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A la recherche du temps perdu - ... tome 1 sur 4

Jean-Yves Tadié (Directeur de publication)
EAN : 9782070111268
1728 pages
Gallimard (01/10/1987)
4.71/5   83 notes
Résumé :
Cette édition d'À la recherche du temps perdu présente l'œuvre de Marcel Proust sous un jour entièrement nouveau. Les trente ans qui nous séparent de l'édition précédente ont permis de connaître un ensemble de documents uniques au monde, et que nous
sommes seuls à pouvoir offrir au lecteur.
Ainsi, dans ce volume, à la suite de Du côté de chez Swann et de la première partie d'À l'ombre des jeunes filles en fleurs, on lira un choix très large d'esquisses... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Je ne sais pas pour Marcel (on se tutoie maintenant, on vient de passer une semaine ensemble!), mais moi, je n'ai pas perdu mon temps ! Assignée à résidence à cause d'une sale labyrinthite qui me donnait l'impression d'être plutôt un personnage kafkaïen que proustien, je me suis replongée dans « La Recherche ». Ben voui ! J'ai même pris la décision de tout relire et d'essayer d'y comprendre quelque chose ! (Je n'ai peur de rien !) Alors voilà, j'ai noté deux trois réflexions que je vous livre (vous avez hâte, je sais), dont on pourrait discuter (n'hésitez pas à partager votre point de vue!) et surtout, je me suis dit qu'elles pouvaient (éventuellement) me permettre une entrée dans l'oeuvre, histoire de ne pas m'y aventurer sans lampe frontale… Ici, je parle surtout de la partie intitulée « Combray ». Allez, on se lance ? Promis, après la lecture de cet article, si entre la poire et le fromage, la discussion tourne sur « La Recherche », vous aurez de quoi tenir jusqu'au café !

Alors, pour commencer, il me semble qu'il y a dans le motif du vitrail (essentiel à mon avis), présent à la fois dans l'église d'Illiers-Combray et le Salon des Dames de Tante Léonie, un éclatement et une opacité qui préfigurent le regard du narrateur sur le monde. « La Recherche » est en effet une tentative de déchiffrement, de dévoilement, d'accès à une vérité toujours en fuite. «… La chose vue par moi, de mon côté du verre, qui n'était nullement transparent, et sans que je puisse savoir ce qu'il y avait de vrai de l'autre côté... » Si on regarde bien, le Narrateur passe son temps à lire le monde, à tenter de l'interpréter, d'accéder à l'essence des choses c'est-à-dire à leur beauté, leur vérité. Il formule constamment des hypothèses, des postulats sur les gens, les lieux, les temporalités, les soumettant à une grille de lecture qu'il fait évoluer au fil du temps et qui s'apparente à différents points de vue successifs sur le monde. le Narrateur s'efforce donc d'interpréter les signes : il tâtonne, commet beaucoup d'erreurs d'ailleurs, nous entraîne avec lui dans des analyses souvent erronées ou partiales. Il croit percevoir la lumière derrière le verre opaque mais c'est un leurre. Tout est à reprendre, toujours, sans cesse, et il faut attendre que d'autres expériences sensorielles se présentent pour tenter comme le dit M. Raimond de « passer de l'impression à l'expression » (que c'est bien dit!) car évidemment bien sûr, vous vous en doutez, le but de l'entreprise est (roulements de tambour) de parvenir au Graal, c'est-à-dire à l'Art et notamment à l'écriture.
Donc « La Recherche » se présente comme un roman d'initiation, d'apprentissage. Mais l'accès à une éventuelle vérité semble un chemin semé d'embûches et on va voir pourquoi…

Tout d'abord, l'emploi du temps très strict du Narrateur (pauvre Marcel… si j'imposais ce genre de rythme à la maison, ça serait la révolution!) ne lui permet pas de créer véritablement de perméabilité entre les heures de la journée, chacune d'elles enfermant sa propre vérité dans l'espace qui lui est imparti. Cela fonctionne exactement de la même façon pour les lieux : les espaces sont étanches, hermétiques, clos : comment envisager que la promenade du côté de Méséglise (courte et donc souvent effectuée les jours de mauvais temps) puisse croiser celle de Guermantes - plus longue et occupant donc les jours les plus clairs ? On voit bien d'ailleurs ici l'étroite imbrication lieux /temporalités qui accentue encore davantage l'effet de quadrillage. En effet, les lieux comme les temporalités sont morcelés, divisés comme des pièces de puzzle impossibles à assembler et en même temps, chose surprenante, ils peuvent à certains moments se superposer voire se confondre. (Je vois aussi dans les « paperoles » rattachées les unes aux autres, parfois de manière hasardeuse, par Céleste et comme repliées en accordéon, cette même tentative d'accéder à la vérité par ajouts successifs, par petites touches, collages de fragments.) Il suffirait pourtant de réunir les pièces pour qu'un sens apparaisse, pour qu'une unité première (un paradis perdu peut-être?) soit retrouvée. Mais comment ? C'est bien là le problème ! le morcellement de toute chose provoque chez le Narrateur inquiétude, tourment, souffrance. Prenons l'exemple de l'expérience du train : « je passais mon temps à courir d'une fenêtre à l'autre pour rapprocher, pour rentoiler les fragments intermittents et composites de mon beau matin écarlate et versatile et en avoir une vue totale et un tableau continu. » Cette course est le reflet d'une quête, elle est action, volonté, recherche. C'est une expérience difficile, épuisante et souvent stérile : elle ne permet pas d'accéder au mystère des choses. Elle le laisse seulement pressentir : le Narrateur entrevoit une lumière et des signes mais il ne parvient pas à les déchiffrer. C'est l'échec. Il a besoin d'une vue synthétique, globale, totale pour qu'une lecture du monde soit possible et, bien sûr, qu'une écriture puisse advenir. En effet, tant qu'il ne parviendra pas à effectuer cette agrégation/fédération, l'écriture n'aura pas lieu. CQFD.

En effet, comme on vient de le voir, le narrateur a une lecture particulière du monde, une vision fractionnée qui l'empêche de prendre en compte un ensemble, une totalité. Et c'est bien ça le problème ! La synthèse lui est rarement possible, et pourtant, elle est nécessaire à l'écriture, à la captation de l'essence des choses, de leur vérité. Il décrit d'ailleurs cela comme une sorte de handicap qui lui est propre. En effet, à cette vision morcelée de l'univers s'ajoute un moi fragmenté, les deux étant certainement liés d'ailleurs : « ...c'est du côté de Guermantes que j'ai appris à distinguer ces états qui se succèdent en moi, pendant certaines périodes, et vont jusqu'à se partager chaque journée, l'un revenant chasser l'autre, avec la ponctualité de la fièvre : contigus, mais si extérieurs l'un à l'autre, si dépourvus de moyens de communication entre eux, que je ne puis plus comprendre, plus même me représenter dans l'un, ce que j'ai désiré ou redouté, ou accompli dans l'autre. » On observe ici un éclatement du moi qui empêche une compréhension du réel. Face à cet aveu d'incapacité, le Narrateur en vient à formuler l'hypothèse que finalement « la réalité ne se forme que dans la mémoire… les fleurs qu'on me montre aujourd'hui pour la première fois ne me semblent pas de vraies fleurs. » Autrement dit, pour lui, le réel possible n'appartient qu'au passé, il est recomposition, ce qui signifie qu'il est étroitement lié au monde de l'Art et que seul l'Art peut en proposer une représentation possible.

Alors, à quoi ressemblent les lieux réels dans la tête de Marcel? Souvent disjoints, il arrive qu'ils se superposent et donc d'une certaine façon se confondent : lorsque devenu adulte, le soir, le Narrateur entend des aboiements de chien, il se croit sous les tilleuls près de la gare de Combray. le lieu présent s'efface et laisse place au lieu passé dans une espèce de procédé de surimpression qui n'est pas sans rappeler les formes projetées par la lanterne magique sur le mur de la chambre. Cette superposition crée un autre lieu, composite, irréel, j'allais dire romanesque. En tout cas, apparaît un espace qui n'existe pas, une création liée à une impression, à une expérience particulière. Ici l'unité engendre l'Art, elle permet d'atteindre une forme de Vérité supérieure à celle du réel, trop souvent décevante.
Voici un autre exemple : il est très étonnant de constater qu'il suffise que le père du Narrateur emprunte un chemin différent pour que toute la famille soit perdue, sans repères dans un espace pourtant extrêmement familier et très limité. le père apparaît dans ces moments-là comme le magicien qui d'un coup de baguette magique retrouve la petite porte de la rue du Saint-Esprit. Cela me semble lié aux représentations que le Narrateur et sa mère ont de l'espace qui dans leur esprit n'est pas segmenté par des routes, des chemins, des directions… Pas de carte, pas de GPS dans leur esprit. Non, ce sont plutôt des lieux-instants, des lieux-paysages, des lieux-sensations, des lieux qui finalement ont plus à voir avec des caractéristiques esthétiques que géographiques. Ainsi, pourrait-on penser que ce point de vue sur le monde favoriserait l'accès à l'Art. Ce n'est pas le cas : les lieux ainsi vécus ne permettent pas d'accéder à la vérité. On verra plus tard que Swann, qui a une vision artistique du monde, (c'est certainement l'homme le plus cultivé de la Recherche) ne fera rien de tout cela. Certainement, parce que cela ne suffit pas.

De même l'onomastique crée dans l'esprit du Narrateur des images, des visions souvent bien éloignées du réel. Prenons l'exemple de Balbec : Legrandin explique que Balbec est un lieu de « tempête en fin de terre ». Swann précise que son église s'apparente au gothique normand. Bref Balbec restera à jamais dans l'esprit du Narrateur un assemblage étonnant et superbe d'architecture gothique et de tempête sur la mer et, comme le fait remarquer R. Barthes dans « Le degré zéro de l'écriture », « Proust et les noms » : Balbec « a deux sens simultanés.» - sans même parler des sonorités (harmonies imitatives) qui pourraient encore conduire le narrateur vers d'autres visions. Avant même de connaître les lieux, le Narrateur va tenter de déchiffrer les noms, de déceler les mystères du monde à travers eux. Il dispose librement de ces noms, personne ne lui en barre l'accès, il va donc y déverser toute la puissance de son imagination. Là, va s'opérer une reconstruction du lieu qui va engendrer une espèce d'entité nouvelle, poétique, artistique.
N'oublions pas que lorsque le Narrateur était enfant, à la demande de sa grand-mère, on ne lui offrait pas des photos des lieux qu'il aurait aimé visiter car elles étaient jugées vulgaires. A la place, Swann lui rapporte des photographies de chefs-d'oeuvre (peintures ou gravures anciennes) afin de placer entre le réel et la représentation du réel le maximum d'« épaisseurs » possibles. Ainsi, la représentation que l'enfant se fait des lieux n'a strictement rien à voir avec les lieux eux-mêmes. le réel est jugé vulgaire, laid. Il vaut mieux s'en tenir éloigné… L'enfant est élevé dans une forme de rejet, de condamnation du réel. Peut-il faire autre chose que chercher une issue pour accéder au monde ?

Et pourtant, tout se passe comme si certains moments privilégiés avaient le don d'unir, de rassembler le temps et l'espace et ce sont précisément ces expériences-là qui donnent accès à l'Art et donc l'écriture. Prenons l'exemple des clochers de Martinville : tandis que le Narrateur est sur le point de renoncer à être « un écrivain célèbre » parce qu'il ne parvient pas à découvrir ce qui se cache derrière les choses et qu'il perd la volonté de s'adonner à cette recherche nécessitant un effort important, il est invité, lors d'une promenade, à monter à côté du cocher dans la voiture du docteur Percepied. Il aperçoit au loin les clochers de Martinville sous le soleil couchant et une impression l'étreint. « Je sentais que je n'allais pas au bout de mon impression, que quelque chose était derrière ce mouvement, derrière cette clarté, quelque chose qu'ils semblaient contenir et dérober à la fois. » C'est peut-être un détail mais à ce moment précis, soudain, l'espace s'annule : alors qu'il croyait les clochers éloignés, la voiture arrive de façon très soudaine devant l'église. le Narrateur demande immédiatement de quoi écrire. En fait, le mystère de ces clochers, c'est qu'ils offrent au narrateur la possibilité d'accéder à l'écriture. Là, le jeune homme le comprend et il agit immédiatement, en demandant de quoi écrire et en écrivant. En fait, ce ne sont pas les clochers qui détiennent l'essence des choses, c'est l'expérience que le Narrateur fait avec ces clochers, quelque chose qui a lieu dans son esprit, en lui-même. Or, comme je le précisais tout à l'heure, on a l'impression que ces moments privilégiés ne peuvent exister que s'il n'y plus de fragmentation spatiale ou temporelle. Il faut un lieu unique (une abolition de l'espace), un temps unique (une absence de fragmentation temporelle qui a lieu précisément dans les expériences de mémoire involontaire où le présent s'efface au profit du passé .) En effet, l'analogie entre la sensation présente et la sensation passée annule la distance temporelle et permet de « s'affranchir de l'ordre du temps » et d'atteindre l'essence des choses. Et peut-être que ce lieu unique, privilégié, est la chambre, espace clos, lieu de l'écriture, lieu de l'immobilité où toutes les distances sont annulées. Devenu adulte, le Narrateur, lorsqu'il se réveille le matin, ne sait plus ni dans quelle pièce il se trouve ni quelle heure il est. Il est dans un lieu qui pourrait être tous les lieux et hors du temps. Genette précise dans « Figures I », « Proust palimpseste », que « le temps perdu n'est pas chez Proust … le passé, mais le temps à l'état pur, c'est-à-dire en fait, par la fusion d'un instant présent et d'un instant passé, le contraire du temps qui passe : l'extra-temporel, l'éternité. »

Cela fonctionne de la même façon pour les gens : l'imagination du Narrateur s'empare d'eux, les idéalise parfois, les invente, les crée : le cas de Gilberte est particulièrement intéressant. Voici les paroles pour le moins étonnantes du Narrateur : « Si elle n'avait pas eu des yeux aussi noirs… je n'aurais pas été, comme je le fus, plus particulièrement amoureux, en elle, de ses yeux bleus. » Quel paradoxe incroyable ! le Narrateur s'avoue incapable de « réduire en des éléments objectifs une impression forte », autrement dit, sous le poids d'une quelconque émotion, il lui est impossible d'accéder à une vérité qui aurait quelque chose à voir avec une approche objective du réel.
Le Narrateur n'est d'ailleurs pas le seul ne pas comprendre le monde : que connaît-on de Swann ? Chacun en a une vision très partielle donc fausse. Comme le fait remarquer Genette, « tous les personnages de la Recherche sont protéiformes », donc insaisissables. Et ce qui est frappant, c'est que dans la mesure où ils ne sont pas perçus dans une continuité, on est toujours surpris de découvrir soudain ce qu'ils sont devenus. Swann ne supporte plus Odette ? On les retrouve mariés. Ils peuvent même simultanément associer des caractères contraires : être à la fois médiocres et fascinants, doux et violents.
Comme pour les lieux, le Narrateur passe par l'Art pour imaginer les gens : « Mme de Guermantes, que je me représentais avec les couleurs d'une tapisserie ou d'un vitrail » déçoit lorsqu'il la découvre : l'image qu'il s'est faite d'elle ne « coïncide » pas avec le réel, ce qui donne lieu évidemment à une forte déception « c'est cela, ce n'est que cela, Mme de Guermantes! » Dans le réel, elle n'est pas « colorable à volonté » (j'adore cette expression!), elle est réduite à une image fixe, elle est assujettie « aux lois de la vie ». Dans le monde de l'Art, elle acquiert un prestige, une aura qui disparaît complètement dans le réel.
Le Narrateur pense que l'Art doit lui permettre d'accéder à la vérité. Il est d'ailleurs interloqué lorsqu'il entend dire par son camarade Bloch que « les beaux vers étaient (à moi qui n'attendais d'eux que la révélation de la vérité) d'autant plus beaux qu'ils ne signifiaient rien. » Il attend de l'Art qu'il lui offre non seulement l'accès aux mystères du monde mais aussi qu'il compense une réalité toujours assez décevante.

Je voudrais pour finir (oui oui, ça se termine!) aborder une figure de style essentielle dans l'écriture proustienne à savoir, la métaphore : en effet, elle met en évidence les points communs entre les choses, elle réunit au lieu de séparer, établit des liens, des ponts entre des univers que l'on croyait hermétiques, elle dit que chaque chose participe du grand tout, elle exprime l'unité d'un monde, vision nécessaire, comme on l'a vu, pour accéder à sa beauté, à sa vérité, elle permet de dépasser les apparences :« Si on cherche ce qui fait la beauté absolue de certaines choses…. on voit que ce n'est pas la profondeur, ou telle ou telle vertu autre qui semble éminente. Non, c'est une espèce de fondu, d'unité transparente, où toutes les choses, perdant leur premier aspect de choses, sont venues se ranger les unes à côté des autres dans une espèce d'ordre, pénétrées de la même lumière, vues les unes dans les autres, sans un seul mot qui reste en dehors, qui soit resté réfractaire à cette assimilation… » (A l'ombre) La métaphore pour reprendre l'expression de C.E Magny « opère sur les choses une délivrance », elle les rassemble dans l'espace et dans le temps. Elle permet à l'artiste de révéler ainsi l'essence réelle des choses et « d'atteindre ce qu'il y a d'éternel dans le monde. » Et c'est précisément la phrase proustienne, à travers l'usage de la métaphore et de la comparaison, qui détient la clé permettant d'accéder à cette éternité. Comme le précise Gérard Genette dans son article « Proust palimpseste », « Figure I » : « la métaphore n'est pas un ornement, mais l'instrument nécessaire à une restitution, par le style, de la vision des essences parce qu'elle est l'équivalent stylistique de l'expérience psychologique de la mémoire involontaire » Ainsi la métaphore concrétise-t-elle dans l'écriture elle-même cette nécessaire fusion, cette indispensable convergence entre deux entités permettant d'accéder à une vision totale, absolue, apaisée du monde nécessaire à l'acte d'écriture.

Nous le savons, contrairement au Narrateur, Swann a échoué, il s'est perdu, a perdu son temps, n'est pas allé à la recherche de la vérité. Il n'a pas choisi entre l'Art et la vie. Il a fréquenté les salons, les mondains. Il a bien senti qu'il n'était pas loin parfois d'une révélation. D'ailleurs, il est le seul personnage de la Recherche à vivre une expérience de mémoire involontaire similaire à celle du Narrateur à travers la petite musique de Vinteuil. Mais il n'a pas approfondi, n'a pas pris le temps, n'a pas répondu à l'appel. Il serait intéressant de se demander en quoi Swann apparaît comme le double négatif du Narrateur. Pourtant, tout laisse penser qu'il faisait partie des élus, qu'il aurait pu, qu'il n'a peut-être pas été loin « de faire une oeuvre d'art ». Pourquoi s'est-il arrêté « en deçà de l'art » ? Qu'est-ce qui a empêché Swann d'accéder à la création ? (suspense atroce ...)

Allez, je vous laisse là-dessus. Dites-moi où vous en êtes avec Proust : lecture, relecture, abandon? Quel rapport avez-vous avec cette oeuvre ? Dites-moi tout !
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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La Pléiade publia d'abord "A la Recherche du Temps Perdu" en trois volumes, où le texte proustien occupait la meilleure part. Puis, une réédition contrôlée par des universitaires parut en quatre volumes. La moitié de chacun est occupée par des commentaires et introductions à l'histoire du texte, des notes souvent éclairantes (qui révèlent parfois l'évolution culturelle supposée du public) et une masse d'Esquisses et de brouillons que Proust a laissés. Cette édition en quatre volumes, faite par des universitaires, est très utile aux chercheurs universitaires, mais dans le grand public, les protestations ne manquèrent pas. En effet, de quelle utilité sont les Esquisses et les annotations abondantes, si soigneuses qu'elles soient, pour ceux qui se contentent de lire Proust sans songer à écrire une thèse sur lui ? Il y eut des gens de poids, des gens célèbres, pour se plaindre de l'obésité superflue de cette édition (mille pages de texte, mille pages d'esquisses et de variantes par volume). Je viens d'apprendre que la Pléiade, en 2022, fera paraître une troisième édition de la Recherche, en deux tomes, supprimant toutes les annotations, les esquisses et les études philologiques. Les plaintes du grand public ont été entendues.
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Quoi de plus beau, de plus lentement pénétrant que cette lecture qui parcourt l'âme humaine et peuple notre imaginaire de paysages désormais mythiques : Combray, Balbec, le Paris des Guermantes... et jusqu'à cette Venise recomposée, paysages tous faits d'odeurs, d'émotions et de ce peu de mélancolie qui donne au temps une saveur incomparable.
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ous voici en présence d'une édition très richement documentée avec un appareil critique dense qui permet d'aborder Proust par la grande porte si l'on peut dire, celle d'une édition qui ajoute au texte (définitif) les nombreux et indispensables commentaires et notes qui permettent de mieux cerner l'intention du romancier, sans pour autant se plonger dans un de ces manuels, d'analyse d'une oeuvre qui font florès dans le rayon parascolaire.
Sur le choix des romans et leurs critiques, rien à dire, ces romans sont des classiques de la littérature française à avoir lu dans sa vie. le volume contient du côté de chez Swann, A l'ombre des jeunes filles en fleur (première partie) et les esquisses.
Que l'on aime ou que l'on aime pas le style éditorial de la collection "la Pléiade", que l'on apprécie ou pas le papier bible, la reliure pleine peau, en fait tout ceci importe peu. Si ce n'est que contrairement à d'autres qui y voient un obstacle, je trouve que le format Pléiade convient très bien à l'univers proustien: c'est dense, ramassé, concentré, élégant, odorant et tactilement plaisant. Une métaphore en quelque sorte de l'oscillation continuelle entre raison et sens, si caractéristique de Proust.
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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
[La Charité de Giotto et la fille de cuisine enceinte]
De même que l'image de cette fille était accrue par le symbole ajouté qu'elle portait devant son ventre, sans avoir l'air d'en comprendre le sens, sans que rien dans son visage en traduisît la beauté et l'esprit, comme un simple et pesant fardeau, de même c'est sans paraître s'en douter que la puissante ménagère qui est représentée à l'Arena au-dessus du nom "Caritas" et dont la reproduction était accrochée au mur de ma salle d'études, à Combray, incarne cette vertu, c'est sans qu'aucune pensée de charité semble avoir jamais pu être exprimée par son visage énergique et vulgaire. Par une belle invention du peintre elle foule aux pieds les trésors de la terre, mais absolument comme si elle piétinait des raisins pour en extraire le jus ou plutôt comme elle aurait monté sur des sacs pour se hausser ; et elle tend à Dieu son coeur enflammé, disons mieux, elle le lui "passe", comme une cuisinière passe un tire-bouchon par le soupirail de son sous-sol à quelqu'un qui le lui demande à la fenêtre du rez-de-chaussée.

Du côté de chez Swann, I, II, p. 80.
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[Les Vertus et les Vices peints par Giotto]
Il fallait que ces Vertus et ces Vices de Padoue eussent en eux bien de la réalité puisqu'ils m'apparaissaient comme aussi vivants que la servante enceinte, et qu'elle-même ne me semblait pas beaucoup moins allégorique. Et peut-être cette non-participation (du moins apparente) de l'âme d'un être à la vertu qui agit par lui, a aussi en dehors de sa valeur esthétique une réalité sinon psychologique, au moins, comme on dit, physiognomonique. Quand, plus tard, j'ai eu l'occasion de rencontrer, au cours de ma vie, dans des couvents par exemple, des incarnations vraiment saintes de la charité active, elles avaient généralement un air allègre, positif, indifférent et brusque de chirurgien pressé, ce visage où ne se lit aucune commisération, aucun attendrissement devant la souffrance humaine, aucune crainte de la heurter, et qui est le visage sans douceur, le visage antipathique et sublime de la vraie bonté.

Du côté de chez Swann, I, II, p. 81.
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Sauf en lui demandant la petite phrase de Vinteuil au lieu de la "Valse des roses", Swann ne cherchait pas à lui faire jouer plutôt des choses qu'il aimât et, pas plus en musique qu'en littérature, à corriger son mauvais goût. Il se rendait bien compte qu'elle n'était pas intelligente. En lui disant qu'elle aimerait tant qu'il lui parlât des grands poètes, elle s'était imaginé qu'elle allait connaître tout de suite des couplets héroïques et romanesques dans le genre de ceux du vicomte de Borelli*, en plus émouvant encore. Pour Ver Meer de Delft, elle lui demanda s'il avait souffert par une femme, si c'était une femme qui l'avait inspiré, et Swann lui ayant avoué qu'on n'en savait rien, elle s'était désintéressée de ce peintre. Elle disait souvent : "Je crois bien, la poésie, naturellement, il n'y aurait rien de plus beau si c'était vrai, si les poètes pensaient tout ce qu'ils disent. (...)"

*Borelli : sorte de Leila Slimani ou Marc Levy de 1880.

Un amour de Swann, Du côté de chez Swann II, p 237.
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Puis, sans qu'il s'en rendît compte, cette certitude qu'elle l'attendait, qu'elle n'était pas ailleurs avec d'autres, qu'il ne reviendrait pas sans l'avoir vue,, neutralisait cette angoisse oubliée mais toujours prête à renaître qu'il avait éprouvée le soir où Odette n'était plus chez les Verdurin et dont l'apaisement actuel était si doux que cela pouvait s'appeler du bonheur. Peut-être était-ce à cette angoisse qu'il était redevable de l'importance qu'Odette avait prise pour lui. Les êtres nous sont d'habitude si indifférents que, quand nous avons mis dans l'un d'eux de telles possibilités de souffrance et de joie pour nous, il nous semble appartenir à un autre univers, il s'entoure de poésie, il fait de notre vie comme une étendue émouvante où il sera plus ou moins rapproché de nous.

Du côté de chez Swann, II, Un amour de Swann, p. 234
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... telle était l'une des causes de l'étonnement que la princesse avait toujours à entendre Mme de Guermantes juger les personnes. Mais il y en avait une autre et que, moi qui connaissais à cette époque plus de livres que de gens et mieux la littérature que le monde, je m'expliquai en pensant que la duchesse, vivant de cette vie mondaine dont le désoeuvrement et la stérilité sont à une activité sociale véritable ce qu'est en art la critique à la création, étendait aux personnes de son entourage l'instabilité de points de vue, la soif malsaine du raisonneur qui pour étancher son esprit trop sec va chercher n'importe quel paradoxe encore un peu frais et ne se gênera point de soutenir l'opinion désaltérante que la plus belle "Iphigénie" est celle de Piccini et non celle de Gluck, au besoin la véritable "Phèdre" celle de Pradon.

Le côté de Guermantes.
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MARCEL PROUST / DU CÔTÉ DE CHEZ SWANN / LA P'TITE LIBRAIRIE
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