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Léo Dilé (Traducteur)
EAN : 9782859409562
368 pages
Phébus (28/01/2004)
3.46/5   14 notes
Résumé :

Romancier – découvert et admiré dès avant la guerre par Gide, Thomas Mann, Yourcenar, Camus –, poète, essayiste, collectionneur de papillons, agent secret, mais surtout grand voyageur sous le ciel, Frederic Prokosch (1908-1989) est de ces Américains foncièrement suspects, comme fut aussi Nabokov, dont la fréquentation est un constant délice, même s’ils sont trop pétris de culture europé... >Voir plus
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Citations et extraits (21) Voir plus Ajouter une citation
Nous pénétrâmes donc sur les pointes dans le bureau, et je contemplai de tous mes yeux le grand novateur. Les mains serrées sur mon béret, j'attendis qu'il révélât son étrangeté.
Distant, dyspepsique, il ne quittait pas des yeux sa tasse de thé. Il avait l'air d'un médecin de campagne aigri. Il portait un nœud papillon à pois, un gilet serré, un pansement collé à l’œil gauche ainsi qu'un champignon. Il avait quelque chose de pointu : menton aigu, saillant ; nez très mince, en pointe ; doigts pareils à des crampons verts, effilés.
Nous nous assîmes sur les chaises de rotin ; Sylvia apporta nos deux tasses supplémentaires, et l'arôme subtil du thé se répandit dans l'air. Il y eut un long silence gêné. Nul ne soufflait mot. Joyce interrompait son silence par de petits grognements, tressaillements et hochement de tête.
Puis John demanda poliment :
- Dites-moi donc, Mr.Joyce. Buck Mulligan a-t-il pour modèle un être vivant quelconque ?
- Le docteur Gogarty, n'est-ce pas ? dit Sylvia avec un coup d’œil latéral.
- En dépit des superstitions du vulgaire, aucun de mes romans n'est un roman à clés. Je laisse aux amateurs les personnages à clé. Mr. Micawber n'a pas été modelé sur le père de Charles Dickens, et le baron de Charlus n'était pas le portrait d'un illustre pédéraste.
Lorsqu'il prononça le mot "pédéraste", un imperceptible sourire affecté lui plissa les lèvres ; après quoi il prit sa tasse, et but à petites gorgées d'un air de sainte nitouche. Il était à la fois vêtu en dandy et plutôt débraillé ; à sa main gauche, je remarquai deux énormes bagues en or. Il tenait une canne de jonc serrée entre ses genoux osseux ; comme à contrecœur, il en caressait la pomme.
-...Je ne devrais pas boire de thé : Nora dit que c'est très constipant. Tous les Anglais sont constipés, me répète sans cesse Nora, tout ça à cause de ces millions de tasses de thé traîtresses.
Je me sentais profondément désenchanté. Ulysse m'avait laissé perplexe : trop compliqué, trop allégorique, cela manquait de la simplicité légendaire. Pourtant, j'avais espéré quelque chose de plus étrange, de moins pédant, de moins terre à terre. Je contemplais avec une nervosité perplexe le pansement oculaire.
- ...Ces éclairs sont excellents, dit-il en se léchant le bout des doigts. Mais je ne devrais pas en manger. Nora dit qu'ils donnent des flatulences.
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Hal Smith et Sinclair Lewis éprouvaient l'un et l'autre du respect envers la littérature, mais tous deux ressentaient de l'appréhension dans une atmosphère de belles-lettres. [.....]
Lewis baissa les yeux d'un air modeste.
- J'ai travaillé drôlement dur, je crois.
- Tu as travaillé comme un nègre. Tu es un bougrement bon écrivain, ne l'oublie pas.
- Allons, répète, je t'en prie, dit Lewis avec une délicatesse d'ivrogne. Ça me ravigote. Pourtant, je me sens encore salement bas. Suis-je un bougrement bon écrivain, Fritz ?
Allons, dites la vérité, maintenant.
- Vous êtes un bougrement bon écrivain doublé d'un gentleman et d'un humaniste.
- Vous avez dit ça d'un ton un peu bizarre, Fritz. Ça paraissait un peu forcé. Versez-moi à boire, soyez gentil. Je parierais bien que du temps de Shakespeare, s'il y avait eu des prix, ils seraient allés à quelqu'un de médiocre ou même à une tante, comme Marlowe.
Harrison Smith prit soudain l'air docte.
- Marlowe n'était pas quelqu'un de médiocre. Une tante, oui, peut-être, mais sûrement pas quelqu'un de médiocre.
- Je ne dis pas que toutes les tantes soient médiocres, précisa Lewis. Je suppose qu'il y a eu des tas de tantes qui n'étaient pas médiocres.
- Il y avait Proust, dit Hal Smith.
- Et il y a Gide, dit Lewis avec délicatesse.
- Il y avait Léonard de Vinci.
- Et il y a Maugham, dit Lewis avec négligence. A propos, quelle différence y a-t-il entre une tante et un pédéraste ?
- Oscar Wilde était un authentique pédéraste, suggéra Smith avec ingéniosité. Henry James, en revanche, je le classerais parmi les tantes.
- Mon Dieu, plus on en apprend sur eux, plus on devient soupçonneux. Il y a des moments, dit sombrement Lewis, où on a l'impression qu'ils étaient tous une bande de suceurs de queues.
- Tu n'as jamais rien dit de plus vrai, Red, fit lugubrement Smith.
Je parierais que si on connaissait le dessous des cartes, mêmes Shakespeare serait une tante. Toutes ces balivernes au sujet d'Anne Hathaway n'étaient qu'un camouflage. Je parie qu'Anne Hathaway, c'était en réalité un taureau mugissant.
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- Une dernière question, M. Gide. Quels étaient vos sentiments sur Oscar Wilde ? Je ne les noterai pas si cela vous ennuie.
- Notez, notez ! Il n'y a rien là de honteux ! Pauvre vieux Wilde, que dire ? Il était bouffi, tremblotant. L'on ressentait de la pitié pour Oscar Wilde. Il mendiait positivement la pitié. Jusqu'au bout, il a été courageux, mais on avait le sentiment qu'il mendiait de la pitié. J'éprouve encore du remords au sujet de Wilde. Le soir, il se rendait tout seul au "Rugby" pour contempler, les yeux hors de la tête, ces gigolos mangés aux mites. Ou si ce n'était pas " Le Rugby", c'était là-bas, rue de Lappe. Si ce n'étaient pas les gigolos de troisième ordre, c'étaient les proxénètes et les voleurs à la tire. Il habitait un petit hôtel, rue des Beaux-Arts. A moins que je ne me trompe ? Était-ce rue d'Alsace ? Je crois au destin, et le destin de Wilde était de mourir rue d'Alsace, à moins que ce ne soit rue des Beaux-Arts. Il est mort en 1900, et vous devez connaître l'histoire. Il n'y eut que sept personnes à suivre le cercueil. C'était par une sombre journée de novembre ; il y avait des couronnes sur la bière ; une seule couronne avait le courage de porter une inscription. C'était la couronne du patron de son hôtel ; on y pouvait lire : "A mon locataire". Assez brutale, toute cette affaire. Les Anglais sont bien gentils mais hélas ! leur gentillesse est fort sélective. Il se peut que les vers de Wilde soient mauvais, et j'ai trouvé Salomé indigeste, mais faire toute cette histoire au sujet d'une banalité comme la sodomie!...Plus tard, on a transféré le corps de Wilde au Père Lachaise. Du moins était-ce un geste, et Epstein a fait un monument. Les Français ont du moins le sens du cérémonial et du respect. Mais les Anglais...quelle histoire, pour une bagatelle comme la sodomie !
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Je tournais en hâte l'angle de la rue de Beaujolais, grimpai l'escalier, et actionnai la sonnette jaune. Une femme en robe à pois m'ouvrit la porte et m'introduisit dans le "studio", petite pièce encombrée de coussins et de livres, outre un vase de roses et une boîte de papillons.
Elle était là elle-même, étrangement solennelle parmi ses coussins, pas du tout ce à quoi je m'attendais : triste, maigre et très ridée, avec des poches sous ses yeux de la couleur des violettes. Ses cheveux semblaient roussis à la flamme. Sur les épaules, elle portait une écharpe de soie marron ; sous la soie, je distinguais la forme de ses épaules osseuses, qui semblaient fléchir sous le poids des joies passées et des misères présentes. Cette écharpe marron foncé avait un air un peu cérémonieux ; elle pendait sur ses épaules comme la nappe d'un autel, et cette vision de Colette avait de la grandeur aussi bien que de la tristesse. Ses rides devenaient éloquentes, comme la calligraphie d'un recueil de cantiques.
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Un jour, chez Adolfo, je rencontrai Peggy Guggenheim. Elle était assise sur la terrasse ; je lui portai à boire. Elle me fit un charmant sourire. Elle était rien moins que belle. Son corps demeurait beau mais elle avait le visage étrangement marqué, et des cheveux d'une huileuse et déconcertante noirceur. C'étaient ses yeux qui me plaisaient, et surtout son sourire. Elle avait un sourire si enchanteur que je comprenais pourquoi tant d'hommes étaient tombés amoureux d'elle. Même des hommes d'une grande austérité comme Brâncusi et Beckett, et des hommes d'une féroce perspicacité comme Max Ernst et Marcel Duchamp.
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Vidéo de Frederic Prokosch
INTRODUCTION : « […] Prokosch (1906-1989) est un errant lucide. Il se refuse à être enchaîné par les lieux et par le temps. Il n'est pas gorgé de l'inévitable nostalgie des chercheurs d'infini. Il ne dédaigne pas les vignettes qui laissent à penser qu'une terrible beauté est en train de naître.
[…]
Si Prokosch pense que le monde a l'air de stagner, paradoxalement, il pense surtout (comme le magnifique Henri de Régnier[1864-1936]) que vivre avilit. Que le désir du beau, si cher à l'homme, fond comme neige au soleil à mesure que le temps passe. Alors, écrit-il, « le désir du beau devient une effrayante parodie, une espèce de rituel obscène, et finit par gâter précisément ce qui en nous est le plus proche de l'éternel. »
CHAPITRES : 0:00 - Titre
0:06 - Chant 1:07 - Ulysse brûlé par le soleil 3:22 - le boulevard 5:35 - Ode (V)
7:06 - Générique
RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE : Frederic Prokosch, Ulysse brûlé par le soleil, traduit et présenté par Michel Bulteau, Paris, Orphée/La Différence, 2012.
IMAGE D'ILLUSTRATION : https://www.ebay.com/itm/194547165187
BANDE SONORE ORIGINALE : le Chaos Entre 2 Chaises - Avant la Chute Avant la Chute by Le Chaos Entre 2 Chaises is licensed under an Attribution 4.0 International License. https://freemusicarchive.org/music/le-chaos-entre-2-chaises/reflets/avant-la-chute/
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#FredericProkosch #UlysseBrûléParLeSoleil #PoésieAméricaine
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