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A la recherche du temps perdu - ... tome 6 sur 7

Pierre-Edmond Robert (Autre)Anne Chevalier (Autre)
EAN : 9782073007094
544 pages
Gallimard (31/08/2023)
  Existe en édition audio
4.38/5   561 notes
Résumé :
« Mademoiselle Albertine est partie ! » Comme la souffrance va plus loin en psychologie que la psychologie ! Il y a un instant, en train de m'analyser, j'avais cru que cette séparation sans s'être revus était justement ce que je désirais, et comparant la médiocrité des plaisirs que me donnait Albertine à la richesse des désirs qu'elle me privait de réaliser, je m'étais trouvé subtil, j'avais conclu que je ne voulais plus la voir, que je ne l'aimais plus. Mais ces mo... >Voir plus
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Avec le départ impromptu d'Albertine, une nouvelle inconnue vient se rajouter à l'équation amoureuse qui avait accaparé l'esprit du Narrateur durant le tome précédent, et dont la démonstration l'amenait alors à considérer l'accomplissement de notre désir comme étant «peu de chose, puisque dès que nous croyons qu'il ne peut pas l'être, nous y tenons de nouveau, et ne trouvons qu'il ne valait pas la peine de le poursuivre que quand nous sommes bien sûrs de ne le manquer pas». Il était donc vain, déclarait-il, d'espérer pouvoir accéder au bonheur par la simple réalisation de ses désirs, projet aussi «naïf» que celui de vouloir «atteindre l'horizon en marchant devant soi»!

Mais alors que le désir se sustenterait en définitive de ce manque à avoir dont par ailleurs l'art véritable de la séduction consisterait à bien savoir doser, qu'adviendrait-il si, se trouvant subitement en dehors de toute atteinte possible, son objet disparaissait tout simplement, ou mourait?

Dans cette mise à l'épreuve du désir par la réalité, le «manque à avoir» ne pourrait-il risquer de se voir transformer en un torturant «manque à être» ?

Proust et Freud, contemporains, incroyablement proches par de très nombreux aspects, tant au niveau de leurs centres d'intérêt intellectuels ou artistiques, que dans leur exploration révolutionnaire de la psyché profonde, sur le plan littéraire pour l'un, «herméneutique» et scientifique pour l'autre (voir à ce propos l'essai de Jean-Yves Tadié: «Le Lac Inconnu – Entre Proust et Freud»), ne se sont pourtant jamais, de leur vivant, «croisés» -dans le sens plein du mot : n'ont eu aucun type d'échange, ne se sont pas -tout au moins en apparence- lus, ou alors très peu (?), n'ont laissé dans leurs très nombreux écrits aucun commentaire digne de ce nom, aucune référence de l'un à l'autre…!
Cette indifférence royale, strictement réciproque, pourrait paraitre tout de même assez suspecte -n'est-ce pas ? Elle ne peut en effet que «poser question» ; bien plus d'ailleurs que si, par exemple, s'étant peu ou prou rapprochés, ou au moins reconnu leur existence et leurs «recherches» communes, les deux hommes ne se fussent pour une raison ou une autre appréciés, voire eussent désavoué toute parenté, toute intertextualité ou complémentarité entre leurs démarches et leurs oeuvres respectives!!

L'essai freudien consacré plus particulièrement aux mécanismes psychologiques activés par le deuil («Deuil et Mélancolie») et le roman de Proust furent en outre écrits pratiquement au même moment, à un an d'intervalle près. Aucune autre oeuvre de fiction ne paraissait en même temps susceptible d'illustrer aussi parfaitement, aussi précisément et aussi judicieusement qu'Albertine Disparue, les étapes du «travail du deuil» telles que décrites par Freud : depuis le déni initial, suivi du retrait du moi permettant de garder des liens toujours vivants et idéalisés avec la personne disparue, en passant par l'émergence de sentiments contrastés, mouvements successifs et alternés de tristesse et de colère, de faute et de culpabilité, de reproches et de pardon, jusqu'à l'acceptation, à l'avènement d'une certaine forme de résignation, d'un détachement progressif permettant, à terme, l'oubli, et à la libido la possibilité d'investir à nouveau des objets du monde extérieur.

Si le secret de cette indifférence notoire aura probablement disparu complètement avec eux, Freud et Proust restent malgré tout réunis par leur oeuvre commune dans la postérité...

Deuxième volet d'un diptyque indissociable, après La Prisonnière, Albertine Disparue (ou «La Fugitive»), est le prolongement, dernier mouvement sous forme d'adagio vénitien, de l'ode que le Narrateur consacre à sa bien-aimée ; à la fois oraison funèbre et exercice accompli d'auto-observation de la diastole douloureuse d'un coeur anéanti par la souffrance, évidé, cherchant en même temps désespérément à enfermer à jamais en son sein cette essence, aussi rare et précieuse que délicate et volatile, exhalée par un être aimé qu'on vient de perdre irrémédiablement.

Et pourtant -ne pourrons-nous peut-être nous empêcher d'y repenser-, combien de fois depuis la toute première rencontre des amants sur la plage à Balbec, jusqu'à leur dernière peine d'amour purgée ensemble dans la prison dorée de l'appartement familial parisien -avant le baisser du rideau-, n'aurons-nous tout de même entendu le Narrateur affirmer qu'il ne l'aimait pas, Albertine??

Tout compte fait, après avoir refermé ce deuxième volume de la Recherche dédié à un personnage en particulier, à celle qui fut décrite par Proust comme «l'enveloppe close d'un être qui par l'intérieur accédait à l'infini», celle dont le nom est cité (rassurez-vous, ce n'est pas moi qui l'ai compté !) 2 360 fois tout au long de l'oeuvre, faudrait-il encore des preuves pour nous convaincre qu'en affirmant ne pas aimer Albertine, son Narrateur ne fourvoyait personne d'autre que lui-même? Et après tout, ainsi qu'on le dit parfois en parlant de la «foi véritable», les plus grands amours ne seraient justement ceux-là même qui s'autorisent à douter de leur bien-fondé et de leur réalité?

S'il avait en effet pu songer par moments que vivre sans Albertine (voire même souhaiter qu'elle «disparaisse» d'une fois pour toutes) lui eût possibilité non seulement de s'adonner librement aux errements jouissifs de ses désirs irrésolus, ou à la solitude réclamée par les caprices d'un coeur assurément intermittent, mais aussi de pouvoir échapper aux affres d'une jalousie furieuse, envahissante, addictive -indispensable d'autre part à entretenir son désir même pour sa compagne, l'obligeant à tourner sans issue tel un écureuil dans sa roue!-, le départ, puis l'annonce de la mort accidentelle d'Albertine, le font soudain réaliser qu'au moment même où il arrive enfin à se dégager matériellement d'elle, sa vie et son avenir à lui deviennent «indissolubles d'elle»...


«Pour que la mort d'Albertine eût pu supprimer mes souffrances, il eût fallu que le choc l'eût tuée non seulement en Touraine, mais en moi. Jamais elle n'y avait été plus vivante.»

Albertine rescapée !

Le voici donc retranché dans sa chambre (Freud nous dirait «dans son moi»), isolé du monde, rideaux tirés au millimètre près, afin que le moindre rayon de soleil ne pût y pénétrer («la libido s'est retirée des objets du monde extérieur», [sic]), effeuillant à longueur de journées un album de souvenirs d'une Albertine aux reflets multiples, sans trêve projetés par le prisme de sa souffrance dans la grande galerie de glaces qui vient de s'ouvrir dans sa mémoire.

«La mémoire d'un moment n'est pas instruite de tout ce qui s'est passé depuis ; ce moment qu'elle a enregistré dure encore, vit encore, et avec lui l'être qui s'y profilait (…) Pour me consoler, ce n'est pas une, c'est d'innombrables Albertine que j'aurais dû oublier. Quand j'étais arrivé à supporter le chagrin d'avoir perdu celle-ci, c'était à recommencer avec une autre, avec cent autres.»

Albertine démultipliée.

La richesse et la profusion des images puisées dans le «répertoire" de la vie avec elle réveillera cependant chez lui toute la complexité aussi de son amour, notamment sa jalousie, qui s'y infiltrant peu à peu, se réactive «rétrospectivement».
Partagé entre la sensation contradictoire de continuer toujours à alimenter les mêmes soupçons, absurdes, s'agissant, n'est-ce pas, «d'une femme qui ne pouvait plus éprouver des plaisirs avec d'autres», mais de réussir, grâce à eux, à obtenir en même temps «le gage de la réalité morale d'une personne inexistante», l'endeuillé se voit propulsé dans un rêve éveillé à la temporalité complexe, instaurant une sorte de «double de l'avenir» dans le passé, pour un couple à nouveau reformé et «indissoluble», dans lequel «à chaque coupable nouvelle s'appariait aussitôt un jaloux lamentable et toujours contemporain».
Un avenir «double» qui aurait pu se prolonger indéfiniment, «aussi long que sa vie», s'imagine-t-il, sans toutefois qu'Albertine puisse, comme lorsqu'elle vivait encore, être là pour « calmer les souffrances qu'il me causerait».

Albertine toujours enchaînée.

Traversant ainsi, «en sens inverse tous les sentiments par lesquels a passé son amour» pour elle -sentiments devenant au fur et à mesure de plus en plus à double-fond ou réversibles («ambivalents», dirait Freud)-, égrenant à l'envi des reproches voués par la force des choses à être inopérants, adressés à quelqu'un qui n'est donc plus là pour les subir, suivis d'auto-récriminations systématiques («les affects négatifs sont alors retournés contre le moi lui-même»[sic]) tous azimuts -«par ma tendresse uniquement égoïste j'avais laissé mourir Albertine comme auparavant j'avais assassiné ma grand-mère »(!)-, l'endeuillé poursuit, selon l'expression consacrée par le grand psychanalyste viennois, son «travail du deuil», le parachevant progressivement grâce à l'intervention de ce que Freud identifierait comme étant le «principe de réalité» si cher au Moi, et dont nous retrouvons ici la trace suite aux révélations d'Andrée confirmant provisoirement les soupçons gomorrhéens du Narrateur et les mensonges faits par Albertine, suite aux résultats des enquêtes diligentées, à Balbec et en Touraine, par les bons soins de Saint-Loup et d'Aimé, et surtout, à la concrétisation, enfin, d'un projet de voyage à Venise avec sa mère.

Tous les «si» ayant décuplé jusque-là sa souffrance ( si elle m'avait tout révélé..., si je l'avais laissée libre de ses mouvements..., si je ne lui avais pas offert le cheval qui a provoqué sa mort accidentelle…) s'estompent peu à peu dans le flux de ses pensées.

Albertine émiettée, sassée, puis oubliée.

«Si bien que cette longue plainte de l'âme qui croit vivre enfermée en elle-même n'est un monologue qu'en apparence, puisque les échos de la réalité la font dévier, et que telle vie est comme un essai psychologique subjectif spontanément poursuivi, mais qui fournit à quelque distance son «action» au roman purement réaliste, d'une autre réalité, d'une autre existence, et duquel à leur tour les péripéties viennent infléchir la courbe et changer la direction de l'essai psychologique».

Qu'est-ce en fin de compte l'amour que l'on avait éprouvé?
Si ce n'était qu'un leurre, un simple mirage, c'était aussi parfois «le seul acte poétique» qu'on avait accompli dans nos existences.

Et l'oubli ?
L'on n'oublie pas quelqu'un qu'on aime parce qu'il meurt, mais parce que «nous mourons avec lui».

C'est peut-être aussi pour cette raison que le «travail du deuil», s'il est réussi, l'on cesse alors de vouloir «ressusciter» les morts, pour ramener soi-même à la vie.

Albertine, non plus enfermée dans un double factice de l'avenir dans le passé, mais délivrée désormais, oubliée mais gardée cependant au fond de lui, hors de toute conscience -«amalgamée à la substance même de son âme»-, le catalogue de ses souvenirs se dématérialisera, ses robes «fortuny» se transsubstantialiseront en un voyage à Venise, la clarté de son teint et de son regard migreront anonymes dans le visage d'autres femmes éveillant le désir du Narrateur, et l'essai psychologique de sa souffrance subjective, devenue immatérielle et universelle, mué enfin en un magnifique roman.

Albertine retrouvée...




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Françoise, la bonne du narrateur, vient de lui apprendre qu'Albertine à fait ses malles et s'est enfuie. Lui qui vivait dans la jalousie obsédante de la soupçonner d'avoir des relations saphiques avec ses plus proches amies, se surprend à découvrir dans quel état de tristesse son absence le plonge et l‘amour que finalement il éprouvait pour elle. Sans réfléchir il lui envoie un télégramme la suppliant de revenir mais il reçoit le même jour la nouvelle de sa mort, scellant définitivement toute possibilité de réconciliation. Quelques heures plus tard, une lettre d'Albertine arrive où elle reconnaît son erreur de l'avoir quitter et le prie de lui pardonner l'inconséquence de son départ et d'accepter qu'elle revînt. le narrateur est alors plongé dans une réflexion qui lui fait se remémorer tous les souvenirs qu'ils ont eu de communs.
« J'avais rêvé d'être compris, de ne pas être méconnu par elle, croyant que c'était pour le grand bonheur d'être compris, de ne pas être méconnu, alors que tant d'autres eussent mieux pu le faire. On désire être compris parce qu'on désire être aimé, et on désire être aimé parce qu'on aime. »
Il en arrive à lui pardonner ce pour quoi il l'avait accablée.
« Pourquoi ne m'avait-elle pas dit : « J'ai ces goûts » ? J'aurai cédé, je lui aurait permis de les satisfaire, en ce moment je l'embrasserai encore. »
Pour cela, il interroge Andrée qu'il a installée chez lui. Il demande au maître d'hôtel du Grand hôtel de Balbec d'enquêter et ce dernier lui confirme qu'Albertine a bien séduit à l'époque une blanchisseuse.
Il retrouve chez la duchesse de Guermantes son amie d'enfance Gilberte, qui est devenue Gilberte de Forcheville alors que sa mère s'est remariée à la mort de Swann.
Lorsqu'il rentre de Venise en compagnie de sa mère, le narrateur apprend le mariage de Gilberte avec son ami Robert de Saint-Loup. Elle lui confie que son mari la trompe sans préciser que c'est avec des hommes dont Morel fait partie.
Editions Gallimard, 256 pages.
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Le titre annonce la couleur. le départ d'Albertine connu dès la fin du tome précédent est effectif. Et Marcel, bien entendu, brûle de qu'il a adoré autant qu'il adore ce qu'il a brûlé, encore très ambivalent en ce qui concerne ses sentiments vis à vis de la demoiselle, qui fluctuent en fonction de ce qu'il croit devoir imaginer des trahisons amoureuses qu'Albertine lui a fait subir, à force de mensonges mal construits.

Mais ce tome, qui ne manque pas de longs passage introspectifs, offre tout de même pas mal de surprises, de faux départs et de quiproquo, l'auteur semblant s'amuser de bousculer autant son narrateur que son lecteur.

On y reverra des personnages croisés naguère, qui fêteront surface sous de nouvelles identités…Suspens garanti.

Pour se consoler de ces événements malheureux, Marcel part pour Venise en compagnie de sa mère. Très belle évocation de la cité des Doges, que le jeune homme quittera, semble t-il débarrassé de ses fantômes amoureux.

Avant dernier tome de la série, où la complexité du narrateur apparaît dans toute sa splendeur, la maturité du raisonnement contraste la mauvaise foi des émotions.

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Ce sixième et avant-dernier tome de la Recherche est, à la suite du huis-clos de la prisonnière, le second tome presqu'entièrement consacré à Albertine, et aussi le deuxième roman posthume de l'auteur.
C'est un roman que Proust s'apprêtait probablement à remanier avant que la mort ne l'emporte, et un roman pour lequel il y a eu le plus de controverses éditoriales, et d'éditions successives, notamment à la suite de la découverte en 1992, du manuscrit dactylographié original.

Ce tome est essentiellement constitué d'une exploration prodigieuse des sentiments complexes que génère la séparation d'abord temporaire puis définitive d'un être aimé. Et au delà de ce premier plan, il y a aussi cette recherche de la vérité de l'autre, que l'on croyait connaître, dont on se cachait la vraie nature parce que l'on ne voulait pas la voir, et plus généralement de cette vérité insaisissable des êtres aimés.
J'ai été saisi par la profondeur et la finesse de l'analyse psychologique faite par le narrateur, d'abord de son manque lié au départ d'Albertine, puis de sa douleur à l'annonce de sa mort, de sa recherche quasi obsessionnelle de la vérité sur l'homosexualité de sa compagne disparue, et enfin, sur ce travail de deuil qui va progressivement transformer la douleur et l'obsession en un souvenir apaisé.
Cette exploration des sentiments à l'égard d'Albertine va toujours être présente et revenir, tel un thème obsédant, un leitmotive, dans tous les événements de la vie du narrateur.

Le roman est divisé en 4 chapitres de taille inégale.

Le premier chapitre, magnifique, qui fait plus de la moitié du livre, est tout entier dédié au départ d'Albertine puis à l'annonce de sa mort accidentelle.
Il est difficile de rendre compte de la complexité des états psychologiques du narrateur quitté par Albertine, alimentés parfois par ses discussions avec Andrée, l'amie de cette dernière. Il y a, entre autres, l'état de manque, le désespoir et le pessimisme, mais aussi l'oubli qui progressivement s'installe, et le goût pris à la solitude, la tentation que représentent d'autres jeunes filles, le souhait d'accueillir Andrée, l'amie d'Albertine etc....
Mais voilà qu'un télégramme lui annonce la mort d'Albertine d'un accident de cheval, alors que dans le même temps, deux lettres de celle-ci lui parviennent, la seconde le suppliant de la reprendre.
Alors un étrange travail de deuil va s'accomplir, le narrateur envahi à la fois par le souvenir des jours heureux, mais aussi par ses interrogations obsessionnelles sur l'homosexualité d'Albertine, qui se trouvent confirmées.
Mais, « avec le temps, va , tout s'en va », peu à peu le chagrin se dissipe, l'oubli s'installe, le narrateur arrive à réaliser, que, comme pour lui, il y avait plusieurs personnes en Albertine et s'installe alors un souvenir aimant et apaisé.
Le second chapitre nous fait ré-apparaitre Gilberte, la fille de Swann et d'Odette, veuve de Swann et remariée à Mr Forcheville, ce dernier ayant adopté et donné son nom à Gilberte. Sans entrer dans les détails et ils sont nombreux, ce chapitre est une sorte d'intermède, et très vite revient le «thème » d'Albertine, le dialogue avec Andrée révélant au narrateur, non seulement la nature lesbienne de leurs relations, mais aussi une autre version, totalement inattendue, expliquant le départ de sa «prisonnière ». Néanmoins, l'oubli serein d'Albertine continue de se faire chez le narrateur.
Dans le troisième chapitre, le narrateur fait enfin son voyage à Venise, avec sa mère, un séjour si souvent fantasmé et toujours reporté, une magnifique évocation de cette ville, un séjour qui semble aussi de façon symbolique solder la fin de sa jeunesse, mais dans lequel le « thème » d'Albertine réapparaîtra de façon énigmatique.
Enfin dans le dernier chapitre, assez court, le « train-train »de la vie mondaine reprend, mariage malheureux de Gilberte avec Saint-Loup qui la trompe...avec des hommes, sa mère Odette toujours à court d'argent et qui « tape » son gendre, et enfin grande amitié entre le narrateur et Gilberte, ce qui fait le lien avec le début de la recherche et notamment du Côté de chez Swann.

Au delà de cette analyse de ce tome que je trouve d'une très grande beauté, et avant d'aborder la lecture du dernier volume de la Recherche, je vous livre, chers Babeliotes, mon questionnement pour lequel la réponse vous paraîtra peut-être évidente, ou la question de peu d'interêt au regard des qualités de l'oeuvre.
Ce qui me pose question, est pour moi une énigme, c'est la grande place que prend l'homosexualité à partir de Sodome et Gomorrhe, suivi de la Prisonnière, et d'Albertine disparue, alors que ce point est moins présent dans les trois premiers tomes de la Recherche (sauf dans du Côté de chez Swann où le narrateur assiste aux ébats de Mlle Vinteuil et d'une des ses amies) , et je ne sais pas ce qu'il en est pour le dernier.
Je sais, comme vous, que Proust était lui même homosexuel. En construisant cette oeuvre, dans laquelle un narrateur se présentant comme un être complètement hétérosexuel mais où celui-ci donne dans son récit une si large place à l'homosexualité aussi bien masculine que féminine, et développe devant nous une sorte de quête obsessionnelle des liens lesbiens « fautifs » qui unissent les femmes, en particulier Albertine et ses « amies », Proust ne nous livre-t-il pas de façon détournée, son propre questionnement sur sa propre sexualité. Et le fait d'avoir tant remanié ces trois tomes ne reflète-t-il pas sa difficulté à aborder cette question?
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Je viens de refermer le 6ème tome de la Recherche principalement consacré à Albertine qui vient de quitter brusquement le domicile du narrateur où elle vivait depuis le retour de Balbec.

Lorsque Françoise lui annonce qu'Albertine est partie ce matin tôt avec ses malles, le narrateur ressent une forte douleur. Et pourtant, combien de fois a-t-il pensé et dit qu'une séparation était préférable ? Il se rend soudain compte de la force de l'amour qui le lie à la jeune femme.

Le narrateur se convainc que sa compagne reviendra vite mais ce n'est pas le cas. Il envoie, en désespoir de cause, son ami Saint-Loup, chez Mme Bontemps, chez qui Albertine est hébergée, pour qu'elle revienne. Peine perdue. D'ailleurs, Albertine lui écrit qu'elle aurait préféré qu'il s'adresse à elle directement.

Il apprend qu'Albertine est partie car Mme Bontemps voulait la marier à un certain Octave, bon parti car le narrateur n'avait pas fait sa demande et aussi en raison de sa jalousie maladive.

Au comble de la souffrance, le narrateur écrit à Albertine pour la supplier de revenir. le jour de l'envoi de cette lettre, il apprend par un télégramme de Mme Bontemps qu'Albertine est morte ! Un accident de cheval est la cause de ce décès violent. Peu de temps après, il reçoit deux lettres d'Albertine, à titre posthume, dont une par laquelle elle le supplie de pouvoir revenir auprès de lui.

Alors, une période de deuil s'ouvre. Après le départ d'Albertine il avait entamé un deuil de leur relation mais avec le décès, le deuil se transforme. Albertine n'est plus, rien ne pourra la faire revenir.


Le narrateur passe par une phase d'enfermement dans sa chambre et en soi. Il est inconsolable et idéalise sa relation avec Albertine. Ensuite, sa jalousie et sa volonté d'en savoir plus sur les penchants sexuels de son ancienne compagne le poussent à interroger Andrée qui avoue qu'Albertine était bien lesbienne et qu'elle avait des aventures avec des jeunes filles que Morel, ancien amant de Charlus, lui amenaient. Est-ce vrai ou faux ?

Pour percer le mystère, le narrateur envoie Aimé, mener l'enquête jusqu'à Nice. Il confirme qu'Albertine aimait les femmes.

Après cette phase petit à petit, l'oubli s'installe malgré des réminiscences de sa vie avec Albertine.

La mère du narrateur décide d'un voyage à Venise avec son fils. Les pages sur Venise sont très belles. Ils rencontrent d'anciennes connaissances des salons.

Alors qu'ils sont dans le train qui les ramènent chez eux, la mère et le fils ont la surprise d'apprendre, à la lecture de lettres, que deux mariages étonnants vont avoir lieu, celui de Saint-Loup avec Gilberte que le narrateur a aimée dans son enfance et celui du "petit Cambremer" avec Mlle d'Oloron.

Retour en France. Nous croisons à nouveau d'anciens personnages de la Recherche et notamment Gilberte. Elle se marie avec Saint-Loup mais visiblement n'est pas heureuse. Elle sait que son mari la trompe. le narrateur apprendra que Saint-Loup est également un inverti, qu'il a des relations, notamment avec Morel, et qu'il cache son orientation sexuelle en se montrant avec des femmes qui sont considérées comme ses maîtresses. Avec ces mariages, le côté de Guermantes et celui de Méséglise se rejoignent mais il n'ont plus le même charme que dans le passé pour le narrateur.

Ce tome est celui d'une introspection. le narrateur nous livre ses réflexions et ses états psychologiques. Ses deuils (de la relation d'abord et d'Albertine ensuite) sont sombres, douloureux. Sa souffrance est indicible. Mais comme pour tout deuil, la phase de l'oubli, ou plutôt de l'acceptation de la mort, arrive enfin et le narrateur peut à nouveau vivre. Cependant, il se rend compte qu'avec le temps, ce qu'il avait aimé auparavant s'est transformé : de son amour pour Albertine à ses souvenirs de Combray. Au moins, dans ce volume, a-t-il eu la joie de lire dans Le Figaro, un article qu'il avait envoyé au journal. Il est fier.

J'ai beaucoup aimé Albertine disparue. le narrateur m'est apparu plus proche et son deuil d'un amour perdu m'a bouleversée. le temps permet de soigner les blessures mais il fait mûrir aussi.
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Citations et extraits (218) Voir plus Ajouter une citation
(…) ces moments du passé ne sont pas immobiles, ils ont gardé la force terrible, l’ignorance heureuse de l’espérance qui s’élançait alors vers un temps devenu aujourd’hui le passé mais qu’une hallucination nous fait un instant prendre rétrospectivement pour l’avenir. Je lisais une lettre d’elle, où elle m’annonçait sa visite pour le soir et j’avais une seconde la joie de l’attente. Dans ces retours, par la même ligne, d’un pays où l’on ne retournera jamais, où l’on reconnaît le nom, l’aspect de toutes les stations par où on a déjà passé à l’aller, il arrive que tandis qu’on est arrêté à l’une d’elles en gare, on a un instant l’illusion qu’on repart mais dans la direction du lieu d’où l’on vient, comme l’on avait fait la première fois. Tout de suite l’illusion cesse mais une seconde on s’était senti de nouveau emporté vers lui : telle est la cruauté du souvenir.


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Par une autre réaction, si (bien que ce fût la distraction — le désir de Mlle dʼÉporcheville — qui mʼeût rendu tout dʼun coup lʼoubli effectif et sensible) il reste que cʼest le temps qui amène progressivement lʼoubli, lʼoubli nʼest pas sans altérer progressivement la notion du temps. Il y a des erreurs dʼoptique dans le temps comme dans lʼespace. La persistance en moi dʼune velléité ancienne de travailler, de réparer le temps perdu, de changer de vie, ou plutôt de commencer à vivre, me donnait lʼillusion que jʼétais toujours aussi jeune ; pourtant le souvenir de tous les événements qui sʼétaient succédé dans ma vie — et aussi ceux qui sʼétaient succédé dans mon cœur, car, quand on a beaucoup changé, on est induit à supposer quʼon a plus longtemps vécu — au cours de ces derniers mois de lʼexistence dʼAlbertine, me les avait fait paraître beaucoup plus longs quʼune année, et maintenant cet oubli de tant de choses, me séparant par des espaces vides, dʼévénements tout récents quʼils me faisaient paraître anciens puisque jʼavais eu ce quʼon appelle « le temps » de les oublier, cʼétait son interpolation, fragmentée, irrégulière, au milieu de ma mémoire — comme une brume épaisse sur lʼocéan, et qui supprime les points de repère des choses — qui détraquait, disloquait mon sentiment des distances dans le temps, là rétrécies, ici distendues, et me faisait me croire tantôt beaucoup plus loin, tantôt beaucoup plus près des choses que je ne lʼétais en réalité. Et comme dans les nouveaux espaces, encore non parcourus, qui sʼétendaient devant moi, il nʼy aurait pas plus de traces de mon amour pour Albertine quʼil nʼy en avait eu dans les temps perdus que je venais de traverser, de mon amour pour ma grand-mère, offrant une succession de périodes sous lesquelles, après un certain intervalle, rien de ce qui soutenait la précédente ne subsistait plus dans celle qui la suivait, ma vie mʼapparut comme quelque chose dʼaussi dépourvu du support dʼun moi individuel identique et permanent, quelque chose dʼaussi inutile dans lʼavenir que long dans le passé, quelque chose que la mort pourrait aussi bien terminer ici ou là, sans nullement le conclure, que ces cours dʼhistoire de France quʼen rhétorique on arrête indifféremment, selon la fantaisie des programmes ou des professeurs à la Révolution de 1830, à celle de 1848, ou à la fin du Second Empire.
Peut-être alors la fatigue et la tristesse que je ressentis vinrent-elles moins dʼavoir aimé inutilement ce que déjà jʼoubliais, que de commencer à me plaire avec de nouveaux vivants, de purs gens du monde, de simples amis des Guermantes, si peu intéressants par eux-mêmes. Je me consolais peut-être plus aisément de constater que celle que jʼavais aimée nʼétait plus au bout dʼun certain temps quʼun pâle souvenir que de retrouver en moi cette vaine activité qui nous fait perdre le temps à tapisser notre vie dʼune végétation vivace mais parasite, qui deviendra le néant aussi quand elle sera morte, qui déjà est étrangère à tout ce que nous avons connu et à laquelle pourtant cherche à plaire notre sénilité bavarde, mélancolique et coquette.
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De même que dans tout le cours de notre vie notre égoïsme voit tout le temps devant lui les buts précieux pour notre moi, mais ne regarde jamais ce Je lui-même qui ne cesse de les considérer, de même le désir qui dirige nos actes descend vers eux, mais ne remonte pas à soi, soit que trop utilitaire il se précipite dans l’action et dédaigne la connaissance, soit recherche de l’avenir pour corriger les déceptions du présent, soit que la paresse de l’esprit le pousse à glisser sur la pente aisée de l’imagination plutôt qu’à remonter la pente abrupte de l’introspection.


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Notre tort est de croire que les choses se présentent habituellement telles qu’elles sont en réalité, les noms tels qu’ils sont écrits, les gens tels que la photographie et la psychologie donnent d’eux une notion immobile. En fait ce n’est pas du tout cela que nous percevons d’habitude. Nous voyons, nous entendons, nous concevons le monde tout de travers. Nous répétons un nom tel que nous l’avons entendu jusqu’à ce que l’expérience ait rectifié notre erreur, ce qui n’arrive pas toujours. (...)Cette perpétuelle erreur, qui est précisément la « vie », ne donne pas ses mille formes seulement à l’univers visible et à l’univers audible, mais à l’univers social, à l’univers sentimental, à l’univers historique, etc. La princesse de Luxembourg n’a qu’une situation de cocotte pour la femme du Premier Président, ce qui, du reste, est de peu de conséquence; ce qui en a un peu plus, Odette est une femme difficile pour Swann, d’où il bâtit tout un roman qui ne devient que plus douloureux quand il comprend son erreur; ce qui en a encore davantage, les Français ne rêvent que la revanche aux yeux des Allemands. Nous n’avons de l’univers que des visions informes, fragmentées et que nous complétons par des associations d’idées arbitraires, créatrice de dangereuses suggestions.
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(A Venise) Quand, à dix heures du matin, on venait ouvrir mes volets, je voyais flamboyer, au lieu du marbre noir que devenaient en resplendissant les ardoises de Saint-Hilaire, l’Ange d’Or du campanile de Saint-Marc. Rutilant d’un soleil qui le rendait presque impossible à fixer,(...). Je ne pouvais apercevoir que lui tant que j’étais couché, mais comme le monde n’est qu’un vaste cadran solaire où un seul segment ensoleillé nous permet de voir l’heure qu’il est, dès le premier matin je pensai aux boutiques de Combray sur la place de l’Église, qui, le dimanche, étaient sur le point de fermer quand j’arrivais à la messe, tandis que la paille du marché sentait fort sous le soleil déjà chaud.(...) à Venise où la vie quotidienne n’était pas moins réelle qu’à Combray, où comme à Combray le dimanche matin on avait bien le plaisir de descendre dans une rue en fête, mais où cette rue était toute en une eau de saphir, rafraîchie de souffles tièdes, et d’une couleur si résistante que mes yeux fatigués pouvaient, pour se détendre et sans craindre qu’elle fléchît, y appuyer leurs regards.
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MARCEL PROUST / DU CÔTÉ DE CHEZ SWANN / LA P'TITE LIBRAIRIE
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