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Critique de jovidalens


Un vase clos comme une jarre, dans le ventre de laquelle toute une micro-société se croise, s'entre-aide, tourne en rond. Une jarre, dont un rayon de soleil vient de temps en temps éclairer le fond. La vie, la lumière sont "dehors". Et eux, ils sont « dedans ». Quelques unes (parce que ce ne sont que les femmes) viennent apporter un peu de...un peu de quoi, au fond ? Un peu des rumeurs du monde extérieur ? ! Un reste d'amour avant qu'il ne s'effiloche comme le bord d'un hamac trop usé ? Et l'auteure, sans mots, fait ressentir leurs difficultés à elles de venir, d'escalader les flans de cette jarre virtuelle pour plonger quelques instants dans son ombre où tournent en rond leurs hommes.

Rachel de Queiroz ouvre son roman par « un éclair maléfique  : rien qu'un seul geste, avec le couteau... ». Dans un bouge, une rixe, un couteau qui jaillit dans une main, un homme éventré au sol et presque simultanément, le meurtrier est empoigné par les policiers et conduit en prison. C'est fulgurant.
Roman court et efficacement construit où l'on apprend à connaître Joao Miguel, comme ses codétenus, à travers quelques bribes de vie.
L'auteure décrit une toute petite communauté à la marge – bien sûr- de la société. Et cette société, comme elle semble démunie, pauvre et fière. Mais tout de même soudée par solidarité ; même le geôlier et les forces de police semblent compréhensives. Cette prison est petite, en mauvais état, héberge les ivrognes parfois, un voleur et quelques meurtriers. Condamnés qui purgent leurs peines et ceux , comme Joao, qui attendent leur jugement.
Surprenante organisation ; c'est une détenue qui assure la cantine, et pour en bénéficier il faut la payer. Ou c'est la famille, les amis qui paient ou le détenu doit se trouver un petit travail. Les prisonniers errent presque librement ; c'est une histoire de confiance entre eux et les forces de l'ordre.
Ce récit est intemporel, il pourrait se passer dans n'importe quelle contrée reculée, lieu de micro-sociétés comme il doit en exister encore, relativement ignorées du rouleau compresseur économique.
Il y a toujours ces maladies d'amour : comment un couple peut-il continuer d'exister quand l'un se retrouve « à l'ombre », et que l'autre doit faire face de nouveau seul, face aux pressions de survivre avec peu de moyens sans le réconfort d'une présence. Très beau passage quand Joao se retrouve seul, que sa Santa ne vient plus. Sa colère ne peut être qu'impuissante et quelle honte d'avouer son abandon devant les autres. Ce serait encore ajouter de la misère à sa misère.
Et ce père qui reçoit sa femme et ses enfants, effondrés mais toujours aimants.
La pauvreté c'est aussi ces couteaux, si prompts à habiter la main de celui qui se sent,, se croit insulté, dans un moment de colère. Même les plus âgés et les moins pauvres s'y laissent piéger.
Tous acceptent leur condition, comme si leur destin était de recevoir aussi stoïquement que possible cette épée de Damoclès qui a fini par leur tomber dessus. Ils n'en apprennent rien et referont le même cheminement qui les a menés au gouffre : il n'y a pas de remise en question. Juste l'acceptation.
Le style de Rachel de Queiroz est dense, c'est un flux rapide et profondément humain. Elle raconte un épisode de vie sans jamais porter de jugement. Elle laisse entendre la pensée du personnage, avec ses moments d'effondrement. Peu le joie et pourtant, ce n'est presque pas important parce que la vie c'est aussi comme ça.

Ce livre c'est aussi à travers le temps la rencontre de cette belle littérature brésilienne du début du vingtième siècle et d'un illustrateur contemporain. Les illustrations d'André Diniz peuvent faire penser au style de Frank Miller par la maîtrise du noir et blanc, mais il y a plus de rondeur, de fluidité chez Frank Miller que dans le trait d'André Diniz. André Diniz donne l' impression que le dessin est gravé, gravé habilement et profondément à coups de serpe dans un matériau dur, comme un des personnages de « Joao Miguel » prisonnier condamné qui sculpte des ex-votos dans un morceau de bois. Cela correspond bien à l'écriture de Rachel de Quiroz qui décrit des hommes dont on ne voit pas d'évolution possible : ils sont taillés de toute pièce dans la rigueur de leur vie.
André Diniz c'est aussi un style quelque peut « Art Déco » , qui évoque les décors du film « Le cabinet du Docteur Caligari » ou certains dessins dadaïstes. Des illustrations tout à fait en accord avec l'histoire racontée dans ce roman.

Belle découverte d'un grand écrivain brésilien que je ne connaissais pas encore. Merci Babelio et merci aux Editions Anacaona de l'avoir proposé en Masse Critique.
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