Naissance d'un GoncourtYann Queffélec
récit, 2018, Calmann-Lévy, 226p
C'est un récit autobiographique qui rend hommage à
Françoise Verny: elle, alors chez Gallimard, a fait de Yann Queffélec un écrivain, il égale son père enfin ! La mère de Yann avait raison, le garçon avait du talent. Yann a perdu sa mère, rongée par un cancer, quand il avait un peu plus de 18 ans. Elle a compensé, si c'est possible, l'absence d'amour paternel. Son père, qu'il admire, ne l'aime pas. C'est ce qu'il croit. Sa mère, Yvonne Queffélec, les mêmes initiales que lui, lui a aussi donné l'amour de la vie.
A 28 ans, Yann est en deuil. Il fuit, sur son bateau avec deux copains. Mais le bateau, les copains, Yann, sont des bras cassés. La tempête les ramène à Belle-Ile, où un être « corpulent, coiffé d'un zigzag de vinyle ruisselant », lui dit, avec ses yeux « ronds » et « noyés », cette phrase devenue célèbre et assurément le deuxième titre du livre, moins classique, plus percutant : Toi, chéri, tu as une gueule d'écrivain ! A l'époque, l'écrivain écrit de l'inachevé, en fait il n'est pas encore né, c'est
Françoise Verny qui va l'accoucher, c'est une deuxième mère. Et une mère brutasse, vulgaire, « dionysiaque », dit Yann conquis, délaissant son fils
Jean-Pierre , qui offrira un oeuf peint à l'écrivain en devenir, au profit de la littérature. Un personnage haut en couleurs et en clameurs, complètement romanesque, qu'on pourrait croire inventé. Elle est « Soit un éditeur soit une prostituée », et, comme toutes les femmes, elle a des couilles, elle(s) ! le réel déborde la fiction.
On voit alors le monde littéraire, qui n'est pas sympathique ; on côtoie Brigitte Engerer, la femme de Yann, qui prend souvent les avions pour donner des récitals à l'étranger, et l'avion est la phobie de
Françoise Verny qui a peur qu'il lui brise son écrivain. Il s'en est fallu d'un rien. le Concorde n°6 de secours pris un jour de grève a le feu dans les circuits, et Yann son manuscrit des Noces sous sa chemise en sueur. On tient compagnie à Yann, dont l'âme est « en haillons », mais qui raconte avec verve, et autodérision, du fond du coeur et « toujours au service de la vérité dont il sait qu'elle ne ment pas d'une virgule », et dans un style plutôt, trop, facile, sa deuxième naissance. le fait est là :
Françoise Verny tient, mine de rien, même de loin, Yann en laisse, et trouve les mots qu'il faut pour le guider et le stimuler. C'est ainsi qu'il commet un premier roman reconnu, et obtient le prix Goncourt ; et si le père Queffélec est maussade, c'est qu'il est jaloux, dit-elle, qui plus est catho, à la différence de Françoise qui, elle, est catholique. Qui est cette papesse capable de flairer le talent malgré les orgies répétées, et qui ne s'endort pas sans avoir lu la Bible ?
Yann Queffélec offre une galerie de portraits, la mère de Brigitte Engerer, sa première femme, Brigitte Engerer elle-même, le pilote du Concorde. Il peint aussi les salons, décor, ambiance, invités. On se dit alors que la mer, elle, ne triche pas.
Yann Queffélec fait parfois du remplissage, qui a quelque intérêt certes, avec les frères Goncourt, le Concorde, et qui n'en a aucun, avec les passagers de l'avion. Mais cela fait partie de la vie aussi.
Les trois ingrédients de Queffélec sont la violence, la tendresse, et la drôlerie. La violence y est, avec le personnage extraordinaire de
Françoise Verny et le deuil de Queffélec ; la tendresse est là, tout au long du livre. Je ne sais pas si je parlerais de drôlerie : je dirais raillerie plutôt Ca grince, chéri !
Ce n'est pas un grand livre. Mais il découvre un personnage hors-norme et donne envie de lire ses livres ; et la personne de l'écrivain, avec ses fêlures. Et cet écrivain est attachant.