AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,33

sur 621 notes
5
31 avis
4
14 avis
3
4 avis
2
1 avis
1
0 avis
Où Marcel, à l'affut derrière sa fenêtre, guettant la fécondation d'une orchidée par un insecte pollinisateur, surprend une scène qui lui révèle la véritable personnalité du baron de Charlus. S'en suit un long développement sur ce qu'implique socialement et personnellement le fait d'être inverti, dans une société qui condamne de tels penchants, et dresse un catalogue qui pourrait être une élégante façon de suggérer comment identifier ce que l'on cherche à cacher.

Suit une soirée chez la princesse de Guermantes, source d'angoisse préalable puisque Marcel ignore jusqu'au dernier moment s'il est invité ou non. Une fois introduit dans la place, outre l'observation de Charlus, chez qui il tente de confirmer ce qu'il a vu quelques jours plus tôt, Marcel scrute, analyse et se fait une idée de la mondanité dont il tente tant de se rapprocher.

Ses certitudes quant aux moeurs de Charlus font le pendant de ses doutes vis à vis d'Albertine. Si elle clame sa détestation de Gomorrhe, le docteur Cottard est loin d'y croire et en fait la démonstration au malheureux jeune homme.

Marcel poursuit son éducation mondaine, et se fait une place encore ambiguë au sein de ces élites dont il tente de se rapprocher, tout en réalisant les illusions de supériorité qu'il leur attribuait.

Un opus au cours duquel Marcel allège le ton général , en s'adressant au lecteur, puis en rapportant avec humour les défaillances langagières du maitre d'hôtel de Cabourg.

Et toujours magie de cette prose unique, cette petite musique si reconnaissable et envoutante.
Lien : https://kittylamouette.blogs..
Commenter  J’apprécie          842
* Un été avec Marcel #4 *

Oui, je sais, on n'est plus en été ! Chez moi aussi, dans ma petite Belgique, souffle un vent à défriser les mamies bleu ciel. le chat semble une pomme de terre poilue tant son pelage est gonflé. Ca ne trompe pas, l'automne est bien là. Conclusion, je me suis encore faite avoir par la rentrée littéraire et j'ai délaissé Marcel trop longtemps ! Qu'à cela ne tienne, je me suis plongée avec délectation - passion - plaisir dans ce 4ème opus de la Recherche (Tiens, je me trouve des accents de Mme de Cambremer...).

Et il nous raconte quoi Marcel 4 ?
Marcel (même que ce n'est pas Marcel, mais tout le monde sait que le narrateur c'est quand même Marcel) est passé dans l'âge adulte maintenant. Il vit toujours ses heures mondaines entourés de ces fats hypocrites désoeuvrés, Albertine à son bras.
Comme toujours, ce n'est pas l'action qui prime chez Proust, mais bien l'atmosphère et les saillies langagières. D'ailleurs en parlant de saillies, elles ne furent pas que langagières dans ce tome !

Sodome s'ouvre en force avec la découverte de la relation charnelle entre M. de Charlus et Jupien qui tel le bourdon va féconder l'orchidée. S'ensuit durant tout le roman une évocation de l'homosexualité masculine, cachée et hypocrite même derrière les portes des bordels. Les amours invertes ne sont pas simples.
Gomorre n'est pas en reste ! Marcel prête à Albertine des relations avec ses amies, comme il l'a vu précédemment avec Mlle Vinteuil. Je ne suis pas persuadée qu'Albertine ait quoi que ce soit à se reprocher, mais Marcel est jaloux comme un pou. Femmes ou hommes, la pauvre est surveillée de près.
A part ceci reste le merveilleux passage de la mort de sa grand-mère, où les souvenirs font prendre conscience de la perte de l'être aimé, bien plus que la froideur du cadavre.
Proust nous régale aussi de la truculature du parlement du liftier. C'est à lectorer !

J'ai passé un moment délicieux - agréable - bon avec la 4ème mouture de cette fresque grandiose.

Maintenant je dois m'atteler à lire une masse critique cotée à 2,4 sur Babelio. Gageons que ma prochaine critique sera rigolote ! :-) (Voyez comme je vous tiens en haleine !!)



Commenter  J’apprécie          6021

Au moment où paraissait «Le Côté des Guermantes I», s'adressant à un critique du journal le «Temps», Proust écrivait:
«C'est encore un livre «convenable». Après celui-là, cela va se gâter sans qu'il y ait de ma faute. Mes personnages ne tournent pas bien ; je suis obligé de les suivre là où me mène leur défaut ou leur vice aggravé».

À une époque, en effet, où il n'était pas de bon ton d'aborder ouvertement la question homosexuelle, où le «vice» odieux pratiqué par les «invertis» était considéré comme hautement répréhensible, non seulement d'un point de vue moral mais, dans certains cas, par la loi aussi – pensons un instant au malheur qui s'était abattu, par exemple, sur ce cher Oscar Wilde quelques années auparavant (et n'oublions tout de même pas qu'en France il faudrait attendre 1982 pour que la toute dernière loi en la matière, définissant une majorité sexuelle différente entre les personnes homosexuelles et hétérosexuelles, soit finalement abrogée)-, le Narrateur, se livrant, dès la scène d'ouverture de «Sodome et Gomorrhe», à un exercice stylistique à hauts risques, lorsque, telle une Psyché ingénue découvrant un visage jusque-là impensable à Cupidon, ce dernier aurait l'occasion de suivre, au gémissement près, protégé derrière une cloison, les ébats sexuels entre le Baron de Charlus et Jupien, Proust savait très bien qu'il avait tout intérêt à préparer en amont les esprits pour la suite qu'il comptait donner à "Guermantes", en l'occurrence celui de Paul Souday, chroniqueur littéraire du «Temps» entretenant encore à cette époque un rapport ambivalent vis-à-vis de son oeuvre, et lequel d'ailleurs, tout en lui reconnaissant des qualités littéraires incontestables, lui reprochait à ce moment même un certain «esthétisme nerveux, un peu morbide, presque "féminin" (!). Voilà, se sera certainement écrié Proust, en le lisant, et en pensant à sa propre réputation à venir, le mot qu'il n'eût surtout pas fallu y rajouter!!!

Avec un minimum de recul, il aurait été aisé à un lecteur attentif, me semble-t-il, de constater que l'ombre de l'auteur ne s'était jamais auparavant laissé glisser et superposer à ce point à celle du Narrateur comme dans cette première partie de Sodome et Gomorrhe, en tout cas pas d'une manière aussi périlleuse -envahissante-délicate (comme l'aurait écrit, dans cet ordre d'adjectivation décroissant qui était sa «marque de fabrique», cette sympathique Mme de Cambremer)!
Sinon, comment expliquer que notre candide et curieux «Psyché» susnommé ait pu enchaîner quasiment sans transition la sidération provoquée par la scène dont il se remémore toujours abasourdi bien des années plus tard, par une dissertation aussi détaillée-prolifique-étendue - dans laquelle, pour l'anecdote, se trouve la phrase la plus longue de «La Recherche» : 931 mots -, dénonçant la condition moralement et existentiellement précaire des «invertis», le renoncement à leur nature profonde ou bien les ruses incroyables auxquels ils devaient s'astreindre en toutes circonstances pour cacher leur "vice" et se faire accepter en société, la pression morale et la violence omniprésentes subies au quotidien?
Car il s'agit bien, entre les lignes, d'un véritable plaidoyer contre l'intolérance et l'hypocrisie de la société française de l'époque envers cette «race des tantes» à laquelle, en revanche, dans les salons parisiens, lorsqu'elle concernait des gens «bien nés», on savait en partie fermer les yeux, comme c'était le cas vis-à-vis des frasques de Monsieur de Charlus, mais qu'on ne pouvait tout de même pas s'empêcher d'évoquer à mi-mots, sur le ton du reproche ou de la moquerie ; un plaidoyer qui cependant ne dit à aucun moment son nom, qui ne revendique rien au-delà de la réalité hideuse qu'il dépeint avec des traits d'une précision redoutable (mais qui sera hélas globalement mal-reçu et critiqué, y compris par une partie de la communauté homosexuelle de l'époque, à commencer par Gide lui-même!). Comment imputer exclusivement à la voix seule du Narrateur un discours traduisant sans ambages une telle connaissance intime du sujet qui aurait pu difficilement être forgée sans une réelle expérience vécue de l'intérieur? Certes, tout narrateur peut être omniscient, etc., etc., m'enfin...!!

Exercice de haute-voltige où Proust démontrera, encore une fois, à quel point il maîtrise l'art de la nuance qui lui permet de glisser imperceptiblement du plus particulier, du purement idiosyncratique à l'universel, de conduire son lecteur, sans trop le heurter, bien au-delà des jugements hâtifs que ce dernier pourrait d'emblée être naturellement tenté de porter sur les choses ou sur les gens, ou de ces préjugés sociaux qu'il dissèque sans concessions, mais en veillant à garder toujours un fond d'indulgence face à la diversité et aux faiblesses humaines, celle-là même qu'inspire l'idéal du Narrateur incarné par sa grand-mère «originale et fantasque», à qui il voue une admiration et un amour sans bornes.
Préférant ici, comme il le fait souvent par rapport à d'autres domaines et sujets qu'il développe, donner l'air de coller aux représentations de son époque, pour mieux pouvoir s'en départir ensuite, en montrant, par contraste, leur ridicule ou leur cruauté, l'auteur opte finalement pour le mot d'«inverti», après avoir, tel qu'il explique dans une lettre à un de ses correspondants, écarté le trop mordant «tante» utilisé auparavant par Balzac, et celui, de Krafft-Ebing, «homosexuel», à la neutralité germanique pas encore tout à fait intégrée dans le vocabulaire courant des Français.

Pour ce qui est du domaine de Gomorrhe, plus équivoque et mieux à l'abri des regards par rapport à une tendresse naturellement pratiquée et acceptée socialement entre les femmes, et surtout mieux toléré en principe, exalté même quelquefois, ou sublimé dans la littérature et la poésie du XIXe, ses adeptes étaient déjà représentées depuis le tout premier tome de «La Recherche», entre autres par la fille du compositeur Vinteuil, Mlle Vinteuil, et notamment dans le passé trouble d'Odette de Crécy qui abonderait entre autres les fantasmes d'une jalousie de plus en plus gourmande de la part de Swann, le même schéma se reproduisant à nouveau d'ailleurs, cette fois-ci entre le Narrateur et Albertine.

Mais, même si le Narrateur découvre, enfin, les exilés de «Sodome» (qu'il aura appris d'ailleurs, très, voire "trop" rapidement à reconnaître rien qu'à un certain type de regard qui leur serait propre, et qu'il voit désormais un peu partout !), même si la proximité de Charlus et de sa passion dévorante pour Morel lui permettent d'observer et d'analyser leurs jeux de séduction particuliers, et de même que si, d'un autre côté, lors de ce deuxième séjour prolongé sur la côté normande, la fréquentation progressive du salon parisien bourgeois -donc considéré de «seconde catégorie»- des Verdurin, transplanté temporairement à la Raspelière, à côté de Balbec, lui révèle qu'un certain mélange de genres atypique peut également se produire de temps en temps dans la société en général - au gré de situations extraordinaires ou des modes passagères-, il finit par conclure que tout bien considéré, d'un milieu à l'autre ou d'une «race» à l'autre, rien de fondamental ne change véritablement dans les attitudes des uns et des autres, ni en société, ni sur le plan, privé, des vicissitudes du coeur!
Force est d'admettre, écrit-il alors, philosophe, par le biais d'une de ces comparaisons que son style affectionne tant, que parfois on aura beau changer de pays, partir dans des contrées très éloignées et devoir se soumettre à un nouveau régime horaire, à un décalage important dans les heures de la journée, il n'en reste pas moins que celle-ci comptera toujours, partout, exactement le même nombre d'heures!!

Les tomes « Côté de Guermantes II » et «Sodome et Gomorrhe» sont par ailleurs souvent considérés comme témoignant de l'arrivée du Narrateur, non seulement dans l'âge adulte, mais aussi et surtout dans celui de la «perte de ses illusions», reprenant d'une certaine manière ici le schéma classique consacré par le grand roman d'apprentissage français du XIXe. C'est ainsi, par exemple, que l'épisode de la mort de la grand-mère, au début de «Guermantes II», est fréquemment épinglé par ses commentateurs comme une sorte de «marqueur» de ce passage en train de se concrétiser.

Pourtant, une telle ligne de partage des eaux, si tant est qu'il y ait une, serait-elle aussi évidente?

Ne pourrait-on pas, d'autre part, pourquoi pas, à la place de ces «illusions» qui, fussent-elles véritablement «perdues» pour lui, l'auraient été, me semble-t-il, depuis fort longtemps déjà, mettre plutôt l'accent sur cette autre notion, celle d'«intermittences» que Proust avait puisée chez Maurice Maeterlinck, lorsque dans son essai sur «L'Immortalité» ce dernier écrivait: «On dirait que les fonctions de cet organe par quoi nous goûtons la vie et la rapportons à nous-mêmes, sont intermittentes, et que la présence de notre moi, excepté dans la douleur, n'est qu'une suite perpétuelle de départs et de retours».

Quelle magnifique intuition, soit dit au passage, de la part d'un plus grands auteurs francophones du courant symboliste européen, et qui pourrait d'ailleurs donner toujours matière à réfléchir à ceux qui s'intéressent de nos jours à cette branche de la Neuropsychologie, de plus en plus étudiée depuis quelques années et connue sous l'appellation de «théorie de l'esprit».
Et quelle sublime métaphore aura-t-elle inspirée à Proust, développée ici plus particulièrement dans le sous-chapitre «Intermittences du Coeur -inséré dans partie II de « Sodome et Gomorrhe-, «intertitre» qui avait été même envisagé dans un premier temps, puis abandonné par l'auteur, comme titre général de son roman.

Dans ce passage, l'un des plus célèbres et émouvants de toute « La Recherche », se souvenant d'un épisode, quand, revenu à Balbec, le premier soir, seul dans la même chambre d'hôtel -contiguë à celle que sa grand-mère avait occupée lors de leur premier séjour ensemble dans la station normande -, et suite à un geste en apparence anodin (à l'instar de cette autre madeleine autrefois trempée dans le thé) réveillant involontairement, un an après son décès, toute la douleur que l'anesthésie de sa conscience n'arriverait dorénavant plus à oblitérer, le Narrateur, s'abandonnant aux larmes qu'il avait retenues depuis, laissant enfin ses sens ravivés «lameller sa chair», éprouvera, dans un «après-coup», mais en même temps comme pour la première fois, le sentiment que sa grand-mère était définitivement perdue et, du même coup, celui de ramener à lui «le moi qui le vécut» et qui s'était perdu.

«Le moi que j'étais alors et qui avait disparu si longtemps était de nouveau près de moi (…) Je n'étais plus que cet être qui cherchait à se réfugier dans les bras de sa grand-mère, à effacer les traces de ses peines en lui donnant des baisers, cet être que j'aurais tant de peine à me figurer, quand j'étais tel ou tel de ceux qui s'étaient succédé en moi depuis quelque temps, autant de difficulté que maintenant il m'eût fallu d'efforts, stériles d'ailleurs, pour ressentir les désirs et les joies de l'un de ceux que, pour un temps du moins, je n'étais plus.»

Dans un sens plus large, l'on pourrait également imaginer que ce sont ces mêmes "intermittences" , plutôt que de simples "illusions" passées, qui , par exemple, lui feront, au gré de ses cogitations et de l'émergence de souvenirs liés à Saint-Loup ou à Bloch, accorder ou pas une valeur aux liens d'amitié ; ou qui le conduiront à fuir ou à céder à son attrait récurrent pour les salons parisiens et l'univers aristocratique des Guermantes, considéré tour à tour comme vide de sens et ridicule, ou bien comme source précieuse d'inspiration à son travail d'écrivain, rattachée étroitement aux «noms» de son enfance - ou encore, à l'inverse, dans son goût immoderé pour une solitude dans laquelle il entrevoit par moments l'unique possibilité d'un havre assuré à son hypersensibilité imaginative, mais qui à d'autres le plonge, soit dans une grande agitation nerveuse, soit dans une permanente procrastination- ; ou, enfin et surtout, qui le font voir, coup sur coup, consumer puis rallumer son amour et son désir de possession vis-à-vis d'Albertine…


L'on peut avoir alors le sentiment que le motif, souvent invoqué donc, de la «perte d'illusions» le serait, sinon à tort, en tout cas insuffisant à rendre toute les subtilités mises en jeu dans la psychologie de son Narrateur, dont du reste une certaine part d'attente et d'innocence sembleraient malgré tout persister contre vents et marées, refusant à céder complètement la place à une attitude unilatérale, cynique – désabusée - désenchantée (Mme de Cambremer, sortez de ce billet !!). Un personnage, en outre, qui à travers ses réminiscences, essaie par tous les moyens à mettre son moi profond à l'abri de l'usure, de la déception et de l'amertume liées au passage du temps. Tout le contraire, on dirait, d'un désenchantement pur et simple!

Afin de combattre cette «perte d'illusions» qui, n'est-ce pas, passé un certain âge, nous guette tous, on pourrait enfin lancer l'hypothèse d'un autre mécanisme psychologique agissant chez lui, quasiment à l'opposé du premier, et qu'on nomme «délusion» en Psychologie. Sa manifestation la plus courante et facile à cerner, reste sans aucun doute celle de l'enfant qui, par exemple, pris en flagrant délit devant les restes mortels du vase en porcelaine de Chine qu'il vient de faire voler en éclats en essayant de grimper sur les étagères -et surtout devant le masque de colère de l'adulte alerté par le vacarme, déboulant dans salon-, répète impassible, contre toute évidence et en boucle : «C'est pas moi qui l'a cassé !!!» (sic).

Parfois synonyme de «délire» dans des manuels de Psychopathologie ou de Psychiatrie, la «délusion» correspond dans son sens premier à tout mouvement psychique assertif qui, face à une perception du réel vécue comme erronée ou en contradiction avec une autre représentation mentale à laquelle la conscience s'accroche malgre tout, finira par donner à cette dernière le sentiment d'une plus grande fiabilité et factualité à ses propres fonctions d'imagination qu'à la réalité elle-même : «Ceci n'est pas une pipe.»

«(…) mon sort était de ne poursuivre que des fantômes, des êtres dont la réalité pour une bonne part était dans mon imagination ; il y a des êtres en effet -et ç'avait été dès la jeunesse mon cas- pour qui tout ce qui a une valeur fixe, constatable par d'autres, la fortune, le succès, les hautes situations, ne comptent pas ; ce qui leur faut, ce sont des fantômes. Ils y sacrifient tout le reste, mettent tout en oeuvre, font tout servir à rencontrer tel fantôme. Mais celui-ci ne tarde à s'évanouir ; alors on court après tel autre, quitte à revenir ensuite au premier.»

Et, après avoir évoqué, dans ce même paragraphe, les «intermittences» du désir pour ceux qui, comme Swann et lui-même, seraient au fond «des amateurs de fantômes», et revenant sur ses réminiscences successives depuis Balbec, à lui de conclure :

«De fantômes poursuivis, oubliés, recherchés à nouveau, quelquefois pour une seule entrevue et afin de toucher à une vie irréelle laquelle aussitôt s'enfuyait, ces chemins de Balbec en étaient pleins. En pensant que leurs arbres, poiriers, pommiers, tamaris, me survivraient, il me semblait recevoir d'eux le conseil de me mettre enfin au travail pendant que n'avait pas encore sonné l'heure du repos éternel.»

De sorte qu'il n'y aurait d'autre issue à de telles natures, à des âmes comme la sienne, que de se vouer corps et âme au récit imaginaire de soi, tissé à partir de réminiscences, elles-mêmes liées à des perceptions d'événements qui au moment même où ils se déroulaient, s'affadissaient, notre conscience et nos sens étant, hélas, la plupart du temps accaparés dans le présent par un trop-plein de réalité. Seul moyen donc de faire face au temps autrement qu'en pure perte, «avant que ne sonne l'heure du repos éternel» - et, pour elles, dans la communauté des hommes, pas d'autre perspective en dehors de l'exercice de l'art, afin de leur permettre d'apprivoiser en elles-mêmes la beauté du monde, qui, devenue immatérielle, et comme dans les tableaux d'Elstir, «exilée de la nature pour habiter le regard de l'artiste», pourrait dès lors être partagée et échapper à l'oubli.



Arrivé à ce stade, moi non plus, je n'ai guère d'autre perspective pour l'instant : je reste «exilé» dans cette lecture que je poursuivrai désormais sans retour possible, jusqu'à son terme, jusqu'à à son dernier point final, tout au moins jusqu'à sa toute dernière suspension...

À suivre, donc, tant que cela durera!


Commenter  J’apprécie          5310
De tous les épisodes de la Recherche du temps perdu que je découvre depuis cet été, « Sodome et Gomorrhe » m'a paru le plus tonique, le plus alerte, le plus mouvementé. N'allez pas croire toutefois que les péripéties vous sautent à la figure toutes les trois lignes ! On reste chez Proust et ce tome, qui pourrait s'appeler « Marcel à la plage, saison 2 » reste dans la tonalité des précédents. J'ai d'ailleurs trouvé un plaisir nouveau à me couler dans La Recherche, à connaitre de ces après-midis interminables où on n'avance que si peu, solidement entourée que j'étais par les centaines de pages que je venais de parcourir et les tout autant qui m'attendaient encore, comme emmaillotée dans un amas de lignes qui opposaient à la réalité l'épaisseur massive de leur existence.

Néanmoins, là où on ne quittait guère la digue, le grand-hôtel, Doncières au plus loin, dans A l'ombre des jeunes filles en fleur, là où on ne faisait que quelques pas dans les rues parisiennes pour aller des quartiers de Mme de Villeparisis aux appartements d'Oriane de Guermantes, les nombreux déplacements de Sodome et Gomorrhe, en automobile ou en train nous donneraient presque le tournis. C'est que, à la fois pour occuper Albertine avec laquelle le narrateur a renoué, que pour poursuivre une vie mondaine dans un délicieux décalage avec ce qu'aurait interdit Paris mais qu'autorise une villégiature balnéaire, nous voilà entrainés aux mercredis des Verdurin qui, nouvellement enrichis, ont loué à un prix mirifique la propriété principale des Cambremer, aristocrates dont la fortune n'honore plus le nom. Verdurin qui tiennent donc salon, à leur manière informelle habituelle, se piquant de n'y avoir que le fin du fin et arguant que si certains n'en sont pas, c'est que l'on n'en a pas voulu. On découvre, sur le chemin emprunté par le petit train touristique où nous avons embarqué, paysages et petites églises dans le bocage environnant, bercés par le chef de gare égrenant la litanie des noms de lieux, ramassant son chapelet d'habitués, d'amis et de connaissances. Tchou tchou le p'tit train… Ambiance, ambiance.

Albertine a reçu une jolie toque pour monter dans l'automobile que loue le narrateur presque chaque jour, un charmant nécessaire en or pour se refaire une beauté avant de descendre en gare, tout cela sent le plaisir et le charme innocent des amours de vacances. Il se dégage d'ailleurs de certaines pages le bonheur serein que j'avais en vain cherché dans A l'ombre des jeunes filles en fleur, le contentement d'un narrateur enfin présent à ce qu'il vit, juste heureux de profiter d'instants où il n'est ni jaloux, ni inquiet, ni perdu dans un désir évanescent pour un objet inexistant.
Cette énergie qui émane du texte tient peut-être aussi à ce que ce soit les Verdurin et leur cercle qui sont cette fois l'objet principal des observations du narrateur. N'ayant aucune connaissance des codes aristocratiques d'un monde qui ne les reçoit pas, ces hôtes nous épargnent les longues généalogies, le récit de tel blason déchu, de telles armes irrémédiablement corrompues par le déshonneur que leur aura infligé au su de tous, tel ou tel indigne descendant. A la place, nous aurons les clownesques Cottard et Sarriette, leurs ridicules de savants parvenus, les étymologies interminables de Bichot qui fascineront le narrateur, mais lui seul, les assoupissements de Mme Cottard juste après le déjeuner et le ridicule de M de Cambremer, le jeune, celui qui aura épousé une Legrandin pour sa fortune et ressassera à l'envie les deux seules fables De La Fontaine dont il soit capable de se souvenir. On le voit, le bouffon se fait davantage roturier et on y gagne une verdeur rapprochant certains portraits de ceux d'un Flaubert, proximité alors majorée par les paysages normands que ces deux auteurs ont en partage.

A cette déportation du décor du côté des horizons bleus et verts de la côte fleurie s'adjoint un déplacement du registre métaphorique. Là où je riais de trouver un protozoaire, un poulpe ou un mammouth, j'ai admiré cette fois de lestes comparaisons de tel ou tel avec une fleur butinée, une tomate, une pomme ou encore une poire. du Museum d'histoire naturelle au verger, en somme. Et quoi que mon regard ait de taquin quant au projet proustien, je ne peux qu'admirer la manière dont, jusque dans les détails les plus anodins du texte, se retrouve un soin de cohérence apte à installer le lecteur dans une oeuvre totale.
Quant à l'homosexualité enfin révélée de M de Charlus, au nombre sans cesse croissant des personnages dont les moeurs sont bien plus libertaires que ce que la bonne société autoriserait, y compris - surtout ? - parmi les plus huppés, on en vient rapidement accepter la démonstration qu'aucune situation sociale n'empêche l'explosion de désirs quels qu'ils soient et qu'aucune condition ne soustrait personne à la recherche de leur assouvissement. Qu'à ce compte, à l'hypocrisie d'un snobisme creux, à la bêtise d'un rang tenu sans culture ni profondeur s'ajoute le mensonge d'une vie sexuelle dont les apparences conformistes cachent le secret d'inclinaisons assumées mais publiquement réprouvées, moquées.

Anna, qui lit la Recherche comme elle respire, me faisait remarquer qu'il serait intéressant de voir ce que cette oeuvre devait aux origines juives de Proust. J'ai compris sa remarque comme une invitation à chercher peut-être un mode d'écriture qui ait à voir avec l'exégèse et j'ai été alors plus attentive aux références qui auraient pu me conduire à de pareilles réflexions. La religion ne concerne, dans ce tome, quasiment que Charlus et exclusivement le dogme catholique. le baron voue un culte particulier aux archanges Michel, Gabriel et Raphaël « avec lesquels il [a] de fréquents entretiens pour qu'ils communiqu[ent] ses prière au Père éternel, devant le trône de qui ils se tiennent. » Dans cette foi faite de légende dorée, de héraldique et scènes représentées sur un vitrail ou le frontispice d'une église, je lis moins l'appel à une glose que le réconfort d'un conte berçant un grand enfant orgueilleux et fragile. Il ne me semble d'ailleurs pas avoir croisé de personnage dévot se rendant aux vêpres ou aux offices dans ces premiers tomes de la Recherche. Pas de révélation durant une messe de Noël comme ce sera le cas pour Claudel. La grand-mère du narrateur doit être chrétienne, mais ce sont les lettres de Mme de Sévigné à sa fille qu'elle ne quitte pas. Quand Balzac fait de la religion un prisme par lequel analyser et dépeindre la société, quand Hugo lui donne des accents confinant au sublime, Proust semble la contenir aux détails architecturaux de ses monuments et aux enjeux stratégiques d'un positionnement ad hoc concernant l'affaire Dreyfus. Laquelle affaire concerne d'ailleurs davantage l'armée que les Juifs dans son traitement ici. On n'a même pas à s'interroger sur la vacuité du ciel tant son accès semble empêché par tout le bruit occasionné par les discours de fidèles.
On pourra me dire, et ça l'a été souvent affirmé, que Proust est le prêtre de sa propre religion, celle qui fonde l'écriture en dogme et la recherche d'un temps perdu en Dieu. Mais je ne suis pas sûre de cela non plus. J'ai l'impression au contraire que l'habile et interminable travail de l'écrivain n'est pas transcendé chez Proust. Il vaut pour ce qu'il est et ne gagne aucune autre hauteur symbolique. Les métaphores, les correspondances, les réminiscences posent un tissage horizontal, interrogent pour la nier systématiquement l'élévation d'une possible verticalité, pas plus qu'elles n'invitent à la révélation d'une immanence consolatrice. Proust parle de son oeuvre comme une robe qu'il assemble. A la fin, elle tient debout, mais elle reste robe. Ne dévoile rien d'autre que son harmonie, son goût exquis et son redoutable sens de l'observation. Sublime pour elle-même, elle se suffit et ne contient rien d'autre qu'elle.

C'est peut-être pour cette raison aussi que, malgré le plaisir toujours plus important que je prends à ces lectures, je ne ferai pas de Proust mon auteur favori et qu'il restera pour moi une connaissance à la fréquentation de laquelle j'attache plaisir et intérêt mais pas de cette tendre et intime complicité que j'aurais pourtant - par snobisme ? - espérée.
Commenter  J’apprécie          5295
Je poursuis mon voyage en terre proustienne, continuant de me frayer un chemin dans la Recherche. Longtemps j'ai tourné autour de ce texte comme le bourdon attendu par l'orchidée. Ou bien c'était peut-être l'inverse, c'était ce texte qui se métamorphisait brusquement avec coquetterie en bourdon providentiel et venait me polliniser.
Je ne vais pas tourner autour du pot, ceux qui connaissent Proust savent à quel passage j'emprunte cette délicieuse métaphore pour en faire mon miel. Je la dois à cet acte fondateur qui ouvre le bal de ce quatrième opus d'À la Recherche du temps perdu, la fameuse scène de séduction entre le baron de Charlus et le giletier Jupin dans sa boutique, sous l'oeil attentif et médusé du narrateur. Ce passage est un bijou littéraire à lui seul. Devenant voyeur dans l'oeil du narrateur je n'ai pas perdu une miette, prenant une leçon d'initiation à la vie... Comme lui, j'avais le sentiment qu'il se passait ici quelque chose de beau et de grand, je me suis demandé alors si l'auteur à travers le yeux du narrateur qui décidément lui ressemblait de plus en plus, ne cherchait pas à jouer avec le lecteur que j'étais.
Dire qu'ici Marcel Proust enfin se lâche serait un doux euphémisme, quoique les aficionados du grand maître vous diront qu'il le faisait déjà depuis longtemps mais à mots peut-être couverts, depuis le début de cette oeuvre.
Sodome et Gomorrhe, ce sont deux versants de l'homosexualité, deux versants inversés, invertis, l'un Sodome porté par un certain M. de Charlus depuis la cour de l'hôtel Guermantes et l'autre Gomorrhe par Albertine, fleurissant sur une plage de Balbec avec ses tendres amies. Entre ces deux pans qui tiennent la symétrie du roman, il y a simplement le théâtre du monde et le mouvement qui déplace les lignes, enroule les horloges, défait le temps. C'est la chronique satirique et mondaine, c'est le snobisme, c'est l'Affaire Dreyfus en filigrane, c'est le temps des mères profanées, c'est l'amour bien sûr, peut-être aussi son désespoir, forcément la jalousie et tout ceci tient dans un style éblouissant, emberlificoté et inimitable. Jamais texte n'aura mieux mérité le qualificatif de kaléidoscope.
Il y a ici une esthétique du désir, sociale et philosophique. Est-ce l'audace de ce récit qui lui donne tant de rythme et de mouvement ? J'en aurai eu presque le tournis jusqu'à la fin, tant j'ai voyagé ici, en train, en voiture, à travers les lieux, les personnages et les intermittences du coeur : chez la Princesse de Guermantes, chez les Verdurin, à Balbec ... Parfois un aéroplane traverse le ciel, disparaissant aussitôt de l'autre côté du paysage, j'ai alors cru entrevoir le soir se perdant dans les yeux mouillés de l'écrivain... Convoquant la mémoire des sensations dans cette quête des souvenirs, Sodome et Gomorrhe est un voyage spatial, temporel et esthétique...
Je ne résumerai pas ce quatrième tome à ce seul personnage à la richesse inépuisable, mais parmi la galerie de portraits savoureux qui s'y déploient, le baron de Charlus tient ici le haut du pavé. D'ailleurs n'est-il pas ce personnage qui évolue entre masculinité et féminité ?
Grotesque au premier abord, narcissique, souvent méchant, il m'avait profondément agacé à cause justement de cette méchanceté ridicule et excessive lors du précédent tome, le côté de Guermantes. Ici il m'a tout simplement ému. Ne sachant jamais où se poser, il est émouvant, mouvant dans un clair-obscur instable qui permet de saisir sa complexité mais aussi son humanité. En lui se combat des forces tectoniques incroyables, des pulsions antagonistes, des tensions extrêmes qui le déchirent. Guignol sublime, être monstrueux, mais portant toutes les facettes de la profondeur humaine, il est un théâtre à lui tout seul, il est un personnage shakespearien, il est une diva.
De manière paradoxale, je l'ai préféré au personnage d'Albertine parce qu'il est en proie à une terrible solitude, parce qu'il est un être mal-aimé, parce que peut-être n'est-il pas fait pour le grand amour, alors tout ceci en fait forcément à mes yeux un être qui souffre cruellement dans cette tragédie de ne pas être aimé.
Il y a ici chez le baron de Charlus de la cruauté, de la souffrance, il y a le malentendu éternel des mal aimés. Alors forcément, vous comprenez...
Mais revenant à l'idée que Proust avait peut-être cherché à écrire un plaidoyer pour l'homosexualité, je me suis alors demandé quelles étaient les intentions de l'auteur dans la construction d'un tel personnage, qui aux yeux de certains pourrait être perçu comme une caricature ? C'était comme si Proust cherchait à régler des comptes avec lui-même, avec l'image de son homosexualité qu'il acceptait peut-être mal ou plutôt parce qu'il souffrait de la perception du regard des autres ? Évoquant le rejet des « invertis », - c'est le mot usité par Proust, celui de l'époque, évoquant l'Affaire Dreyfus, l'homosexualité, tout comme la judéité, ne sont des problèmes pour le narrateur qu'à cause des sarcasmes et des propos discriminatoires qu'elles suscitent.
Alors brusquement aux yeux du narrateur qui s'éclairent dans ce parcours initiatique, tout devient Sodome.
S'agissant de Gomorrhe, quelques jeunes filles en fleurs et amies autour du corps aimé d'Albertine deviennent alors une tout autre évidence...
Entre les deux versants, c'est le souvenir cruel de la mort de lla grand-mère du narrateur, déjà évoquée dans le précédent volume, mais qui refait surface ici, surgissant dans une chambre d'hôtel à Balbec, Est-ce à l'âge adulte qu'on est prêt à renoncer à jamais à ses dernières illusions ou du moins accepter de ne plus faire semblant d'être encore un enfant ? C'est le douloureux sentiment qui nous étreint, la conscience aiguë de savoir que l'on a perdu à jamais ceux que l'on aimait, qu'ils ne reviendront plus et que la mémoire résonnera désormais comme un chagrin. Jamais à mes yeux la prose de Proust n'aura été aussi poignante.
J'effleure les dernières pages du livre. C'est comme une porte qui se referme peut-être à jamais sur les battements d'un coeur disloqué. Qui donc alors m'offrira le sésame qui la rouvrira ?
Sodome et Gomorrhe est peut-être tout simplement un beau et grand roman sur l'amour.
Commenter  J’apprécie          5167
Le narrateur continue d'évoluer dans la bonne société, celle de l'aristocratie et de la haute bourgeoisie, et observe les moeurs de ses membres tout en se faisant une place. Son éducation sentimentale entamée dans « à l'ombre des jeunes filles en fleur », il s'éprend d'une femme plus mûre dans « le côté de Guermantes » avec la duchesse Oriane de Guermantes. Dans « Sodome et Gomorrhe », il retrouve et entretient une relation amoureuse pleine d'incertitudes avec Albertine qui est beaucoup moins farouche. Il surprend par hasard le baron de Charlus en plein ébats amoureux avec Jupien, le giletier. C'est l'occasion pour l'auteur de développer tous les aspects de cette déviance autour du personnage du baron. Voilà pour Sodome, quant à Gomorrhe, le narrateur soupçonne Albertine d'avoir des relations saphiques avec une ou plusieurs de ses amies, ce qui le rend follement jaloux et ne fait qu'entretenir les réserves qu'il avait quant au mariage envisagé avec celle-ci. Ce quatrième tome est aussi l'occasion pour le narrateur de devenir un incontournable invité des salons de la haute aristocratie du faubourg St Germain ainsi que de celui de Mme Verdurin. Il finit par annoncer à Albertine qu'il rompt leur relation. Dans un ultime sursaut, dernière phrase de « Sodome et Gomorrhe » : « Je me suis trompé, je t'ai trompée de bonne foi hier, j'ai réfléchi toute la nuit. Il faut absolument, et décidons-le tout de suite, parce que je me rends bien compte maintenant, parce que je ne changerai plus, et que je ne pourrais pas vivre sans cela, il faut absolument que j'épouse Albertine. » le suspense est à son comble…
Editions Gallimard, 487 pages.
Commenter  J’apprécie          470
Avec ce quatrième tome, je crois avoir trouvé la clé qui m'a ouvert en grand l'âme et l'esprit de Marcel Proust dans la Recherche. Non pas que mon intelligence (de lectrice profane) soit restée hermétique aux premiers tomes sinon j'aurais abandonné depuis longtemps, ce qui ne m'a jamais effleurée, mais j'ai pris humblement conscience que je m'étais habituée à l'écrivain, à son style, et que c'était de manière fluide que je le lisais.

Je mets donc Sodome et Gomorrhe sur la première place de mon podium de la Recherche, pour le moment en tout cas.
Une certitude désormais, je ne m'en tiendrais pas à une seule lecture de cette oeuvre magistrale, tant je me réjouis déjà de l'aborder par un autre prisme, tout en ayant le regard de la première fois (si je ne suis pas très claire, mais je me comprends, j'en suis désolée car je ne sais comment l'expliquer autrement).

Je ne vais pas m'étendre sur ce qui se passe dans ce tome très innovant pour l'époque, où Marcel Proust continue sa promenade dans le temps et dans les méandres de la nature humaine, son enveloppe extérieure et son intériorité, axant ses réflexions sur le thème central de ce tome, l'homosexualité féminine et masculine, mais pas que bien évidemment.

Je voudrais juste mettre en avant le passage qui m'a le plus marquée par sa beauté et le déchirement qu'il a engendré : celui où le narrateur se rend compte tout à coup que sa grand-mère est morte (cela fait plus d'un an) : sa perte, les jamais plus le frappent de plein fouet à l'instant où il délasse ses bottines dans sa chambre du Grand Hôtel de Balbec où il a séjourné avec elle pendant son adolescence, acte anodin en soi, mais qui lui apporte une prise de conscience dont la soudaineté lui est très douloureuse. Ces pages me marqueront à tout jamais. Il s'en épanche d'une manière tellement touchante que j'en ai eu les larmes aux yeux, j'ai voulu relire ce passage immédiatement, pour m'imprégner totalement de sa peine.

Je me suis régalée de cette somptueuse lecture, de cette comédie humaine qui regorge d'anecdotes comiques ou touchantes. Et, les longs passages introspectifs sont d'un style et d'un contenu absolument merveilleux.

Une très belle lecture dont je ressors heureuse, et pour votre plaisir j'espère, je poste deux citations qui m'ont bien amusée. Aaah, Marcel Proust, quel humour !

Commenter  J’apprécie          4127
Voilà, c'est dit, c'est fait, j'aurai calé au tome 4... comme une indigestion de madeleines. Et ce qui s'appelle calé, 50 pages avant la fin de ce pavé. J'aurais pourtant aimé aller jusqu'au bout mais après une longue lutte, je n'ai plus réussi à tourner la page suivante et tant pis, je ne vais pas me flageller. J'ai été heureuse de découvrir Proust jusque là : chaque année je m'attelais à un tome de "La Recherche", savourant le style particulier mais souffrant comme beaucoup des digressions et de la chronologie anarchique, ces éléments qui constituent peut-être le génie de l'auteur mais qui ont fini par me rebuter.

"Sodome et Gomorrhe" est, comme l'indique son titre, un volet centré sur l'homosexualité tant masculine que féminine, un thème qui déjà ne m'attire pas particulièrement, non par pruderie mais simplement par manque d'intérêt.

Ce que je retiendrai de mon expérience proustienne, au final, c'est la remarquable évocation de cette Belle-Epoque tout en contrastes, celui du grand monde, celui du demi-monde et l'art de vivre à la française des classes dites supérieures. Les atermoiements du narrateur m'auront certes lassée mais resteront gravées dans mon esprit plusieurs scènes fortes et finement retranscrites, dans un souci aigu d'esthétisme, un peu trop maniéré à mon goût.


Challenge MULTI-DÉFIS 2019
Challenge XXème siècle - Edition 2019
Challenge PAVES 2019
Challenge SOLIDAIRE 2019
Commenter  J’apprécie          391
Et voilà j'ai fini le quatrième tome de la Recherche. le plus sulfureux probablement. le titre est clair. Les premières pages encore plus éclairantes. Mais ces premières pages qui racontent une rencontre entre le comte, si imbu de sa personne, et Jupien, le tailleur de l'hôtel de Guermantes, ces pages sont, à elles seules, un monument de littérature érotique dans tous le sens noble du terme.

Et pas dans le sens que J. Teulé utilise dans Héloïse, ouille. Car tout est suggéré, délicat, ... Cette métaphore du bourdon et de l'orchidée est tout simplement extraordinaire. Car Proust doit être prudent en abordant cette question.

Sachant que Proust est homosexuel, sa position est délicate. Ses personnages n'assument pas leur homosexualité. Ainsi Charlus, qui est tellement fier de ses origines, se cache pour être l'amant de Jupien, de Morel et d'autres encore. La question de la religion juive est régulièrement citée avec l'affaire Dreyfus et pour montrer l'hypocrisie des différents mondes que côtoie le narrateur. Et c'est sans doute cette hypocrisie que dénonce M Proust avec son personnage de Charlus. de même comme le narrateur s'affiche clairement comme hétérosexuel, il revendique une position de « non snob », qui est clairement aux antipodes de M. Proust. Un narrateur, sorte d'antithèse, de l'auteur sur certains aspects ?

Un article : https://books.openedition.org/cdf/11825?lang=fr est particulièrement intéressant pour l'identité de M Proust sur les questions de l'homosexualité et de l'antisémitisme. Je vous le conseille.

Mais s'il est question de Sodome, il est également question de Gomorrhe et dans ce texte, l'homosexualité féminine est beaucoup plus rare et n'est que le fait de quelques allusions. C'est plus sur le mode d'accusation, une façon pour les femmes concernées d'échapper à la main mise masculine.

Enfin Sodome et Gomorrhe, ce n'est pas que la partie homosexuelle, juive mais également des réminiscences de sa grand-mère, le retour dans le salon de Mme Verdurin où le narrateur fait se rencontre la noblesse et la bourgeoisie car en Province, est acceptable ce qui ne le serait pas à Paris. Et on découvre à cette occasion la topologie des lieux normands. Comme un rappel des liens familiaux des nobles qui m'a lassé dans le tome précédent. Ici ces information linguistiques et géographiques étaient comme une litanie de pierres semée lors de ces incessants voyages en train sur la côte Normande.

J'ai ainsi appris que "holm" voulait dire ile / ilot...

Enfin je vous partage une question, somme toute dérisoire. Je m'interroge sur une image utilisée dans ce volume. " A cause de cette idée très Guermantes qu'il faut qu'un homme fasse quelque chose, qu'on ne vaut que par son talent, et que la noblesse ou l'argent sont simplement le zéro qui multiplie une valeur..." cette phrase me paraît étrange. Dans le sens où pour les Guermantes la noblesse est une notion essentielle (même s'ils clament le contraire) or si l'on multiplie par 0... on obtient 0. Cette image n'est-elle pas le contraire de ce que souhaitait dire l'auteur. Qu'en ont pensé les amateurs de Proust ?

Bref un volume où il se passe beaucoup de choses et où le style de Proust est merveilleux, flamboyant, bien.










Commenter  J’apprécie          326
Je progresse doucement dans "La recherche du temps perdu" et viens donc de finir le 4eme tome de cet incroyable ouvrage.

Nous retrouvons les personnages déjà rencontrés dans les précédents tomes, avec dans celui-ci un focus très long sur Charlus, dont l'homosexualité étonne, dérange, préoccupe, et questionne beaucoup le personnage central de l'ouvrage.
Ce n'est d'ailleurs pas seulement l'homosexualité masculine qui intrigue longuement, mais également l'homosexualité féminine.

Vaste sujet.... qui traité par Proust devient même un peu longuet ....On en arrive même à penser que Proust ne voit plus que cela partout... comme une obsession.

On retrouve néanmoins cette merveilleuse écriture, cette description unique et délicieuse des milieux aristocratiques, et cet humour bien particulier qui me ravi et dont dont je vous livre un exemple :

- " comment, vous ne m'avez pas vu découper moi même les dindonneaux ?"
Je lui répondis que n'ayant pu voir jusqu'ici Rome, Venise, Sienne, le Prado, le musée de Dresde, les Indes, Sarah dans Phèdre, je connaissais la résignation et que j'ajouterais son découpage de dindonneaux à ma liste."

C'est drôle, même si on ne se tord de rire. Un humour pince sans rire très agréable à lire.

C'est jusqu'à maintenant le tome que j'apprécie le moins, un peu trop long sur le sujet de "l'inversion" avec néanmoins une fin qui s'accélère ( chez Proust cela reste relatif...) où l'on sent qu' Albertine va bientôt devenir un personnage central ....
A suivre donc...

Commenter  J’apprécie          242





Lecteurs (2206) Voir plus



Quiz Voir plus

Que savez-vous de Proust ? (niveau assez difficile)

De combien de tomes est composé le roman "A la recherche du temps perdu" ?

5
6
7
8

8 questions
532 lecteurs ont répondu
Thème : Marcel ProustCréer un quiz sur ce livre

{* *}