AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de bobfutur


La force tranquille d'un génie, décidant cette fois-ci de nous pondre un pot-pourri.
Des références à la pelle, issues du cinéma et des séries noires ; du « Big Lebowski » à James Ellroy, dans le Los Angeles de 1970, époque charnière de la Contre-Culture, début d'un certain morcellement idéologique, lent reflux de cette vague brisée depuis 65, sommet probable d'une culture occidentale à la recherche de limites, un nouveau monde cherchant à se débarrasser de l'ancien, le collectif pas encore vaincu par l'individu.

C'est sur ce fond de « Flower Power » en voie de flétrissure que Pynchon installe son intrigue, la suivant pour une fois sans réelles digressions ( autres que ses habituelles chansons ), se limitant à une centaine de personnages, toujours aussi divinement nommés, plein de sens cachés, usant de la botanique comme variation des possibles.
Cultivant avec une plus grande précision ces thèmes complotistes qui traversent toute son oeuvre, il se sert avec gourmandise de cette paranoïa que donnerait la consommation d'herbe et de buvards, enfumant cette histoire d'un brouillard psychédélique paradoxal : ne s'en servant jamais comme alibi à des faiblesses abstractives ou scénaristiques — laissant loin derrière le presque célèbre « Point Lynch-Marley » * — la drogue y servant de glaise primordiale, de base culturelle et cultuelle, autant que le rock ou le surf, essentielle au déroulement de l'histoire, comme à la formation d'une génération.

La singularité de ce livre, réputé à juste titre comme le plus accessible de notre géant, vient du fait qu'il nous raconte une histoire comme une véritable enquête, tel un authentique roman policier, réclamant ainsi une attention davantage « premier degré » que son habituelle nébulosité explosive, si complexe qu'elle autoriserait une lecture reptilienne, l'inconscient débrouillant l'affaire beaucoup mieux que la volonté de s'y retrouver.
Ici, chaque personnage a « réellement » sa place, le désormais indispensable www.pynchonwiki.com comme séduisante bouée de sauvetage, bien qu'encore une fois, rien ne soit imposé.

Là où le génie opère : la consistance de l'ensemble ; à mille lieux d'une simple impression de « sampling » **, défaut inhérent à une certaine musique de ce début de millénaire ( souvenez-vous, par exemple, du « Peuple de l'herbe »… ), Pynchon agrège en donnant un caractère statuaire et définitif à l'ensemble, cataloguant-compressant en finalement peu de pages féminisme et libération sexuelle, cause raciale et interrogation de la violence, bourgeoisie haineuse et contre-culture hésitante, livrant à la génération millenium un document possiblement historique, à qui voudrait bien lire, comme d'habitude, entre les lignes, telle une forme sophistiquée de « rétro-prophétisme ».
Oui, oui, rien que ça… ( ne pas oublier qu'on allait lui donner le prix Pulitzer en 74 pour « L'Arc-en-ciel de la Gravité », avant que quelques rabougris pudibonds ne s'y opposent… et ne parlons pas du Nobel… ) Jamais oublier à qui vous avez affaire…

Un véritable trip, porte d'entrée (et de la perception) possible dans l'une des plus grandes oeuvres littéraires qu'il soit, héraut de cette Contre-Culture sans en avoir réellement fait partie… ce grand inconnu que l'on appelle Thomas Pynchon, toujours menaçant le monde de l'une de ses monumentales créations…

* Point « Lynch-Marley » :
tel son cousin le point Goodwin pour ce qui est de son occurence, le point « Lynch-Marley », ( nommé d'après ces deux grands artistes incompris que sont David Lynch et Bob Marley ) désigne tout discours appelant à l'univers supposé du premier, ou bien se référant à ce que fumait le second, soulignant ainsi la faiblesse d'abstraction de l'individu l'employant.
(voir ma critique de « Mantra » par R. Fresan pour une meilleure contextualisation, à travers la préface fumeuse du romancier argentin Alan Pauls )

** le sampling (ou échantillonnage en français) est une technique qui consiste à utiliser une source sonore (beat, voix, etc.) préalablement enregistrée et de l'intégrer dans un autre contexte musical.
Commenter  J’apprécie          11315



Ont apprécié cette critique (108)voir plus




{* *}