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Critique de Antyryia



Tout un été sans Facebook ? Personnellement je pense pouvoir remporter le défi haut la main.
Mais dans la petite ville de New York ( état du Colorado ), l'absence totale de réseau empêche ses cent cinquante habitants d'accéder à internet, et le téléphone portable est également à proscrire.
C'est déjà moins évident.
Pas de mails, pas de moyen de connaître la couleur du string de Paris Hilton ( si elle en porte un ), pas de Babelio ...
Mais à ce sujet le lieutenant Agatha Crispies a trouvé un autre moyen de partager sa passion pour les livres : Elle a créé un club de lecture dont elle est par ailleurs l'unique membre.
Quant à Facebook, il a pris la forme d'un tableau de liège dans les locaux de la police. Vous pouvez très bien y afficher une de vos critiques ou y faire des demandes d'amis. Des pouces sont également disponibles si vous souhaitez punaiser un like.

New York, Colorado, est une commune où il ne se passe jamais rien. Ses cent quatre-vingt-dix-huit ronds points, son unique feu de signalisation et ses écureuils radioactifs ont même tendance à faire fuir les touristes. Seul un chat persan disparaissant occasionnellement occupe les autorités. Et c'est là qu'a atterri Agatha Crispies, mutée de New York ( état de New York ) après la mystérieuse affaire du stylo, cinq ans auparavant. Si vous avez reconnu la référence à la première enquête d'Hercule Poirot, alors vous devriez ne plus avoir aucun doute : vous êtes bien dans un roman de Romain Puértolas, complètement loufoque et barré.
Et ça n'est pas fini. Un premier meurtre a lieu. Dans la commune voisine de Woodville. Peter Foster est retrouvé à l'état de steak haché dans sa baignoire, dans une salle de bain fermée à clef de l'intérieur.
"Un crime à la Agatha Christie, mais avec autant de sang que dans un Stephen King."
L'hypothèse du suicide est rapidement écartée : il n'a pas pu s'infliger seul cent cinquante perforations d'aiguilles à tricoter. Malgré un problème de juridiction, le juge confie l'enquête à Agatha.
"Un meurtre dans la région, c'est comme la comète de Halley, vous n'en voyez qu'un dans votre vie."
Notre héroïne voit donc enfin l'occasion de briller en résolvant cette affaire criminelle inespérée. Et de retrouver la côte est, peut-être même avec une promotion.
Est on dans une version déjantée du crime de l'Orient-Express ? Dans le mystère de la chambre jaune revisité ? le meurtre a-t-il un lien avec le club de tricot qui concurrence le club de lecture présidé par Agatha ? En tout cas il est temps de faire fonctionner ses petites cellules grasses.

Grasses parce qu'Agatha, grande amatrice de donuts au chocolat, est en léger surpoids. La largeur de son popotin n'est qu'un de ses nombreux signes distinctifs. Elle est noire, a une coiffure afro démesurée, des chaussures roses, ce qui ne l'empêche pas d'avoir une grande confiance tant en son physique qu'en ses capacités de déduction. Elle est incontestablement le personnage le plus farfelu et extravagant de cette parodie de polar, mais les autres protagonistes ne sont pas en reste. Vous ferez la connaissance d'un irrésistible bûcheron qui se lancera dans la rédaction d'un western-développement personnel en surfant sur le succès des feel-good books, d'une brillante standardiste, d'une Polonaise au nom imprononçable, d'un légiste aux impressionnantes capacités d'analyse, d'une femme de ménage mexicaine ne parvenant pas à lire Autant en emporte le vent en une seule soirée, d'un shérif myope, ou encore du Français ( ou Belge ? ou Suisse ? ) John Dicker s'apprêtant à écrire la vraie vérité sur l'affaire du cas Québert ... et de bien d'autres habitants farfelus. Qui pour la plupart feront des suspects idéaux  à un moment ou à un autre de l'enquête.

Lors de longues explications, Agatha a à coeur d'expliquer au lecteur à quel point les séries télévisées policières sont totalement irréalistes. Qu'il s'agisse de Bones ou des Experts, elle pointe le doigt sur les incohérences scénaristiques ( procédures, armes, uniformes ) tout en rappelant la réalité du terrain et de la paperasse pour les vrais policiers, comme elle.
"Ce sera dur d'effacer soixante-dix ans de séries policières truffées d'erreurs."
"Les meurtriers de la vraie vie ne sont pas les criminels intelligents qui peuplent les séries. On a rarement sous la main une équipe de dix scénaristes pour mettre au point le meurtre de sa femme."
Alors certes, elle a raison ... Mais c'est tout de même assez ironique de souligner ces erreurs dans un roman bourré de clichés et d'invraisemblances ( volontaires ). Mais bon, le but est de nous faire rire avec des gags à répétition, des situations rocambolesques, des cheminements de pensées extravagants, des stéréotypes culturels. Et si j'ai souri et même parfois éclaté de rire, j'en attendais plus au niveau de cette enquête. Elle reprend les codes du roman policier ( suspects, mobile, fausses pistes, cadavres qui se multiplient ) pour mieux les détourner mais laisse quand même le lecteur réfléchir et élaborer des hypothèses au fur et à mesure des indices éventuels, comme s'il lisait un Miss Marple qu'Agatha Christie aurait écrit sous ecstasy. Mais évidemment ça n'est pas plus crédible que les séries auxquelles fait allusion la policière et l'humour est parfois lourd, voire maladroit, trop pour se régaler à chaque fois de la succession cocasse de dialogues et de situations. le but n'était évidemment pas de nous livrer un récit ultra-réaliste mais malgré le décalage volontaire, l'intrigue policière délirante ne m'a pas convaincu outre mesure.

En revanche, comme il l'a fait dans ses précédents romans, l'auteur arrive avec son humour particulier à délivrer ses messages. Certains concernent à nouveau la tolérance et l'absurdité du racisme.
"Lorsqu'on pose la question autour de soi, la grande majorité des gens ne sont pas racistes."
Et entre les aventures tirées par les cheveux vécues par l'héroïne ( "Dans le coin, être femme et noire était un double affront, mais elle n'allait tout de même pas passer ses journées à s'excuser." ), on a des passages un peu plus sérieux. Je pense en particulier à l'expérience de la vente d'un smartphone, tenu par une main blanche sur une première annonce et par une main noire sur la seconde : Les résultats sont assez édifiants.
Quant à Facebook - qui brille ici par son absence - l'auteur rappelle malicieusement que ça n'est pas un outil indispensable au bonheur et qu'il peut même être un handicap. Que l'absence d'internet permet de profiter des plaisirs simples et parfois oubliés que propose la nature, quand elle a été préservée. Et que ne pas être toujours greffé à son portable - téléphone ou ordinateur - permet de trouver le temps pour cet autre petit bonheur qu'est ... la lecture.
"Car s'il y a quelque chose de bien à New York, Colorado, soyons de bonne foi, c'est que les forêts et les montagnes qui s'étendent autour sur des dizaines de kilomètres sont propices à la réflexion et à la lecture."

Parce que ce roman est peut-être avant tout une apologie des livres, et en ce sens j'ai trouvé Tout un été sans facebook absolument brillant. Et par sa multitude de références, d'anecdotes, de clins d'oeil et de réflexions, ce livre vaut vraiment le détour pour tous les amoureux de la lecture.
Nous y sommes nombreux sur Babelio, qui fait la jonction entre le réseau social et le plaisir de lire, deux mondes que l'auteur fait entrer en collision ici.
L'amatrice de livres, c'est aussi et surtout Agatha Crispies. Elle a juste un problème avec James Joyce ( "Montrez-moi quelqu'un qui prétend avoir lu Ulysse et je vous montrerai un menteur." ), nom qui revient d'ailleurs en filigrane tout au long de l'enquête. Mais pour le reste, elle nous fait profiter de sa culture littéraire très vaste et nous rappelle qu'il n'y a pas de sous-livre, que chacun est libre de s'éclater en lisant ce qu'il veut, qu'il s'agisse de Barbara Cartland, de Stephen King ou de Léon Tolstoï. Et pour qui aime les livres, toutes les références qui couvrent un très large éventail de genres, de nationalités et d'époques font briller les yeux et c'est pour moi le gros point fort du roman.
Ernest Hemingway, Mary Shelley, Edgar Allan Poe, Antonin Varenne, Alexandre Dumas, JK Rowling, Sir Arthur Conan Doyle, Gaston Leroux, Arthur Rimbaud, Katherine Pancol, Patrick Süskind, Gustave Flaubert, Stefan Zweig : la liste est longue. Et ça n'est pas qu'un catalogue : le roman fourmille d'anecdotes, certaines connues et d'autres moins. J'ai même trouvé un petit côté Bernard Werber à ce roman, parce qu'il permet de s'enrichir tout en s'amusant de l'intrigue principale, servie par une culture littéraire vaste, sans prétention et à bon escient.
"La littérature est une constellation dont les étoiles se renvoient les unes vers les autres."
Savez-vous quelle est la pièce de théâtre la plus jouée au monde ? Pouvez-vous citer trois auteurs qui écrivaient debouts ? Quel auteur n'a publié que deux livres et ce à cinquante ans d'intervalle ? Quel est l'origine du prénom Wendy ?
De courts chapitres sont exclusivement réservés aux livres et aux écrivains : Les auteurs qui se sont suicidé, l'histoire d'Autant en emporte le vent et de Margaret Mitchell, le titre des dix petits nègres lors de sa publication au Royaume-Uni et bien d'autres histoires dans l'histoire. Mais aussi des clins d'oeil aux lecteurs qui annotent leurs romans, les titres de livres auxquels il ne faut pas de fier, les raisons de lire qui sont propres à chacun.
Par la diversité, l'auteur prône à nouveau à la fois une forme de tolérance et un amour des livres. Son enthousiasme m'a touché et enrichi.
Un véritable hommage tant aux auteurs qu'aux lecteurs. Nous n'avons pas tous les mêmes goûts, nous ne recherchons pas tous la même chose en lisant, respectons cependant les affinités littéraires de chacun.
Et si vous faîtes partie de ces lecteurs de polar qui ne résistez pas à l'envie d'aller lire les dernières pages avant la fin, l'auteur a également pensé à vous en réservant une petite surprise que j'ai pour ma part adoré !

On est donc toujours dans du Puértolas, son humour on y adhère ou pas ( que de progrès quand même depuis les aventures de son fakir ), mais si vous aimez l'absurde, les romans policiers et les livres ... alors n'hésitez pas  à essayer cette recette inattendue et plutôt réussie.
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