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Critiques filtrées sur 5 étoiles  

Avec le départ impromptu d'Albertine, une nouvelle inconnue vient se rajouter à l'équation amoureuse qui avait accaparé l'esprit du Narrateur durant le tome précédent, et dont la démonstration l'amenait alors à considérer l'accomplissement de notre désir comme étant «peu de chose, puisque dès que nous croyons qu'il ne peut pas l'être, nous y tenons de nouveau, et ne trouvons qu'il ne valait pas la peine de le poursuivre que quand nous sommes bien sûrs de ne le manquer pas». Il était donc vain, déclarait-il, d'espérer pouvoir accéder au bonheur par la simple réalisation de ses désirs, projet aussi «naïf» que celui de vouloir «atteindre l'horizon en marchant devant soi»!

Mais alors que le désir se sustenterait en définitive de ce manque à avoir dont par ailleurs l'art véritable de la séduction consisterait à bien savoir doser, qu'adviendrait-il si, se trouvant subitement en dehors de toute atteinte possible, son objet disparaissait tout simplement, ou mourait?

Dans cette mise à l'épreuve du désir par la réalité, le «manque à avoir» ne pourrait-il risquer de se voir transformer en un torturant «manque à être» ?

Proust et Freud, contemporains, incroyablement proches par de très nombreux aspects, tant au niveau de leurs centres d'intérêt intellectuels ou artistiques, que dans leur exploration révolutionnaire de la psyché profonde, sur le plan littéraire pour l'un, «herméneutique» et scientifique pour l'autre (voir à ce propos l'essai de Jean-Yves Tadié: «Le Lac Inconnu – Entre Proust et Freud»), ne se sont pourtant jamais, de leur vivant, «croisés» -dans le sens plein du mot : n'ont eu aucun type d'échange, ne se sont pas -tout au moins en apparence- lus, ou alors très peu (?), n'ont laissé dans leurs très nombreux écrits aucun commentaire digne de ce nom, aucune référence de l'un à l'autre…!
Cette indifférence royale, strictement réciproque, pourrait paraitre tout de même assez suspecte -n'est-ce pas ? Elle ne peut en effet que «poser question» ; bien plus d'ailleurs que si, par exemple, s'étant peu ou prou rapprochés, ou au moins reconnu leur existence et leurs «recherches» communes, les deux hommes ne se fussent pour une raison ou une autre appréciés, voire eussent désavoué toute parenté, toute intertextualité ou complémentarité entre leurs démarches et leurs oeuvres respectives!!

L'essai freudien consacré plus particulièrement aux mécanismes psychologiques activés par le deuil («Deuil et Mélancolie») et le roman de Proust furent en outre écrits pratiquement au même moment, à un an d'intervalle près. Aucune autre oeuvre de fiction ne paraissait en même temps susceptible d'illustrer aussi parfaitement, aussi précisément et aussi judicieusement qu'Albertine Disparue, les étapes du «travail du deuil» telles que décrites par Freud : depuis le déni initial, suivi du retrait du moi permettant de garder des liens toujours vivants et idéalisés avec la personne disparue, en passant par l'émergence de sentiments contrastés, mouvements successifs et alternés de tristesse et de colère, de faute et de culpabilité, de reproches et de pardon, jusqu'à l'acceptation, à l'avènement d'une certaine forme de résignation, d'un détachement progressif permettant, à terme, l'oubli, et à la libido la possibilité d'investir à nouveau des objets du monde extérieur.

Si le secret de cette indifférence notoire aura probablement disparu complètement avec eux, Freud et Proust restent malgré tout réunis par leur oeuvre commune dans la postérité...

Deuxième volet d'un diptyque indissociable, après La Prisonnière, Albertine Disparue (ou «La Fugitive»), est le prolongement, dernier mouvement sous forme d'adagio vénitien, de l'ode que le Narrateur consacre à sa bien-aimée ; à la fois oraison funèbre et exercice accompli d'auto-observation de la diastole douloureuse d'un coeur anéanti par la souffrance, évidé, cherchant en même temps désespérément à enfermer à jamais en son sein cette essence, aussi rare et précieuse que délicate et volatile, exhalée par un être aimé qu'on vient de perdre irrémédiablement.

Et pourtant -ne pourrons-nous peut-être nous empêcher d'y repenser-, combien de fois depuis la toute première rencontre des amants sur la plage à Balbec, jusqu'à leur dernière peine d'amour purgée ensemble dans la prison dorée de l'appartement familial parisien -avant le baisser du rideau-, n'aurons-nous tout de même entendu le Narrateur affirmer qu'il ne l'aimait pas, Albertine??

Tout compte fait, après avoir refermé ce deuxième volume de la Recherche dédié à un personnage en particulier, à celle qui fut décrite par Proust comme «l'enveloppe close d'un être qui par l'intérieur accédait à l'infini», celle dont le nom est cité (rassurez-vous, ce n'est pas moi qui l'ai compté !) 2 360 fois tout au long de l'oeuvre, faudrait-il encore des preuves pour nous convaincre qu'en affirmant ne pas aimer Albertine, son Narrateur ne fourvoyait personne d'autre que lui-même? Et après tout, ainsi qu'on le dit parfois en parlant de la «foi véritable», les plus grands amours ne seraient justement ceux-là même qui s'autorisent à douter de leur bien-fondé et de leur réalité?

S'il avait en effet pu songer par moments que vivre sans Albertine (voire même souhaiter qu'elle «disparaisse» d'une fois pour toutes) lui eût possibilité non seulement de s'adonner librement aux errements jouissifs de ses désirs irrésolus, ou à la solitude réclamée par les caprices d'un coeur assurément intermittent, mais aussi de pouvoir échapper aux affres d'une jalousie furieuse, envahissante, addictive -indispensable d'autre part à entretenir son désir même pour sa compagne, l'obligeant à tourner sans issue tel un écureuil dans sa roue!-, le départ, puis l'annonce de la mort accidentelle d'Albertine, le font soudain réaliser qu'au moment même où il arrive enfin à se dégager matériellement d'elle, sa vie et son avenir à lui deviennent «indissolubles d'elle»...


«Pour que la mort d'Albertine eût pu supprimer mes souffrances, il eût fallu que le choc l'eût tuée non seulement en Touraine, mais en moi. Jamais elle n'y avait été plus vivante.»

Albertine rescapée !

Le voici donc retranché dans sa chambre (Freud nous dirait «dans son moi»), isolé du monde, rideaux tirés au millimètre près, afin que le moindre rayon de soleil ne pût y pénétrer («la libido s'est retirée des objets du monde extérieur», [sic]), effeuillant à longueur de journées un album de souvenirs d'une Albertine aux reflets multiples, sans trêve projetés par le prisme de sa souffrance dans la grande galerie de glaces qui vient de s'ouvrir dans sa mémoire.

«La mémoire d'un moment n'est pas instruite de tout ce qui s'est passé depuis ; ce moment qu'elle a enregistré dure encore, vit encore, et avec lui l'être qui s'y profilait (…) Pour me consoler, ce n'est pas une, c'est d'innombrables Albertine que j'aurais dû oublier. Quand j'étais arrivé à supporter le chagrin d'avoir perdu celle-ci, c'était à recommencer avec une autre, avec cent autres.»

Albertine démultipliée.

La richesse et la profusion des images puisées dans le «répertoire" de la vie avec elle réveillera cependant chez lui toute la complexité aussi de son amour, notamment sa jalousie, qui s'y infiltrant peu à peu, se réactive «rétrospectivement».
Partagé entre la sensation contradictoire de continuer toujours à alimenter les mêmes soupçons, absurdes, s'agissant, n'est-ce pas, «d'une femme qui ne pouvait plus éprouver des plaisirs avec d'autres», mais de réussir, grâce à eux, à obtenir en même temps «le gage de la réalité morale d'une personne inexistante», l'endeuillé se voit propulsé dans un rêve éveillé à la temporalité complexe, instaurant une sorte de «double de l'avenir» dans le passé, pour un couple à nouveau reformé et «indissoluble», dans lequel «à chaque coupable nouvelle s'appariait aussitôt un jaloux lamentable et toujours contemporain».
Un avenir «double» qui aurait pu se prolonger indéfiniment, «aussi long que sa vie», s'imagine-t-il, sans toutefois qu'Albertine puisse, comme lorsqu'elle vivait encore, être là pour « calmer les souffrances qu'il me causerait».

Albertine toujours enchaînée.

Traversant ainsi, «en sens inverse tous les sentiments par lesquels a passé son amour» pour elle -sentiments devenant au fur et à mesure de plus en plus à double-fond ou réversibles («ambivalents», dirait Freud)-, égrenant à l'envi des reproches voués par la force des choses à être inopérants, adressés à quelqu'un qui n'est donc plus là pour les subir, suivis d'auto-récriminations systématiques («les affects négatifs sont alors retournés contre le moi lui-même»[sic]) tous azimuts -«par ma tendresse uniquement égoïste j'avais laissé mourir Albertine comme auparavant j'avais assassiné ma grand-mère »(!)-, l'endeuillé poursuit, selon l'expression consacrée par le grand psychanalyste viennois, son «travail du deuil», le parachevant progressivement grâce à l'intervention de ce que Freud identifierait comme étant le «principe de réalité» si cher au Moi, et dont nous retrouvons ici la trace suite aux révélations d'Andrée confirmant provisoirement les soupçons gomorrhéens du Narrateur et les mensonges faits par Albertine, suite aux résultats des enquêtes diligentées, à Balbec et en Touraine, par les bons soins de Saint-Loup et d'Aimé, et surtout, à la concrétisation, enfin, d'un projet de voyage à Venise avec sa mère.

Tous les «si» ayant décuplé jusque-là sa souffrance ( si elle m'avait tout révélé..., si je l'avais laissée libre de ses mouvements..., si je ne lui avais pas offert le cheval qui a provoqué sa mort accidentelle…) s'estompent peu à peu dans le flux de ses pensées.

Albertine émiettée, sassée, puis oubliée.

«Si bien que cette longue plainte de l'âme qui croit vivre enfermée en elle-même n'est un monologue qu'en apparence, puisque les échos de la réalité la font dévier, et que telle vie est comme un essai psychologique subjectif spontanément poursuivi, mais qui fournit à quelque distance son «action» au roman purement réaliste, d'une autre réalité, d'une autre existence, et duquel à leur tour les péripéties viennent infléchir la courbe et changer la direction de l'essai psychologique».

Qu'est-ce en fin de compte l'amour que l'on avait éprouvé?
Si ce n'était qu'un leurre, un simple mirage, c'était aussi parfois «le seul acte poétique» qu'on avait accompli dans nos existences.

Et l'oubli ?
L'on n'oublie pas quelqu'un qu'on aime parce qu'il meurt, mais parce que «nous mourons avec lui».

C'est peut-être aussi pour cette raison que le «travail du deuil», s'il est réussi, l'on cesse alors de vouloir «ressusciter» les morts, pour ramener soi-même à la vie.

Albertine, non plus enfermée dans un double factice de l'avenir dans le passé, mais délivrée désormais, oubliée mais gardée cependant au fond de lui, hors de toute conscience -«amalgamée à la substance même de son âme»-, le catalogue de ses souvenirs se dématérialisera, ses robes «fortuny» se transsubstantialiseront en un voyage à Venise, la clarté de son teint et de son regard migreront anonymes dans le visage d'autres femmes éveillant le désir du Narrateur, et l'essai psychologique de sa souffrance subjective, devenue immatérielle et universelle, mué enfin en un magnifique roman.

Albertine retrouvée...




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Françoise, la bonne du narrateur, vient de lui apprendre qu'Albertine à fait ses malles et s'est enfuie. Lui qui vivait dans la jalousie obsédante de la soupçonner d'avoir des relations saphiques avec ses plus proches amies, se surprend à découvrir dans quel état de tristesse son absence le plonge et l‘amour que finalement il éprouvait pour elle. Sans réfléchir il lui envoie un télégramme la suppliant de revenir mais il reçoit le même jour la nouvelle de sa mort, scellant définitivement toute possibilité de réconciliation. Quelques heures plus tard, une lettre d'Albertine arrive où elle reconnaît son erreur de l'avoir quitter et le prie de lui pardonner l'inconséquence de son départ et d'accepter qu'elle revînt. le narrateur est alors plongé dans une réflexion qui lui fait se remémorer tous les souvenirs qu'ils ont eu de communs.
« J'avais rêvé d'être compris, de ne pas être méconnu par elle, croyant que c'était pour le grand bonheur d'être compris, de ne pas être méconnu, alors que tant d'autres eussent mieux pu le faire. On désire être compris parce qu'on désire être aimé, et on désire être aimé parce qu'on aime. »
Il en arrive à lui pardonner ce pour quoi il l'avait accablée.
« Pourquoi ne m'avait-elle pas dit : « J'ai ces goûts » ? J'aurai cédé, je lui aurait permis de les satisfaire, en ce moment je l'embrasserai encore. »
Pour cela, il interroge Andrée qu'il a installée chez lui. Il demande au maître d'hôtel du Grand hôtel de Balbec d'enquêter et ce dernier lui confirme qu'Albertine a bien séduit à l'époque une blanchisseuse.
Il retrouve chez la duchesse de Guermantes son amie d'enfance Gilberte, qui est devenue Gilberte de Forcheville alors que sa mère s'est remariée à la mort de Swann.
Lorsqu'il rentre de Venise en compagnie de sa mère, le narrateur apprend le mariage de Gilberte avec son ami Robert de Saint-Loup. Elle lui confie que son mari la trompe sans préciser que c'est avec des hommes dont Morel fait partie.
Editions Gallimard, 256 pages.
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Dans ce foisonnant roman à suspense, digne de figurer dans les meilleures ventes de thriller, nous partons à la recherche d'une certaine Albertine, qui est en réalité un transsexuel du nom de Joseph, Jojo pour les intimes. Jojo a mis les adjas après avoir monté un coup foireux, un hold-up qui a tourné au massacre après avoir ameuté tous les flics du quartier. Jojo se rhabille en gonzesse illico presto et dégage en loucedé comme un vulgaire cave, profitant du dawa qu'on mis les keufs. Il torpille quelques larfeuilles bien garnis au passage, en visant les clients les plus rupins. le voila plein aux as, assez pour aller se planquer chez une duchesse de Pigalle, La Guermantes, qu'on l'appelle. Jojo claque son pognon, mais discretos, rapport à la maison Poulaga qui le cherche toujours. Il reprend le turbin et fait un numéro dans un chouette cabaret, le Swann, avec sa copine Odette, qui fait des galipettes. Jojo, devenu Albertine pour mieux se planquer, décide de séduire le prince von Faffenheim-Munsterburg-Weiningen, un gars de la haute qui vient la voir tous les soirs et boit du champagne dans ses bottines taille 46. Un aristo grave siphonné mais pété de thunes. Un soir il l'emmène dans sa Rolls pour lui faire découvrir sa collection de papillons z'à vapeur. Et c'est alors que le Prince comprend que Jojo n'est pas une princesse, à la vue de son gros calibre dissimulé sous ses frous frous. le Prince en est tout chaviré, et, la traitant de fieffée coquine, l'enlève dans ses bras musclés pour la conduire au château de ses ancêtres. Albertine disparait pour toujours de la scène du grand banditisme pour devenir la Princesse von Faffenburg-Wennigheim-Burgmunster-de-mes-Deuss, prisonnière de sa folle passion pour les crinolines et les chapeaux à voilettes.
Une bien belle romance écrite dans un style fluide comme j'en rafffffollle.
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Ce tome 6 de la Recherche du Temps Perdu est sans doute celui que j'ai trouvé le beau et le plus intimiste.

Le narrateur vient d'apprendre la disparition d'Albertine : double disparation, car effectivement elle le quitte, mais peu après disparait totalement en mourant lors d'un banal accident.

Nous traversons cette épreuve du deuil, avec une description incroyable de toutes ses étapes.
Nous suivons littéralement le cheminement psychologique du narrateur.
Les phrases sont de toute beauté et l'ensemble est sublime.
Plus que jamais l'auteur est totalement et maladivement obsédé par la vie sexuelle d'Albertine et certains passages sont mêmes assez chauds, ce qui m'a surprise pour l'époque .
J'ai aimé ce livre pour cette analyse si pointue du passage du sentiment amoureux à l'oubli.

Il me reste un tome, avant d'avoir achevé cette longue mais si délicieuse lecture.
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Ce sixième et avant-dernier tome de la Recherche est, à la suite du huis-clos de la prisonnière, le second tome presqu'entièrement consacré à Albertine, et aussi le deuxième roman posthume de l'auteur.
C'est un roman que Proust s'apprêtait probablement à remanier avant que la mort ne l'emporte, et un roman pour lequel il y a eu le plus de controverses éditoriales, et d'éditions successives, notamment à la suite de la découverte en 1992, du manuscrit dactylographié original.

Ce tome est essentiellement constitué d'une exploration prodigieuse des sentiments complexes que génère la séparation d'abord temporaire puis définitive d'un être aimé. Et au delà de ce premier plan, il y a aussi cette recherche de la vérité de l'autre, que l'on croyait connaître, dont on se cachait la vraie nature parce que l'on ne voulait pas la voir, et plus généralement de cette vérité insaisissable des êtres aimés.
J'ai été saisi par la profondeur et la finesse de l'analyse psychologique faite par le narrateur, d'abord de son manque lié au départ d'Albertine, puis de sa douleur à l'annonce de sa mort, de sa recherche quasi obsessionnelle de la vérité sur l'homosexualité de sa compagne disparue, et enfin, sur ce travail de deuil qui va progressivement transformer la douleur et l'obsession en un souvenir apaisé.
Cette exploration des sentiments à l'égard d'Albertine va toujours être présente et revenir, tel un thème obsédant, un leitmotive, dans tous les événements de la vie du narrateur.

Le roman est divisé en 4 chapitres de taille inégale.

Le premier chapitre, magnifique, qui fait plus de la moitié du livre, est tout entier dédié au départ d'Albertine puis à l'annonce de sa mort accidentelle.
Il est difficile de rendre compte de la complexité des états psychologiques du narrateur quitté par Albertine, alimentés parfois par ses discussions avec Andrée, l'amie de cette dernière. Il y a, entre autres, l'état de manque, le désespoir et le pessimisme, mais aussi l'oubli qui progressivement s'installe, et le goût pris à la solitude, la tentation que représentent d'autres jeunes filles, le souhait d'accueillir Andrée, l'amie d'Albertine etc....
Mais voilà qu'un télégramme lui annonce la mort d'Albertine d'un accident de cheval, alors que dans le même temps, deux lettres de celle-ci lui parviennent, la seconde le suppliant de la reprendre.
Alors un étrange travail de deuil va s'accomplir, le narrateur envahi à la fois par le souvenir des jours heureux, mais aussi par ses interrogations obsessionnelles sur l'homosexualité d'Albertine, qui se trouvent confirmées.
Mais, « avec le temps, va , tout s'en va », peu à peu le chagrin se dissipe, l'oubli s'installe, le narrateur arrive à réaliser, que, comme pour lui, il y avait plusieurs personnes en Albertine et s'installe alors un souvenir aimant et apaisé.
Le second chapitre nous fait ré-apparaitre Gilberte, la fille de Swann et d'Odette, veuve de Swann et remariée à Mr Forcheville, ce dernier ayant adopté et donné son nom à Gilberte. Sans entrer dans les détails et ils sont nombreux, ce chapitre est une sorte d'intermède, et très vite revient le «thème » d'Albertine, le dialogue avec Andrée révélant au narrateur, non seulement la nature lesbienne de leurs relations, mais aussi une autre version, totalement inattendue, expliquant le départ de sa «prisonnière ». Néanmoins, l'oubli serein d'Albertine continue de se faire chez le narrateur.
Dans le troisième chapitre, le narrateur fait enfin son voyage à Venise, avec sa mère, un séjour si souvent fantasmé et toujours reporté, une magnifique évocation de cette ville, un séjour qui semble aussi de façon symbolique solder la fin de sa jeunesse, mais dans lequel le « thème » d'Albertine réapparaîtra de façon énigmatique.
Enfin dans le dernier chapitre, assez court, le « train-train »de la vie mondaine reprend, mariage malheureux de Gilberte avec Saint-Loup qui la trompe...avec des hommes, sa mère Odette toujours à court d'argent et qui « tape » son gendre, et enfin grande amitié entre le narrateur et Gilberte, ce qui fait le lien avec le début de la recherche et notamment du Côté de chez Swann.

Au delà de cette analyse de ce tome que je trouve d'une très grande beauté, et avant d'aborder la lecture du dernier volume de la Recherche, je vous livre, chers Babeliotes, mon questionnement pour lequel la réponse vous paraîtra peut-être évidente, ou la question de peu d'interêt au regard des qualités de l'oeuvre.
Ce qui me pose question, est pour moi une énigme, c'est la grande place que prend l'homosexualité à partir de Sodome et Gomorrhe, suivi de la Prisonnière, et d'Albertine disparue, alors que ce point est moins présent dans les trois premiers tomes de la Recherche (sauf dans du Côté de chez Swann où le narrateur assiste aux ébats de Mlle Vinteuil et d'une des ses amies) , et je ne sais pas ce qu'il en est pour le dernier.
Je sais, comme vous, que Proust était lui même homosexuel. En construisant cette oeuvre, dans laquelle un narrateur se présentant comme un être complètement hétérosexuel mais où celui-ci donne dans son récit une si large place à l'homosexualité aussi bien masculine que féminine, et développe devant nous une sorte de quête obsessionnelle des liens lesbiens « fautifs » qui unissent les femmes, en particulier Albertine et ses « amies », Proust ne nous livre-t-il pas de façon détournée, son propre questionnement sur sa propre sexualité. Et le fait d'avoir tant remanié ces trois tomes ne reflète-t-il pas sa difficulté à aborder cette question?
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Je viens de refermer le 6ème tome de la Recherche principalement consacré à Albertine qui vient de quitter brusquement le domicile du narrateur où elle vivait depuis le retour de Balbec.

Lorsque Françoise lui annonce qu'Albertine est partie ce matin tôt avec ses malles, le narrateur ressent une forte douleur. Et pourtant, combien de fois a-t-il pensé et dit qu'une séparation était préférable ? Il se rend soudain compte de la force de l'amour qui le lie à la jeune femme.

Le narrateur se convainc que sa compagne reviendra vite mais ce n'est pas le cas. Il envoie, en désespoir de cause, son ami Saint-Loup, chez Mme Bontemps, chez qui Albertine est hébergée, pour qu'elle revienne. Peine perdue. D'ailleurs, Albertine lui écrit qu'elle aurait préféré qu'il s'adresse à elle directement.

Il apprend qu'Albertine est partie car Mme Bontemps voulait la marier à un certain Octave, bon parti car le narrateur n'avait pas fait sa demande et aussi en raison de sa jalousie maladive.

Au comble de la souffrance, le narrateur écrit à Albertine pour la supplier de revenir. le jour de l'envoi de cette lettre, il apprend par un télégramme de Mme Bontemps qu'Albertine est morte ! Un accident de cheval est la cause de ce décès violent. Peu de temps après, il reçoit deux lettres d'Albertine, à titre posthume, dont une par laquelle elle le supplie de pouvoir revenir auprès de lui.

Alors, une période de deuil s'ouvre. Après le départ d'Albertine il avait entamé un deuil de leur relation mais avec le décès, le deuil se transforme. Albertine n'est plus, rien ne pourra la faire revenir.


Le narrateur passe par une phase d'enfermement dans sa chambre et en soi. Il est inconsolable et idéalise sa relation avec Albertine. Ensuite, sa jalousie et sa volonté d'en savoir plus sur les penchants sexuels de son ancienne compagne le poussent à interroger Andrée qui avoue qu'Albertine était bien lesbienne et qu'elle avait des aventures avec des jeunes filles que Morel, ancien amant de Charlus, lui amenaient. Est-ce vrai ou faux ?

Pour percer le mystère, le narrateur envoie Aimé, mener l'enquête jusqu'à Nice. Il confirme qu'Albertine aimait les femmes.

Après cette phase petit à petit, l'oubli s'installe malgré des réminiscences de sa vie avec Albertine.

La mère du narrateur décide d'un voyage à Venise avec son fils. Les pages sur Venise sont très belles. Ils rencontrent d'anciennes connaissances des salons.

Alors qu'ils sont dans le train qui les ramènent chez eux, la mère et le fils ont la surprise d'apprendre, à la lecture de lettres, que deux mariages étonnants vont avoir lieu, celui de Saint-Loup avec Gilberte que le narrateur a aimée dans son enfance et celui du "petit Cambremer" avec Mlle d'Oloron.

Retour en France. Nous croisons à nouveau d'anciens personnages de la Recherche et notamment Gilberte. Elle se marie avec Saint-Loup mais visiblement n'est pas heureuse. Elle sait que son mari la trompe. le narrateur apprendra que Saint-Loup est également un inverti, qu'il a des relations, notamment avec Morel, et qu'il cache son orientation sexuelle en se montrant avec des femmes qui sont considérées comme ses maîtresses. Avec ces mariages, le côté de Guermantes et celui de Méséglise se rejoignent mais il n'ont plus le même charme que dans le passé pour le narrateur.

Ce tome est celui d'une introspection. le narrateur nous livre ses réflexions et ses états psychologiques. Ses deuils (de la relation d'abord et d'Albertine ensuite) sont sombres, douloureux. Sa souffrance est indicible. Mais comme pour tout deuil, la phase de l'oubli, ou plutôt de l'acceptation de la mort, arrive enfin et le narrateur peut à nouveau vivre. Cependant, il se rend compte qu'avec le temps, ce qu'il avait aimé auparavant s'est transformé : de son amour pour Albertine à ses souvenirs de Combray. Au moins, dans ce volume, a-t-il eu la joie de lire dans Le Figaro, un article qu'il avait envoyé au journal. Il est fier.

J'ai beaucoup aimé Albertine disparue. le narrateur m'est apparu plus proche et son deuil d'un amour perdu m'a bouleversée. le temps permet de soigner les blessures mais il fait mûrir aussi.
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J'ai découvert Proust sur le tard, et pas dans les meilleures conditions. Je n'avais jamais lu ses textes quand le sixième tome de la Recherche, Albertine disparue, est arrivé au programme de khâgne.
Autant dire qu'après la lecture de "longtemps je me suis couché de bonne heure"... je me suis couchée aussi. Et donc nulle envie de lire 5 tomes avant celui-ci. Donc je me suis lancée dans Albertine disparue comme ça tout de go, en me contentant des profils bacs des tomes précédents. Evidemment, ça a été un crash.

Alors Proust, je l'ai laissé au placard après. Longtemps. Et un jour, après plusieurs essais, ça a fini par passer. J'ai lu les 7 tomes de la Recherche de Proust.

Et finalement, je me suis rendue compte que ce tome était merveilleux. Parce qu'Albertine on en fait sa connaissance bien plus tôt, dès A l'ombre des jeunes filles en fleurs. On la suit depuis quelques temps, on s'est attaché à elle et à sa relation avec le narrateur. Albertine va obséder celui-ci, qui ira jusqu'à la séquestrer dans la Prisonnière. Mais la maligne se fait la malle, et voilà notre narrateur bien dépourvu.

Pourquoi je trouve donc spécifiquement ce tome merveilleux ? Parce qu'il ne raconte rien. Il se passe encore moins de choses que dans les autres tomes. le narrateur est reclus chez lui, souffrant de la perte de son amie. Les souvenirs reviennent, issus des tomes précédents, et petit à petit, ils se transforment, par le doute et la suspicion. Ils se teintent d'une autre couleur, sont revisités, remâchés. Ce tome montre de manière brillante les mécanismes du souvenir, et la manière dont on vit avec, dont on les transforme, jusqu'à en recréer de nouveaux. On aborde vraiment ici la thématique de la mémoire, de son objectivité, de sa portée, thématique qui prendra vraiment toute son ampleur dans le temps retrouvé.

Et surtout, ce livre est particulièrement fort parce que l'absente, enfuie puis disparue, montre le pénible travail de deuil. Albertine hante le narrateur. Elle n'est plus là, mais il n'est question que d'elle, à chaque page. "Disparue" est devenue la nature même d'Albertine, mais la mémoire la rend présente. C'est brillant, de faire un roman sur un personnage absent, dont il porte en plus le nom.

Evidemment, même si c'est une langue difficile, on est bien obligé de dire que Proust est un magicien du langage, un fin grammairien qui ne verdit pas face à une subordonnée, qui ne craint pas les circonstancielles, qui manie le subjonctif dans tous ses états avec une facilité déconcertante et qui s'amuse avec tirets et parenthèses comme pour mieux nous perdre dans le texte comme dans les méandres de la mémoire de son narrateur… Bref, du beau français, dans toute sa richesse et sa complexité.

Arrivé au bout du Temps retrouvé, j'ai bien dû avouer que cette oeuvre entière relevait du génie.
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Albertine disparaît trois fois de ce roman qui porte son nom : d'abord, en s'enfuyant de chez son amant dont la surveillance lui pèse, puis, en mourant accidentellement, et enfin, en étant oubliée par le héros, au terme d'un long processus de deuil et de longues souffrances. "Albertine Disparue", sixième partie de la Recherche du Temps Perdu, laisse l'impression d'un roman de l'obsession et du chagrin : la mort de l'héroïne ne change en rien la douloureuse jalousie de son amant, ni son amour obstiné, ni son désir de maîtriser entièrement, par la connaissance, la vie passée et la vérité masquée de sa maîtresse. Ce n'est pas parce qu'elle est morte que l'amour, oeuvre de son imagination, ne se perpétue pas et cesse de le faire souffrir, au contraire. Il n'est même pas nécessaire qu'elle soit présente pour que s'opèrent les processus du ressassement et de la douleur.
*
"En réalité, dans ces heures de crise où nous jouerions toute notre vie, au fur et à mesure que l'être dont elle dépend révèle mieux l'immensité de la place qu'il occupe pour nous, en ne laissant rien dans le monde qui ne soit bouleversé par lui, proportionnellement l'image de cet être décroît jusqu'à ne plus être perceptible. En toutes choses nous trouvons l'effet de sa présence par l'émotion que nous ressentons, lui-même, la cause, nous ne le trouvons nulle part. " (Pléiade, Tome IV, p. 49)
*
"Et en effet les femmes qu'on n'aime plus et qu'on rencontre après des années, n'y a-t-il pas entre elles et vous la mort, tout aussi bien que si elles n'étaient plus de ce monde, puisque le fait que notre amour n'existe plus fait de celles qu'elles étaient alors, ou de celui que nous étions, des morts ?" (Pléiade p. 270)
*
On pourrait craindre qu'un tel roman ne soit ennuyeux, répétitif et lassant. Or, on voit aux relectures que la souffrance, minutieusement détaillée et analysée, ne tourne jamais en rond à la façon d'un cercle obsessionnel, mais fonctionne plutôt comme une spirale, figure qui allie le cercle et le mouvement progressif. En effet, la douleur finit par servir d'instrument de connaissance de soi et du monde, et le héros souffrant progresse, grâce à ses souffrances, vers la sagesse.
*
"Il me semblait en effet dans les heures où je souffrais le moins, que je bénéficiais en quelque sorte de sa mort, car une femme est d'une plus grande utilité pour notre vie, si elle y est, au lieu d'un élément de bonheur, un instrument de chagrin, et il n'y en a pas une seule dont la possession soit aussi précieuse que celle de vérités qu'elle nous découvre en nous faisant souffrir". (Pléiade p. 78.)
*
D'abord, il découvre le monde saphique d'Albertine qu'il décrit en termes infernaux, voisins de ceux du Balzac de "La Fille aux yeux d'or" ou du Baudelaire des "Femmes damnées". Lui-même, nouveau Dante, traverse les divers cercles de l'Enfer de Gomorrhe et mesure "à la lumière de sa jalousie" à quel point cette femme lui était étrangère : "elle n'appartenait pas à l'humanité commune, mais à une race étrange qui s'y mêle, s'y cache et ne s'y fond jamais" (poche p. 181) ; "je ne [les] voyais plus dans la lumière qui éclaire les spectacles de la terre, c'était le fragment d'un autre monde, d'une planète inconnue et maudite, une vue de l'Enfer" (poche p. 169). Albertine même, si ardente au plaisir, lui apparaît comme un jeune fauve indomptable dont il n'avait compris ni les pulsions, ni les besoins, ni les désirs. Comment l'aurait-il pu, puisque son amour, construction purement imaginaire, n'entretenait que de lointains rapports avec la personne réelle d'Albertine ?
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"En somme si ce que disait Andrée était vrai, et je n'en doutai pas d'abord, l'Albertine réelle que je découvrais ... différait fort peu de la fille orgiaque surgie et devinée, le premier jour, sur la digue de Balbec [...] S'il faut le dire, si triste malgré tout que je fusse des paroles d'Andrée, je trouvais plus beau que la réalité se trouvât enfin concorder avec ce que mon instinct avait d'abord pressenti [...] J'aimais mieux que la vie fût à la hauteur de nos intuitions. Celles-ci, du reste, que j'avais eues le premier jour sur la plage, quand j'avais cru que ces jeunes filles incarnaient la frénésie du plaisir, le vice, et aussi le soir où j'avais vu l'institutrice d'Albertine faire rentrer cette jeune fille passionnée dans la petite villa, comme on pousse dans sa cage un fauve que rien plus tard, malgré les apparences, ne pourra domestiquer, ne s'accordaient-elles pas à ce que m'avait dit Bloch quand il m'avait rendu la terre si belle, en m'y montrant, me faisant frissonner dans toutes mes promenades, à chaque rencontre, l'universalité du désir ?" Pléiade pp. 188-189.
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La souffrance apprend encore autre chose au héros, en passe de se transformer, progressivement, en narrateur : elle lui fait mesurer le processus graduel de l'oubli, qui se manifeste d'abord par le pardon, la compréhension bienveillante accordée à celle qui ne nous fait plus souffrir puisque nous ne l'aimons plus, puis, par l'effacement des images, des émotions et des sentiments. Ici, le héros mesure l'importance du Temps : nous sommes des êtres faits de moments transitoires, non des identités fixes et immuables comme nous nous plaisons à le croire. Il n'existe donc pas une Albertine ou un Marcel, mais une multitude d'états qui composent les êtres instables que nous sommes. "Notre moi est fait de la superposition de nos états successifs. Mais cette superposition n'est pas immuable comme la stratification d'une montagne. Perpétuellement des soulèvements font affleurer à la surface des couches anciennes." (Poche p. 205) Ce Temps, à la fois désespérant et consolateur, destructeur et libérateur, permet l'apaisement et le pardon, après que sa mémoire a longuement torturé l'amant abandonné.
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Ce roman pourrait donc faire un peu peur, car il ressemble à un essai sur le chagrin et sur la jalousie, non à une histoire d'aventures distrayantes. C'est le récit détaillé d'une enquête sur le passé, qui affecte plus l'enquêteur que la femme soupçonnée. Pourtant, Proust va si loin, si profond, dans l'analyse de la mémoire, du chagrin, de la jalousie, de l'oubli, qu'on ne sera jamais déçu si l'on a le courage de relire "Albertine Disparue". On y verra naître un écrivain capable de transmuer le "je" du roman de soi, du malheur d'aimer, en "nous" apaisé de la généralité et de l'humanité commune.
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"Mademoiselle Albertine est partie !". Ainsi finissait La Prisonnière, ainsi reprend Albertine Disparue. En effet, cette dernière, lasse de la cage dorée dans laquelle le narrateur la tient enfermée depuis de nombreux mois, s'est décidée un beau matin à demander ses malles à Françoise et à s'enfuir pour la Touraine, chez sa tante Mme Bontemps.

Voila donc notre narrateur bien seul et bien malheureux, lui qui croyait qu'Albertine lui était devenue tout à fait indifférente, certain qu'il était de la retrouver chaque soir dans son appartement parisien. L'aimait-il réellement? n'est-ce que le choc d'une longue habitude soudain brisée? Cela est difficile à dire et lui-même ne semble pas parvenir à le déterminer et c'est ainsi que nous suivons le cours de ses désespoirs, de la jalousie qui le ronge au gré des informations nouvelles qu'il obtient sur la vie désormais terminée de son amie, avant que le temps lui fasse peu à peu oublier Albertine.

Ce tome-ci allie juste la bonne proportion de descriptions des pensées du narrateur et de passages "d'action" (les révélations d'Andrée, les retrouvailles avec Gilberte chez la duchesse de Guermantes...). Nous y découvrons également avec plaisir de charmants tableaux de Venise, que le narrateur désespérait de voir un jour, pour terminer sur l'annonce de deux mariages surprenants, que je ne dévoilerai pas ici, mais qui laisse présager que le dernier tome de la Recherche nous montrera une fois de plus les changements de caractère de personnages que nous côtoyons depuis le début.
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Le malentendu, tel aurait pu être le sous-titre d'Albertine disparue, qui devait initialement s'intituler La Fugitive. Albertine, plus que Gilberte Swann, est partie, première phrase du texte, rapportée par Françoise. « Ainsi ce que j'avais cru n'être rien pour moi, c'était tout simplement toute ma vie. Comme on s'ignore ! Il fallait faire cesser immédiatement ma souffrance. »
A partir de là, Marcel invente des stratagèmes pour recouvrer la pleine possession de sa Prisonnière, enchaînée jadis à ses obsessions au point de les avoir fuies. Elle n'est plus là et les obsessions demeurent, teintées d'une tristesse comme on en lit peut-être dix fois dans une vie de lecteur. La mécanique est en route et jusque dans la littérature le narrateur puise son espoir d'un possible retour de la femme aimée, car tout est matière à Albertine : « Puisque Manon revenait à Des Grieux, il me semblait que j'étais pour Albertine le seul amour de sa vie. »
Et alors qu'il se croyait lui-même prisonnier d'Albertine, du temps où elle occupait son espace, sa liberté désormais recouvrée, il n'a plus le goût de rien : il a perdu le « contenant » de ses désirs.
Lentement, et péniblement, Marcel s'essaie à l'indifférence. En vain. Même environné de Venise, en voyage avec sa mère, il ne peut révoquer l'objet aimé : « Parfois, au crépuscule, en rentrant à l'hôtel je sentais que l'Albertine d'autrefois, invisible à moi-même, était pourtant enfermée au fond de moi comme aux plombs d'une Venise intérieure, dont parfois un incident faisait glisser le couvercle durci jusqu'à me donner une ouverture sur ce passé. »
Puis, le couperet tombe. Albertine serait volontiers revenue à Marcel. Mais hélas…
La Prisonnière sonne comme un apprentissage au malheur amoureux : « Cet avenir indissoluble d'elle je n'avais pas su l'apercevoir, mais maintenant qu'il venait d'être descellé, je sentais la place qu'il tenait dans mon coeur béant. »
Rien que pour ce texte – admettant volontiers que d'autres volumes de la Recherche du temps perdu distillent un certain ennui –, il faut lire Proust, au moins pour goûter l'art si rare de la phrase écrite et silencieuse qui dit tellement de nous.
Tout est affaire de temps disséqué, c'est-à-dire observer la vie en détail et non plus la consommer en oubliant à chaque nouvelle bouchée la précédente. C'est bien sûr se confronter au regret de ce qui n'est plus, au chagrin même lorsque la perte est un corps étranger que l'on avait si puissamment intégré à soi dans le cas d'Albertine disparue.
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