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EAN : 9782878622904
8 pages
Editions Thélème (17/11/2004)
  Existe en édition audio
3.78/5   72 notes
Résumé :
Lire Proust, c'est consentir à un double enchantement : celui, d'abord, qui naît de ces longues phrases soigneusement tissées, où se déploie la métaphore inventive et précise; celui, ensuite, qui procède d'un humour souverain, qui juge les êtres à leur juste poids d'inconsistance. Mais à ces fastes poétiques, à ce salubre exercice de l'intelligence, ce récit ajoute une autre dimension, l'attachement à sa mère, aux souvenirs et aux émotions de l'enfance.
Que lire après A la recherche du temps perdu, tome 1 : Du côté de chez Swan, Combray (1/2)Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (14) Voir plus Ajouter une critique
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Après avoir commencé mon parcours avec Proust par le premier volume comportant la première partie voir le billet ici, je viens d'achever la suite avec UN AMOUR DE SWANN, qui m'a semblé beaucoup moins captivante. J'ai ressenti une lassitude, par ces longues tirades, ces explorations de la métamorphose du sentiment amoureux, l'évolution d'une relation amoureuse, la souffrance qui s'installe, qui mord, les excès de jalousie, la douleur de se savoir trahi, avoir été le pantin d'une cocote, tout un cheminement certes intéressant pour son parcours que Proust expose avec précision.

Seule, la fin m'a réconciliée avec cet auteur, Proust nous ramène au pays de son enfance, avec ces si belles descriptions, l'insouciance de cet âge avec ces premiers émois amoureux. J'ai lu cette fin avec autant de plaisir que le premier volume. On retrouve l'atmosphère et cette plume qui m'a enchantée.

J'espère que ce passage sur les déboires de Swann était qu'une parenthèse dans cette recherche du temps perdu, cette Odette m'a agacée, et ce Swann aveugle m'a complètement énervée d'être aussi naïf. Malgré tout, on apprécie les belles réflexions sur ces états amoureux qui rendent niais. On admire le talent de Proust pour cette fine exploration de la douleur acide qui mord à vif et puis combien au final, la raison l'emporte et la vue recouvrée à nouveau, la lumière dévoile tout compte fait une femme somme toute beaucoup moins intéressante qu'il n'en paraît.

Odette aux petits soins pour mieux capturer sa proie, et Swann tombe dans le piège : “Odette fit à Swann « son » thé, lui demanda : « Citron ou crème ? » et comme il répondit « crème », lui dit en riant : « Un nuage ! » Et comme il le trouvait bon : « Vous voyez que je sais ce que vous aimez. » Ce thé en effet avait paru à Swann quelque chose de précieux comme à elle-même, et l'amour a tellement besoin de se trouver une justification, une garantie de durée, dans des plaisirs qui au contraire sans lui n'en seraient pas et finissent avec lui, que quand il l'avait quittée à sept heures pour rentrer chez lui s'habiller, pendant tout le trajet qu'il fit dans son coupé, ne pouvant contenir la joie que cet après-midi lui avait causée, il se répétait : « Ce serait bien agréable d'avoir ainsi une petite personne chez qui on pourrait trouver cette chose si rare, du bon thé. »

Pour ce côté cour, je trouve que ce romanesque nous fait franchement sourire à l'heure actuelle. Est-ce pour cela que j'ai parfois du mal à apprécier les romans d'une époque révolue bien que la plume m'enchante, le temps n'est plus aux courbettes qui s'éternisent, et le roman hélas avec. Je dois reconnaître que c'est lassant de devoir prendre le thé, se soumettre aux caprices de cette Odette, de suivre Swann dans tout Paris à l'affût de cette femme, pendant de longues pages, on finit par croire que la fin n'arrivera jamais.



Ce volet de cette longue suite d'épisodes, est plus à la recherche d'Odette que du temps perdu ( oui, il l'est !) ou l'aboutissement de ce sentiment si étrange qui envahit l'esprit et le corps de Swann

“De tous les modes de production de l'amour, de tous les agents de dissémination du mal sacré, il est bien l'un des plus efficaces, ce grand souffle d'agitation qui parfois passe sur nous. Alors l'être avec qui nous nous plaisons à ce moment-là, le sort en est jeté, c'est lui que nous aimerons. Il n'est même pas besoin qu'il nous plût jusque-là plus ou même autant que d'autres. Ce qu'il fallait, c'est que notre goût pour lui devînt exclusif. Et cette condition-là est réalisée quand – à ce moment où il nous a fait défaut – à la recherche des plaisirs que son agrément nous donnait, s'est brusquement substitué en nous un besoin anxieux qui a pour objet cet être même, un besoin absurde que les lois de ce monde rendent impossible à satisfaire et difficile à guérir – le besoin insensé et douloureux de le posséder.”

Une façon poétique d'annoncer le passage à l'acte qui une fois encore semble bien romantique mais nous laisse sourire : “la métaphore « faire catleya » devenue un simple vocable qu'ils employaient sans y penser quand ils voulaient signifier l'acte de la possession physique – où d'ailleurs l'on ne possède rien – survécut dans leur langage, où elle le commémorait, à cet usage oublié. “

Swann nous apparaît complètement fou amoureux, aveuglé, se liquéfiant au moindre geste et mot de cette Odette et elle, comme une cocote se joue de lui, seul Swann n'y voit que du feu, alors que tous connaissent la réelle position de cette femme.

Sa vie tourne invariablement autour d'Odette, son soleil, et lui la lune gravitant dans ses rayons : “C'était le printemps, un printemps pur et glacé. En sortant de soirée, il montait dans sa victoria, étendait une couverture sur ses jambes, répondait aux amis qui s'en allaient en même temps que lui et lui demandaient de revenir avec eux qu'il ne pouvait pas, qu'il n'allait pas du même côté, et le cocher partait au grand trot sachant où on allait. Eux s'étonnaient, et de fait, Swann n'était plus le même. On ne recevait plus jamais de lettre de lui où il demandât à connaître une femme. Il ne faisait plus attention à aucune, s'abstenait d'aller dans les endroits où on en rencontre. Dans un restaurant, à la campagne, il avait l'attitude inverse de celle à quoi, hier encore, on l'eût reconnu et qui avait semblé devoir toujours être la sienne. Tant une passion est en nous comme un caractère momentané et différent qui se substitue à l'autre et abolit les signes jusque-là invariables par lesquels il s'exprimait ! En revanche ce qui était invariable maintenant, c'était que où que Swann se trouvât, il ne manquât pas d'aller rejoindre Odette. le trajet qui le séparait d'elle était celui qu'il parcourait inévitablement et comme la pente même, irrésistible et rapide, de sa vie. “

Proust nous peint le tableau dans les moindres détails du cheminement de l'amour du simple sentiment, attirance et puis ce besoin vital de boire à la source, la soif, cette passion qui s'élève au plus haut des cieux, pour culminer et bien vite redescendre cette si belle ascension. Et enfin la chute impitoyable !

Swann souffre mais quand comprendra-t-il réellement cette fin qui semble pourtant consommée ? C'est là que le roman s'éternise mais bientôt prendra une autre tournure enfin il était temps !

“Ces nouvelles façons indifférentes, distraites, irritables, qui étaient maintenant celles d'Odette avec lui, certes Swann en souffrait ; mais il ne connaissait pas sa souffrance ; comme c'était progressivement, jour par jour, qu'Odette s'était refroidie à son égard, ce n'est qu'en mettant en regard de ce qu'elle était aujourd'hui ce qu'elle avait été au début, qu'il aurait pu sonder la profondeur du changement qui s'était accompli. Or ce changement c'était sa profonde, sa secrète blessure qui lui faisait mal jour et nuit, et dès qu'il sentait que ses pensées allaient un peu trop près d'elle, vivement il les dirigeait d'un autre côté de peur de trop souffrir. Il se disait bien d'une façon abstraite : « Il fut un temps où Odette m'aimait davantage », mais jamais il ne revoyait ce temps. de même qu'il y avait dans son cabinet une commode qu'il s'arrangeait à ne pas regarder, qu'il faisait un crochet pour éviter en entrant et en sortant, parce que dans un tiroir étaient serrés le chrysanthème qu'elle lui avait donné le premier soir où il l'avait reconduite, les lettres où elle disait : « Que n'y avez-vous oublié aussi votre coeur, je ne vous aurais pas laissé le reprendre » et « À quelque heure du jour et de la nuit que vous ayez besoin de moi, faites-moi signe et disposez de ma vie », de même il y avait en lui une place dont il ne laissait jamais approcher son esprit, lui faisant faire s'il le fallait le détour d'un long raisonnement pour qu'il n'eût pas à passer devant elle : c'était celle où vivait le souvenir des jours heureux.”



Je ne vais pas non plus m'éterniser sur cette partie, mais j'ai apprécié la fin, soit la troisième partie : NOMS DE PAYS : LE NOM

en retrouvant le petit Marcel avec ses premiers émois amoureux avec Gilberte, beaucoup plus attachant que ceux de cette Odette odieuse et ce Swann aveugle. Il finira pourtant à ses fins puisque Gilberte n'est autre que la fille d'Odette devenue madame Swann !

On retrouve sur cette fin du livre ces belle descriptions qui donnent cette ambiance de tableau : “Le soleil s'était caché. La nature recommençait à régner sur le Bois d'où s'était envolée l'idée qu'il était le Jardin élyséen de la Femme ; au-dessus du moulin factice le vrai ciel était gris ; le vent ridait le Grand Lac de petites vaguelettes, comme un lac ; de gros oiseaux parcouraient rapidement le Bois, comme un bois, et poussant des cris aigus se posaient l'un après l'autre sur les grands chênes qui, sous leur couronne druidique et avec une majesté dodonéenne, semblaient proclamer le vide inhumain de la forêt désaffectée, et m'aidaient à mieux comprendre la contradiction que c'est de chercher dans la réalité les tableaux de la mémoire, auxquels manquerait toujours le charme qui leur vient de la mémoire même et de n'être pas perçus par les sens. La réalité que j'avais connue n'existait plus. “

En conclusion, une lassitude en compagnie de Swann et d'Odette, une grande joie de retrouver Marcel enfant et cette ambiance si particulière à la Proust.


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Le narrateur, lorsqu'il ne trouve pas le sommeil, laisse vagabonder son esprit. Dès le début, on a affaire à un personnage hanté par le temps (étendu, raccourci voire aboli), par la veille, le sommeil ou le rêve éveillé durant lequel il se fond aux éléments, il recrée son propre monde où tous les sens sont en éveil : l'oeil s'habituant à l'obscurité, regardant une lanterne magique qui renvoie au passé dans un présent qui ressurgit avec l'anticipation du baiser maternel souvent ajourné par la visite de Swann qu'on révèle peu à peu -et l'ouïe est alors en éveil : clochette de l'entrée voix reconnue par la grand-mère permettant une digression sur ses origines, ses goûts, son "rang" dans la caste, son mauvais mariage; on y mêle les rangs sociaux et les générations - le temps "Swann" et sa vie mondaine apparaîtra plus tard dans “un amour de Swann ”- car, pour l'instant, Swann n'est pour le narrateur que l'empêcheur pour lui de recevoir le baiser de sa mère.

Il s'agit pour Proust, dans cette ouverture de “à la recherche du temps perdu”– on peut parler en termes d'opéra- de mettre en place les personnages et les lieux qui vont le hanter tout le long : la tante Léonie bien sûr, M. Legrandin, l'ingénieur "artiste" qui passe ses vacances dans sa propriété de Combray; Eulalie, visiteuse de malades et pourvoyeuse de nouvelles, unique lien social de la tante Léonie; puis l'oncle dans le cabinet duquel le narrateur se réfugie parfois pour lire. de cette galerie de portraits, naît un sentiment chez le lecteur, de «déjà-vu». Chaque détail – la madeleine bien sûr – transcendé par le style de l'auteur invite le lecteur dans une rêverie qu'il peut faire sienne à tout instant en explorant son propre passé par le biais de ses sens, où saveurs, odeurs, visions iconisées renferment un monde infini comme autant de touches sensibles, vivantes et révélatrices. On le voit, parler de Proust fait écrire de longues phrases truffées d'incises. Avec la mention de Bergotte et de Vinteuil, l'auteur, dans le passé recomposé de son narrateur – encore qu'il ne soit nullement linéaire – opère un syncrétisme des arts, expression d'un autre palier de sensations qui se rejoignent ici.

Comme l'avenir, le passé offre plusieurs voies d'exploration à l'image du choix qu'offrent les deux promenades « du côté de Méséglise» et du «coté de Guermantes». L'une évoque plutôt l'automne, la mort, la religion des âmes simples tandis qu'en passant devant le château de Guermantes, le narrateur rêve qu'il y entre sur un caprice de Mme de Guermantes et fait ainsi la première allusion à son désir de devenir écrivain. de là à imaginer le château de Guermantes comme l'allégorie du monde des Lettres. Ainsi lorsqu'il a l'heur de contempler Mme de Guermantes lors de la cérémonie du mariage de sa fille à Combray, il y remarque un nez proéminent et il est déçu. La réalité, une fois encore, fait basculer la rêverie gothique car il l'imaginait plus comme une enluminure que comme une femme. Il relie trop les personnes avec l'environnement, elles se fondent ainsi aux éléments dans lesquels elles évoluent. La promenade, fil conducteur du rêve et de l'imagination, se poursuit, nourrie de soleil, d'odeurs et d'impressions que le narrateur associe à son désir d'écrire. Il lui faut retrouver les clochers et c'est une nouvelle mise en abyme car apparaît le premier écrit du narrateur :
"Aussi le côté de Méséglise et le côté de Guermantes restent-ils pour moi liés à bien des petits évènements de celle de toutes les diverses vies que nous menons parallèlement, qui est la plus pleine des péripéties, la plus riche en épisodes, je veux dire la vie intellectuelle."(151)

"Combray" finit par l'évocation de la pluie et l'odeur des lilas dont le souvenir permet au narrateur de rêver durant ses nuits sans sommeil et l'on pense à ces tableaux surréalistes sur le rêve et la mémoire.
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Suite à la lecture du très distrayant roman de Stéphane Carlier « Clara lit Proust ». Je me fais la réflexion que je dois cesser de rechigner et découvrir ce monstre de la littérature française.

Je commence par « Combray » et pense qu'il faut avoir fait une thèse autour de l'oeuvre avant de saisir la quintessence de celle-ci. Évidemment, je pourrais me contenter de lire, mais j'aime bien comprendre mes lectures. Entre deux lignes, je me précipite dans la préface de 36 pages (je vous rassure, je n'ai pas tout lu) de Jean Milly pour une "petite" explication de texte et découvre la richesse des idées.

Pendant ce parcours du combattant (ok j'exagère), j'ai souri de nombreuses fois, mais les phrases interminables et les descriptions qui m'enchantent chez Zola me lassent vite chez Proust. D'autant que par mon métier, j'ai tant de livres à lire pour le bonheur de mes adhérents que je ne peux m'attarder des semaines sur un seul auteur.

J'en déduis que cette "recherche du temps perdu" aura lieu quand j'en aurais moi-même, pendant une retraite bien méritée à moins que deux années supplémentaires ne viennent gâcher ma lecture du grand homme. Un comble me direz-vous ….
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[Livre audio lu par André Dussolier]

Cet été 2013 aura été bercé par l'émission "Un été avec Proust" de France Inter. Comment ne pas se laisser séduire par tant d'enthousiasmes cumulés, d'analyses alléchantes, comment ne pas plonger ?

Comme l'a conseillé un des intervenants, je me suis laissée allée au flot des phrases, sans chercher à m'accrocher aux mots. Et le courant m'a emportée. Proust s'écoute très bien quand on largue les amarres. André Dussolier lit au rythme de la pensée, de la rêverie. On peut se laisser aller, s'égarer, revenir vers l'écoute, on ne perd pas le fil. Ce livre audio convient merveilleusement aux longs trajets en car. le son se fond dans le paysage.

Le personnage de la tante est cocasse, voire parfois franchement drôle, dans un passage évoquant les chiens étrangers au village notamment. Mme Verdurin est aussi un personnage haut en couleur, juchée sur son perchoir comme une perruche et qui s'efforce de ne pas trop rire pour éviter de se décrocher la mâchoire - au sens propre ! La langue est superbe mais le narcissisme larmoyant de Swann a finit par avoir raison de moi. J'ai finis par n'avoir plus aucune envie de côtoyer ces gens vains et superficiels, leur société est lassante au bout d'un moment.
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Vraiment un livre où il ne se passe rien ! On m'avait demandé de lire "Combray" pendant mes études et j'avoue que c'était une lecture indigeste. L'histoire porte sur les souvenirs d'enfance du romancier mais au lieu de traiter ce sujet sur 1 ou 2 chapitres, ce qui aurait suffit, Proust en fait l'objet de tout un livre. Faute de pouvoir remplir son intrigue par des faits ou des propos, l'auteur nous perd dans le labyrinthe inextricable des métaphores. On a peine à suivre le fil de sa pensée qui se dévide dans une succession d'images soi-disant poétiques. Certaines phrases prennent tant de lignes qu'elles remplissent toute une page, tellement qu'on est obligé de reprendre le début pour comprendre. Certes, son style est inimitable et lui vaut sa singularité d'auteur mais qu'est-ce qu'on s'ennuie !
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Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
[...]
Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût, c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l'heure de la messe), quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d'autres plus récents ; peut-être parce que, de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s'était désagrégé ; les formes - et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot - s'étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d'expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir [...]
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Tout cela et plus encore les objets précieux venus à l'église de personnages qui étaient pour moi presque des personnages de légende (la croix d'or travaillée, disait-on, par Saint-Eloi et donnée par Dagobert, le tombeau des fils de Louis le Germanique, en porphyre et en cuivre émaillé), à cause de quoi je m'avançais dans l'église, quand nous gagnions nos chaises, comme dans une vallée visitée des fées, où le paysan s'émerveille de voir dans un rocher, dans un arbre, dans une mare, la trace palpable de leur passage surnaturel; tout cela faisait d'elle pour quelque chose d'entièrement différent du reste de la ville: un édifice occupant, si l'on peut dire, un espace à quatre dimensions - la quatrième étant le Temps, - déployant à travers les siècles son vaisseau qui, de travée en travée, de chapelle en chapelle, semblait vaincre et franchir non pas seulement quelques mètres, mais des époques successives d'où il sortait victorieux; dérobant le rude et farouche XIe siècle dans l'épaisseur de ses murs, d'où il n'apparaissait avec ses lourds cintres bouchés et aveuglés de grossier moellons que la par le profonde entaille que creusait près du porche l'escalier du clocher, et, même là, dissimulé par les gracieuses arcades gothiques qui se pressaient coquettement devant lui comme de plus grandes sœurs, pour le cacher aux étrangers, se placent en souriant devant un jeune frère rustre, grognon et mal vêtu; élevant dans le ciel au-dessus de la Place, sa tour qui avait contemplé saint Louis et semblait le voir encore; et s'enfonçant avec sa crypte dans une nuit mérovingienne où, nous guidant à tâtons sous la voûte obscure et puissamment nervurée comme la membrane d'une immense chauve souris de pierre, Théodore et sa sœur nous éclairaient d'une bougie le tombeau de la petite fille de Sigebert, sur lequel une profonde valve, - comme la trace d'un fossile, - avait été creusée, disait-on, "par une lampe de cristal qui, le soir du meurtre de la princesse franque, s'était détachée d'elle-même des chaînes d'or où elle était suspendue à la place actuelle de l'abside, et, sans que le cristal se brisât, sans que la flamme s'éteignit, s'était enfoncée dans la pierre et l'avait fait mollement céder sous elle".
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Quand je voyais un objet extérieur, la conscience que je le voyais entre moi et lui, le bordait d'un mince liseré spirituel qui m'empêchait de jamais toucher directement sa matière; elle se volatilisait en quelque sorte avant que je prisse contact avec elle, comme un corps incandescent qu'on approche d'un objet mouillé ne touche pas son humidité parce qu'il se fait toujours précéder d'une zone d'évaporation.
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quand, dans ma mémoire, du Swann que j’ai connu plus tard avec exactitude, je passe à ce premier Swann — à ce premier Swann dans lequel je retrouve les erreurs charmantes de ma jeunesse et qui d’ailleurs ressemble moins à l’autre qu’aux personnes que j’ai connues à la même époque, comme s’il en était de notre vie ainsi que d’un musée où tous les portraits d’un même temps ont un air de famille, une même tonalité — à ce premier Swann rempli de loisir, parfumé par l’odeur du grand marronnier, des paniers de framboises et d’un brin d’estragon.
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Quelquefois, comme Ève naquit d’une côte d’Adam, une femme naissait pendant mon sommeil d’une fausse position de ma cuisse. Formée du plaisir que j’étais sur le point de goûter, je m’imaginais que c’était elle qui me l’offrait. Mon corps qui sentait dans le sien ma propre chaleur voulait s’y rejoindre, je m’éveillais. Le reste des humains m’apparaissait comme bien lointain auprès de cette femme que j’avais quittée, il y avait quelques moments à peine ; ma joue était chaude encore de son baiser, mon corps courbaturé par le poids de sa taille. Si, comme il arrivait quelquefois, elle avait les traits d’une femme que j’avais connue dans la vie, j’allais me donner tout à ce but : la retrouver, comme ceux qui partent en voyage pour voir de leurs yeux une cité désirée et s’imaginent qu’on peut goûter dans une réalité le charme du songe. Peu à peu son souvenir s’évanouissait, j’avais oublié la fille de mon rêve.
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MARCEL PROUST / DU CÔTÉ DE CHEZ SWANN / LA P'TITE LIBRAIRIE
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