Cette collection d'essais assez pointus sur la religion manichéenne nous fait traverser tout l'Ancien Monde, des origines parthes et iraniennes de la religion au domaine grec et copte, puis latin, mais aussi l'Asie Centrale, la Chine aussi bien que les Balkans et le sud de la France. Telle a été, en effet, l'extension du manichéisme : de Bordeaux à Carthage, de Trèves à Constantinople, Bagdad, Samarkande et Shanghai. S'y déploie un riche éventail de textes, une mythologie étonnante, des doctrines élaborées dont l'exposé dépasse de loin la simple vulgarisation. Mais l'ensemble est passionnant et remet au jour une religion immense, intensément créatrice d'images et de poésie, sans parler de la théologie, et dont l'étendue dépasse même celle de l'islam ou du christianisme. Son nom dans notre langue actuelle ne désigne plus qu'un défaut de l'esprit, et ce mode de survie est une grande injustice quand on mesure la grandeur du manichéisme comme ensemble culturel. Son histoire est marquée par une curieuse caractéristique : tous les régimes, états, cultures, empires, ont violemment persécuté les Manichéens et éradiqué le manichéisme, sauf l'empire chinois où cette religion a disparu d'elle-même, "de sa belle mort" pourrait-on dire. Cet acharnement a de quoi surprendre, puisque même l'empire romain chrétien ou, plus étonnant, le califat islamique, toléraient (difficilement mais quand même) la pratique d'autres religions en leur sein, sauf celle-ci.
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Il est, en effet, vraisemblable que l'énigme de la présence scandaleuse du mal dans le monde, le sentiment insupportable de tout ce que la condition humaine a de mauvais et d'ignominieux, les difficultés qu'il y a à attacher une signification à cette existence du mal, à l'attribuer à Dieu et à en justifier celui-ci, sont au fond de l'expérience religieuse qui a donné lieu à la conception gnostique du Salut. Le gnostique se sent ici-bas accablé de tout côtés par le poids tyrannique du Destin (Heïmarmenê), soumis aux limites, aux "chaînes" du temps, du corps, de la Matière, et sujet à leurs tentations et à leur dégradation. Ce sentiment d'esclavage et d'infériorité ne peut s'expliquer que par une /déchéance/ : du fait même qu'il l'éprouve, l'homme doit être en soi, et même a dû être, autre chose que ce qu'il est en ce bas monde, où il se sent exilé, "étranger". D'où une /révolte/ devant le monde, un refus de l'accepter et de s'accepter. D'où aussi la /nostalgie/ d'un au-delà, ou, plutôt, d'un en-deçà du monde, d'une existence antérieure où sa substance était pure et sa puissance infiniment libre, le regret et le désir d'un Paradis perdu que la gnose du fera regagner. Le gnostique en vient à concevoir que sa déchéance actuelle ne peut être qu'accidentelle et provisoire, et il prend, d'autre part, conscience de sa supériorité innée, de la "noblesse" de son origine, de l'exceptionnelle "dignité" de sa nature ou de sa "race", que n'ont pu détruire ce temps, ce corps, cette Matière, à quoi il est présentement lié ou mêlé. Par là, ce que sa situation temporelle avait d'inacceptable pour son sentiment devient paradoxal pour son intelligence. Le besoin affectif du salut se transforme en exigences et en problème intellectuels, et il trouvera sa satisfaction dans un acte qui est - du moins, en théorie - purement conscience et savoir. L'expérience du mal se formule et requiert une explication et une solution sur le plan de la connaissance. De la sorte, à côté du sentiment et de l'horreur du mal, il y aura chez le gnostique le désir - transformé en certitude orgueilleuse, en une certitude qui est plus qu'espoir et que foi - de posséder la Vérité absolue, une science totale, par quoi et en quoi toutes les souffrances, toutes les énigmes suscitées par l'existence du mal seront résolues.
pp. 10-11
[Alain Besançon, dans les "Origines intellectuelles du léninisme", applique cette grille de lecture gnostique au communisme révolutionnaire.]
La musique.
Bien qu'elle ait, pour se communiquer, à se servir d'instruments faits d'éléments empruntés au monde des corps et de la matière, c'est-à-dire, ici, de la corruption, de la mort, du Mal, c'est à l'esprit, émané comme elle du Royaume transcendant du Bien, de la Lumière, de la Vie, que la musique, tout aussi bien que le chant, son compagnon, procure en plénitude, toute vive et toute pure, sa joie ; c'est par l'esprit qu'elle est reçue, perçue, goûtée ; de l'esprit qu'elle est la chose tout autant que l'oeuvre et l'expression. "Levez-vous, louez et priez", lisons-nous dans un des fragments manichéens découverts en Asie Centrale... L'image que se font les manichéens du monde divin est, en effet, celle d'un immense espace non seulement lumineux, mais sonore, parcouru de mélodies, tout bruissant de cantiques, tout baigné de musique ininterrompue.
p. 187
Oui, dans le manichéisme comme dans les Gnoses du type classique, le Salut est bien, en droit, chose tout intellectuelle, mais, en fait, sa théorie est mythe et sa pratique héroïsme.
p. 101.
L'oeuvre de Carl Gustav Jung
Emission consacrée à l'oeuvre de
Carl Gustav JUNG à l'occasion du 80ème anniversaire de sa naissance.
Avec la participation de Robert AMADOU, auteur spécialisé en
parapsychologie, du docteur
Roland CAHEN, neuropsychiatre, de
Henri CORBIN, professeur aux Hautes Etudes,
Franz HELLENS, romancier, poète et dramaturge et
Henri Charles PUECH, professeur d'histoire des
religions au Collège de...