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Critique de VestanPance


Première lecture (incomplète) aux alentours de 2010 :

Son plus nébuleux, mais aussi son plus fameux.

Réputé illisible, on est tout de même loin du "Festin Nu". On s'y perd souvent, c'est vrai. Certains abandonneront en cours de route et on ne peut pas leur en vouloir (pour ma part, le forum Reddit a été salutaire plus d'une fois). Mais voilà, il y a ce charme Pynchon, ici appliqué à la Seconde Guerre mondiale, et c'est tout simplement énorme. Slothrope, militaire amerloque perdu en Europe, est en plein trip parano : toutes les unités militaires paranormales anglaises, américaines et allemandes s'intéressent à son cas et le poursuivent, de Blitz en Zone "libérée", parce que sa libido s'accorde à la chute des V2 et pourrait permettre, peut-être, de prédire les points de chute des fusées. Il croise une pieuvre géante, un Général coprophage, des quantités de femmes fatales et fragiles, un Schwarzcommando suicidaire, des ennemis increvables qu'on jurerait sortis de Porco Rosso. La folie de la guerre y devient palpable, imprévisible, hilarante, tragique, poisseuse et parfois bouleversante. C'est "Apocalypse Now" sous ganja, "Requiem pour un Massacre" par les Monty Python !

Seconde lecture (complète!), Juillet 2021 :

Un arc en ciel et son reflet, dessus et dessous zéro. Des trajectoires paraboliques qui à leur zénith ne font qu'effleurer le fantasme de la vérité, avant de retomber, plus lourdes de la crasse du doute et des sédiments du complot -celui, énorme, de notre vie, celui qui nous échappe, celui qui toujours se cache dans l'angle mort, dans la brève extinction du filament, invisible à l'oeil nu. Si près du but, la fusée retourne au sol pour boucler la boucle et recommencer le cycle. Entre les deux arcs-en-ciel, le réel et son reflet (mais lequel est le bon?), les vivants et les morts se lancent, y croient et s'effondrent, encore et encore, touchant le sol avant même d'avoir réalisé que l'explosion de leur Chûte, Écrite depuis toujours, les assourdit, les disperse, les atomise. Les fusées, les bites, les carrières, les amours et les pains magiques dans les fours sont condamnés à s'effondrer, sitôt gonflés de leur envol. Interdits d'ailes pour s'arracher à la courbe, le décollage est un leurre et sa richesse éphémère : toujours la lie est au bout du chemin. Si seulement il nous était autorisé de connaître avec précision notre point d'impact.

Pourtant, toutes et tous tentent ici de maintenir le cap, de croire à l'envol, envers et contre tout, Fantasme absolu. Car chez Pynchon tout est affaire de fantasmes (« fantasies ») : la guerre, d'abord, est la conséquences des fantasmes des uns qui s'appliquent aux autres, avant de faire naître -ou d'augmenter- leurs fantasmes à leur tour : par survie, par réflexe, par délire, par projection. Au point que ceux-ci envahissent le réel, le floutent, le colonisent, qu'il ne soit plus possible de faire la différence entre Fusée et Stimulus, entre érotisme et papier, entre sécrétions et amour, entre la Zone et le Monde, entre Soi et Eux. La Technologie comme transsubstantiation. Nouvelles Religions, les Sciences apparaissent comme le lieu absolu du fantasme : non plus appréhension et compréhension du tout par l'expérience, mais véhicule de projection du fantasme sur le Monde, moyen de prouver l'expérience globale par l'expérience individuelle, imposition d'autant de lectures uniques auxquelles toutes les autres se plieraient, fantasmes binaires pour les uns, statistiques pour les autres, suprématie de l'esprit sur le corps, du corps sur l'esprit, de la matière sur l'inerte et vice-versa ; fantasmes à ce point libérés, et pourtant prisonniers de leurs propriétaires, que Pirate les saisit au vol comme autant de papiers gras portés par le vent. L'Homme a à ce point dispersé ses fantasmes (de crainte de sa propre dispersion) qu'il n'est plus possible de savoir s'ils embellissent ou salissent un Monde devenu incompréhensible -l'homme fétichise tout ce qu'il croise parce que c'est la seule emprise qu'il lui reste sur ce qui l'entoure, son unique façon de comprendre, d'appréhender, de prétendre à un semblant de maîtrise. Mais il n'y a sans doute plus rien à comprendre, sinon que la seule façon de ne pas jouer Leur jeu et de ne pas jouer du tout. Car au coeur de la Bombe gît l'Homme Innocent.

Livre-épreuve ? Oui. Livre-somme : aussi.
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