Parler de Racine c'est parler d'un génie dramatique. Difficile tâche.
Phèdre la femme passion, coupable d'un amour incestueux, fort et dévastateur, pour Hyppolyte le fils de son mari Thésée. Phèdre, descendante maudite de Pasiphaé coupable de son alliance monstrueuse avec le Minotaure, ne peut rien contre son destin. L'innocente coupable, le regret de la pureté "Le jour n'est pas plus pur que le fond de mon coeur", dans la faute "Quand tu sauras mon crime, et le sort qui m'accable, Je n'en mourrai pas moins, j'en mourrai plus coupable."
Racine, formé à l'école du jansénisme, voue ses personnages à un destin impitoyable. Héritiers du péché originel d'Adam, ils sont incapables de faire seuls leur salut, les dieux leur accordent peu de chances de rédemption.
Racine va chez les Anciens pour puiser aux sources d'
Euripide et
Sénèque une Phèdre qu'il va enrichir et rendre complexe, donc contradictoire et ambiguë, et comme il le dit lui-même "Phèdre n'est ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocente"; elle est une obscure clarté, une sombre lumière. Figure tragiquement écartelée, Phèdre a un destin qui ajoute la souffrance d'une passion coupable à la conscience de la faute.
Aux contraintes de la rigueur classique (la règle des trois unités, de temps, d'espace, d'action et la bienséance) le désordre primitif de la nature vient créer une tension dramatique sans équivalent et à cela s'ajoute celle du jeu des miroirs dont la réflexion de l'image inversée, démontre que rien n'est ce qu'il paraît être. La construction linéaire du début de la pièce où chaque personnage suivait sa part de malheur, s'emballe dans une irruption de violence terrible au retour de Thésée que tout le monde croyait mort. Là, les souffrances parallèles se croisent en attaques destructeurs, les conflits opposent des êtres que tout devraient nuire. le classicisme rencontre le baroque, le chaos règne, tout est poussé au paroxysme, plus rien n'est comme avant, qu'est-ce qui est vrai qu'est-ce qui est faux ? le faux-vrai. le voyage au coeur du Labyrinthe que Phèdre imagine en accompagnant Hyppolite devient vrai par la force de l'imagination et est vrai comme fort symbole de sa passion fatale. Les héros rêvent d'héroïsme, de gloire, de distinction, d'unicité, d'auréoles couronnant leur amour propre finalement. Mais les rêves sont pénalisés et deviennent murs insurmontables, ils restent intériorisés, comme conscience ou confession.
Symphonie de contradictions, tumulte et raisonnement, passion et faiblesse de l'âme, c'est là que tout se passe dans l'oeuvre de Racine, dans le profondément humain.
Et la mélodie de la langue, un immense poème lyrique dont la pureté transforme la monstruosité en chant des coeurs blessés.
Comment lire Phèdre sinon à voix haute? Un texte de théâtre pour des voix qui portent, des souffles forts, des corps d'une souplesse très particulière modelée par le poids et la déchirure de la passion, de la faiblesse, de la culpabilité, du raisonnement et de l'innocence, ce poids de notre humanité contradictoire d'anges déchus.