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Critique de Sio


L'histoire s'ouvre sur un souvenir, un des rares partagés par les quatre frères : un petit-déjeuner, à l'aube, un jeune enfant entre ses deux parents, les yeux embrumés de sommeil. Un camion passe dans la rue, klaxonne. C'est le signal : Gabriel se lève, dit au revoir, monte dans le Pegaso, s'en va. Pour la dernière fois, peut-être ? Qui sait. Il est difficile de savoir quand Gabriel reviendra, car il est adepte des coups de vent, et autres visites surprises, brèves de préférence.
Les quatre garçons se sont construits autour de la présence épisodique de leur baroudeur de père, mais surtout autour de son absence, puisque s'il y a une chose que Gabriel sait bien faire, c'est disparaître, se fondre dans la masse, se volatiliser.
Difficile, dès lors, de remonter sa piste, surtout lorsque vingt ans ont passé.
Les quatre garçons, unis dans la recherche, se partagent la voix du narrateur. Tout d'abord universel, il se sépare en quatre entités distinctes, afin de laisser chaque garçon narrer sa propre histoire. Et puis, la voix revient, repart, fait des incursions dans les passés des mères, de Gabriel, de ses amis, élaborant petit à petit un roman choral, mélodieux, évocateur. Tour à tour, c'est l'Allemagne des réfugiés républicains qui se dessine, la France de 68, ou l'Angleterre des Beatles. Derrière, c'est le spectre du franquisme qui hante les consciences, s'insinue dans la narration, les anecdotes, les découvertes. À mots-couverts, couverts mais pleins d'humour, les recherches sur la vie de Gabriel dévoilent les aspects les moins glorieux de cette Espagne laborieuse.
Pas à pas, tendrement, chaque garçon ressuscite le spectre de ce père volatil, esquisse les chemins, les histoires qu'il a créées avec leurs mères et une galerie de personnages variés, qui évoluent en toile de fond. Les récits se construisent peu à peu, comblant ici un manque, ajoutant là une nuance. Les quatre garçons exercent des métiers en rapport avec les mots, la réalité, la vérité, peut-être en une réaction épidermique à leur père renfermé, secret. On comprend mieux leur envie de savoir, leur volonté de faire toute la lumière sur cette leur étrange histoire. Alors qu'on ne s'y attend pas, le récit est souvent drôle, qu'il s'agisse des anecdotes, ou des petites réflexions disséminés ça et là. Drôle, le discours se fait aussi dur, railleur, réaliste, faussement désinvolte ou tendrement émouvant ; certaines scènes vous serreront la gorge, alors que d'autres vous feront sourire bêtement : Jordi Puntí, lui aussi maître des mots, fait preuve d'un grand talent de narrateur. Alors que l'histoire pouvait sembler larmoyante, il se tire de cette improbable situation initiale avec un récit drôle, tendre, intelligent, et souvent émouvant. C'est avec regrets qu'on délaisse une Barcelone puissamment évocatrice et cette drôle de famille recomposée, ces quatre frères aux trajectoires différentes, occupés et bien décidés, désormais, à se créer de nouveaux souvenirs tous ensembles. Jordi Puntí déploie, dans cette savoureuse chronique familiale, un immense talent pour croquer de quelques traits essentiels ces personnages cosmopolite, dont les existences, parfois un peu décousues et cabossées, ont été à l'image de ces innombrables bagages, qui demeurent à jamais perdus.

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