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Critique de colka


Le Jardin forteresse a grillé la première place à d'autres livres dans ma PAL. Acheté chez un bouquiniste, il m'a permis de retrouver la plume de Claude Pujade-Renaud, une auteure que j'avais lue, il y a un certain nombre d'années et dont je gardais un excellent souvenir. Je n'ai pas regretté mon choix.
Première impression forte : une immersion dans le monde de la Grèce Antique. Un monde où la musique, la poésie et la philosophie côtoient la barbarie et la tyrannie. Un monde où le clivage homme/femme ; maître/esclave gouverne la société mais n'empêche pas de troublants rapprochements. Un monde où la liberté de moeurs et une certaine porosité des genres le disputent aux règles très strictes qui régissent la famille.
C'est dans ce monde-là, que je suis partie à la rencontre des trois héroïnes du roman : Sophro, la lucide et la plus tragique des trois, Diké, la gardienne du "jardin forteresse" où elles vont passer leur enfance et Harmonia, l'impulsive et la transgressive. Leur père : Denys de Syracuse, un tyran, ivre de pouvoir et qui n'hésitera pas, le moment venu, à les marier selon les rites de l'endogamie familiale, par stratégie politique.
Face à ce père tout puissant et vénéré, nos trois héroïnes. D'abord petites filles, elles couleront des jours heureux (superbement décrits) dans ce jardin forteresse et dans ce monde féminin qu'est le gynécée. Mais déjà la violence rôde autour d'elles. le viol et l'inceste vont entrer dans leur vie par le biais des mythes que leur raconte leur nourrice Pimpléa, jusqu'au récit initiatique dont elle leur fera part sans ménagement : celui de la lapidation, du viol et du meurtre dont sera victime Laodamia, la première épouse de leur père. Irruption brutale dans un monde de violence dont elles étaient jusque là protégées et l'union incestueuse à laquelle leur père va les contraindre va sonner le glas de leur innocence et de leur insouciance.
Une porte va s'ouvrir sur une tragédie familiale que nul ne pourra arrêter...
Ce que j'ai aimé c'est à la fois la subtilité et la clairvoyance avec lesquelles l'auteure traite ce problème de l'inceste en montrant son côté destructeur mais aussi toute sa complexité. Chacune des trois soeurs va être victime de ces trois mariages incestueux et chacune à un moment ou à un autre va frôler la folie. Leur forme de résistance ? Une relation fusionnelle où elles joueront tour à tour le rôle de confidente, de miroir ou de double selon les situations. Sophro et Diké iront même très loin dans cette relation et leurs corps les rapprochera plus d'une fois dans une intimité tout aussi troublante pour la lectrice et le lecteur que pour elles-mêmes.
Cette proximité des corps, on la retrouve d'ailleurs dans tout le roman. Et même si le clivage maître/esclave reste fort, les deux nourrices Nyctéia et Pimpléa vivent dans une grande intimité avec le monde des femmes et leurs enfants. Dans une magnifique scène de déploration, Nyctéia après son suicide, sera même pleurée comme une vraie mère par les trois soeurs. Bel hommage rendu à celle qui aura partagé leur vie au quotidien avec une affection et un dévouement sans failles.
La vie au quotidien dans ses gestes et ses rituels, Claude Pujade-Renaud en rend compte avec beaucoup de talent. Elle excelle dans la peinture de tout ce qui est palpable, sensoriel, que ce soit le monde végétal, animal ou humain, toutes ses descriptions dégagent une grande sensualité. Ce qui ne l'empêche pas de rappeler que le monde grec est aussi un monde de bruit et de fureur où l'on s'étripe joyeusement ! Sa phrase se fait alors véhémente , sans concession aucune et elle ne recule pas devant la description minutieuse des scènes de massacres ou de meurtres sans frôler pour autant la complaisance ou le voyeurisme malsain. C'est là tout son talent.
Pour finir, je dirais que ce livre a été pour moi une belle découverte, loin du hit parade des succès littéraires du moment ! J'aurais pu être déçue bien sûr mais j'étais alors la seule responsable de mon mauvais choix...
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