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Critique de Herve-Lionel



N°127
Septembre 1992



PRENDS GARDE AU LOUP – Yan Queffelec (Juillard).


Cela pourrait commencer comme d'habitude : L'histoire se passe aux Angéliques, une maison située quelque part dans le Marais des Sphaignes, c'est à dire exactement « entre Soubise et Niort, deux mille hectares de lagunes par 46°55' de latitude Nord et 2°51' de longitude Ouest » . C'est un pays indistinct et perdu, allez vous dire ! Oui, tout comme celui de l'enfance où s'ébattaient Tony et Maï, sa cousine.

Bien sûr, il est amoureux d'elle et son seul but en ce bas monde est de l'épouser… et tout de suite, malgré leur lien de parenté, malgré leur jeune âge… D'ailleurs, il pense même à demander une dispense au Pape ! Pour le reste, son esprit est hanté par les Smaloks, le refus du lycée et les marais qu'il fait visiter aux touristes sur son bateau baptisé « la souris des mers ». Il refait pour eux le monde à coup de mystères en compagnie de Maï, « sa fée ».

Leurs deux familles, bizarres chacune à leur manière, vivent dans cette maison au bord de l'eau jusqu'au jour où Mamina, la grand'mère, meure, faisant les parents de Toni ses seuls héritiers. Pour épater Maï, que ne ferait-il pas, lui, Toni, surtout qu'il a en face de lui Julius, un antillais aux yeux bleus un tantinet macho (et oui, déjà, malgré son âge), un copain, mais surtout un concurrent. Toni pense toujours la même chose à son sujet : « Il les a toutes eues… toutes il les a eues ou il les aura toutes . » Alors pourquoi pas Maï ?

Coincé entre un père pleutre et une mère abusive, Toni préfère la vie dans la nature, les marais. C'est son contre-poids à lui, avec Maï toujours dans sa tête. Les fantasmes du père et du fils à propos des femmes sont d'ailleurs assez semblables, mais cela ne les rapproche pas, au contraire. Ce père qui délaisse son épouse et préfère la solitude conjugale et domestique dans « l'octroi » pour des raison obscures qu'il lui expliquera « à sa majorité », tout en répétant inlassablement : « Ne t'ai-je pas dit que la mère est sacrée pour l'enfant, pour son fils ! »

A travers Maï, Toni fait l'apprentissage des femmes, un peu comme si, en même temps qu'elle grandissait, lui s'obstinait à s'accrocher à son enfance avec ses rêveries, ses fantasmes, ses phobies… Mais Maï grandit plus vite que lui et se débarrasse de sa mue d'enfant, jetant par-dessus les moulins les atermoiements puérils de son cousin. Bientôt elle mordra dans la vie, deviendra femme… sans lui !

Soudain Toni trouve la solution. « Partir… Partir maintenant… plus d'avenir, plus de métier, partir au hasard… le tour du monde à pied. », mais surtout partir dix ans pour que son absence à lui brise son orgueil à elle. Pourtant il reste, répondant à l'appel du marais qui le retient comme un aimant parce que c'est là son véritable miroir d'âme. Ce lieu lui ressemble tellement, avec ses zones d'ombre et de lumière, ses facettes de mystère et d'évidence. Face à cet univers d'exception, le bac n'a pas beaucoup d'importance et d'ailleurs Toni n'a qu'une idée en tête : « Il tuerait Julius, il épouserai Maï, il hurlerait sa vie comme un triomphe. »

Les interrogations de Toni à propos de Maï sont trop fortes et trop pesantes, comme sa solitude, son amour et son envie d'elle…inassouvis. Ses projets, sans cesse remis à plus tard, ses histoires de filles imaginaires qu'il raconte à un Julius aussi menteur que lui. Avec Maï il joue la comédie tout en gâchant maladroitement ses chances tant il lui est impossible de démêler le vrai du faux. A poursuivre ainsi des chimères, on devient vite un laissé-pour-compte, un raté. Toni le velléitaire, l'obsédé du corps de Maï, le mythomane voit ses rêves s'effondrer à cause de cette femme-enfant (ou de cette enfant-femme) mais c'est pour mieux voir renaître l'espoir d'une autre vie différente de celle de ses parents… Et le fainéant, le rêveur, part à l'aventure pour exorciser ses fantasmes et participe au percement d'un tunnel en montagne et dès lors ne demande au travail que « la pitance et l'épuisement quotidien. ».
On ne peut porter trop longtemps un tel fardeau et la mort et la folie sont là pour l'alléger, le supprimer !

Dans un style d'exception, à mi chemin entre l'argot et la prose poétique, l'auteur tient en haleine son lecteur, avec un texte fait d'espoirs fous, de fantasmes oniriques, de mots incantatoires, de réminiscences incessantes !

© Hervé GAUTIER.
Lien : http://hervegautier.e-monsit..
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