvoirs des mots, de l'écriture ce roman est un autre exemple du grand talent de Christopher Priest.

Un seul point, mais de taille, m'a gêné : il est beaucoup question de relations de couple chaotiques, ce que j'ai trouvé assez plombant et répétitif. Mais il reste suffisamment de très belles trouvailles de narration pour contenter même un vieux grincheux comme moi.
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L'archipel du rêve, rien que ce choix pour nommer l'ensemble d'îles qui abrite plusieurs de ses textes permet de se faire une idée du point de départ de l'imaginaire de C Priest. La réalité se mélange au rêve, elle se dissout à tel point que le héros et le lecteur ne savent plus si ils vivent/lisent une description de la réalité ou la vision d'un fantasme. le personnage se persuade de cette réalité et nous avec, c'est tout le talent de l'auteur qu'il porte avec un mélange de poésie et de fantastique. Une expérience qu'il faut vivre/lire absolument.
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Nous sommes à la fin des années 70. La Grande-Bretagne, confrontée à l'échec de son système social, amorce une régression que Peter Sinclair, l'anti-héros De La Fontaine pétrifiante, vit au quotidien. Il a perdu son emploi et il sait qu'il sera bientôt mis à la porte de son appartement, sans espoir de trouver une nouvelle location. On comprend à des allusions voilées qu'il vient de traverser une crise sentimentale au terme de laquelle son ex-compagne a tenté de se suicider. C'est alors qu'il rencontre un ami de son père, qui lui confie les clefs de sa résidence secondaire, en échange de quelques travaux de rénovation.

Sinclair se retrouve donc seul, isolé au fin fond de la campagne anglaise dans cette maison trop vaste, où il va rapidement définir les limites de son territoire. Loin de le stabiliser, cette situation nouvelle lui offre l'occasion de donner libre cours à ses continuelles ratiocinations et auto-analyses pessimistes. Bientôt, il ressent le besoin impérieux de coucher son histoire sur le papier. Après quelques tentatives infructueuses, il décide d'adopter la forme d'une fiction. C'est alors qu'émerge de son imagination l'univers des Iles, déjà utilisé par Priest dans un recueil de nouvelles, L'Archipel de rêve. Etrange mélange de SF et d'exotisme traditionnel, transposition onirique du quotidien, ce monde prend une consistance étonnante en plein coeur de l'environnement anglais contemporain.

L'arrivée de sa soeur va provisoirement arracher Sinclair à son univers fantasmatique. L'aide familiale lui offre alors une possibilité de réinsertion sociale. Poussé par sa parente, il renoue même avec son ancienne amie. Louable intention, mais funeste erreur : la réunion des ingrédients qui ont conduit à la première crise ne peut que produire le même tragique résultat. de toute façon, pour Sinclair, il est trop tard : monolithique, incapable d'infléchir son mode de raisonnement névrotique, il s'enfonce de plus en plus dans son univers schizoïde, sans espoir de retour. La fontaine pétrifiante, curiosité naturelle de son monde fantasmatique, où les objets quotidiens se couvrent de calcaire, est la métaphore même de cette cristallisation irréversible de son esprit.

La psychologie de Sinclair, vue de l'intérieur, est très finement suggérée. le ton est juste, l'univers angoissant de la névrose est restitué avec un réalisme à la limite du supportable. Jamais on ne ressent de compassion pour ce personnage froid, destructeur, absorbé par lui-même comme par un gouffre, que ses tendances schizoïdes transforment peu à peu en étranger universel.

Le récit se déroule dans les deux « réalités » où évolue le personnage, mais une construction particulièrement rigoureuse permet au lecteur de ne jamais perdre le fil de l'action. le propos est lacunaire : Sinclair n'explique et ne décrit que ce qu'il veut (ou que ce qu'il perçoit) ; cependant on devine très vite que sa vision du monde diverge sensiblement de celle des autres témoins de son histoire ; les pistes et les éléments d'interprétation, habilement distillés par l'auteur, nous donnent la possibilité de reconstituer progressivement le véritable drame qui se joue au fil des pages, jusqu'à la conclusion, faussement ouverte.

La Fontaine pétrifiante est de loin la meilleure oeuvre de Christopher Priest. merveilleusement servie de surcroît par la traduction de Jacques Chambon. Quoique d'une approche difficile, c'est un grand roman, qui comblera les amateurs de SF autant que de littérature générale.

Lien : https://www.babelio.com/monp..
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Certainement pas le roman le plus accessible de Priest et sûrement pas celui que je conseillerais pour découvrir ce formidable auteur, je demeure malgré tout sous le charme, décidément, de l'écrivain britannique. Grâce à une très belle plume, superbement mise en valeur par le traducteur, Jacques Chambon, Priest parvient à nouveau à nous embrouiller tout au long d'un roman abordant la quête de soi, la quête initiatique, la recherche absolue de la Vérité, l'Amour mais aussi la folie, les névroses et la fuite dans l'imaginaire. Parfaitement construit comme toujours, jusqu'au frisson de la dernière ligne.

Un très bel auteur décidément.

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