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Paul Teyssier (II) (Traducteur)
EAN : 9782906462748
796 pages
Editions Chandeigne (23/02/2000)
4.2/5   84 notes
Résumé :
Jorge Luis Borges considérait Eça de Queiroz comme «un des plus grands écrivains de tous les temps» : Les Maia, paru en 1888, est indubitablement son chef-d’œuvre. Il appartient au genre des romans «cycliques» où l’on suit le destin non seulement d’une personne, mais d’une famille, précédant ainsi Les Buddenbrooks de Thomas Mann et la Forsyte Saga de Galworthy.

Le nœud de l’action est une sulfureuse histoire d’amour dans le goût romantique, mais le gr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (17) Voir plus Ajouter une critique
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J'ai un faible pour cette littérature du 19ème voire début du 20ème siècle. C'est elle qui nous a donné nos bases littéraires et qui nous a permis, ainsi, de construire notre personnalité de lectrice ou de lecteur. Que ce soit en littérature, en poésie, au théâtre, cette période possède un immense foisonnement de styles différents où nous pouvons choisir entre le romantisme, le symbolisme, le naturalisme, le réalisme ou de « tout un peu ». Mais ce qui avant tout, à mes yeux, guide mon choix, c'est la qualité de l'écriture de tous ces ouvrages.

Depuis un certain temps, je cherchais à approfondir ma connaissance de la littérature portugaise. Quelle ne fut pas ma surprise de lire un billet élogieux de « Oiseaulire » suivi de celui de « PhilippeCastellain » sur le chef d'oeuvre d'Eça de Queiros « Les Maia », paru en 1888.

Ce fut un bonheur de lecture ! Je me suis laissée bercer et envouter par le style d'Eça de Queiros à la fois lyrique et ironique, d'une très grande élégance. le rythme est lent, il se savoure. En fin observateur, il analyse la société portugaise pendant la période de la « Régénération ». Son regard se fait critique et humoristique. Il raille avec intelligence aussi bien l'aristocratie que la bourgeoisie, la classe politique que l'église. Il pointe de la plume la décadence de ce pays vermoulu (c'est ce qu'il fait dire à l'un de ses personnages) entre la religion et la monarchie avec l'espoir d'élever le niveau de la politique. Les dialogues, dans ce livre, définissent Eça comme un libéral qui aurait aimé faire bouger les lignes de cette société repliée sur elle-même dont la classe aisée s'adonne à l'oisiveté, la classe politique au dilettantisme, trop occupée ou préoccupée par les histoire d'adultère et les secrets d'alcôve qui vont avec.

Cet extrait du livre donne le ton :

« Et du génie ! s'écria Carlos. Délicieux, n'est-ce pas ? Dites-moi donc si tout ce que je pourrais faire pour la civilisation ne vaudra jamais ce plat d'ananas ? C'est pour ces choses là que je vis ! Je ne suis pas né pour contribuer à la civilisation.- Tu es né, répliqua Ega, pour cueillir les fleurs de cette plante de civilisation que la foule arrose de sa sueur ! Au fond mon vieux, moi aussi ! »


Eça fut tour à tour journaliste puis diplomate. de ses voyages, il rapportera des éléments de comparaison qui l'autoriseront à porter ce regard critique sur son pays qu'il concrétisera par l'écriture de la saga familiale des Maia. D'abord le grand-père, Afonso de Maia, vieille aristocrate terrien, grand libéral devant l'Eternel, et surtout Carlos Eduardo Maia, son petit fils qui sera la personnalité majeure autour de laquelle, se déroulera tout le roman sans oublier la belle ville de Lisbonne. Toutes les personnes évoluant dans l'entourage de la famille Maia sont toutes parfaitement dessinées avec leurs individualités ce qui donne un aperçu de la société lisboète de cette époque.

Mais ce qui m'a le plus touchée, c'est l'écriture qui restitue parfaitement les émotions, les états d'âmes, l'intensité du bonheur de vivre, la captation de la pensée qui accompagne l'apparition du véritable amour quand bien même celui-ci se révèle impossible.

Ah un seul bémol : je ne connais rien à l'Histoire du Portugal, j'ai souvent dû me reporter à mon smartphone pour mieux comprendre le contexte, ce qui est un peu gênant.

Mais je vous laisse découvrir ce chef d'oeuvre de la littérature portugaise qui a bénéficié d'une excellente traduction de Monsieur Paul Teyssier.

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Deuxième rencontre pour moi avec l'immense écrivain lusitanien, le Balzac de Lisbonne, le Zola des rives du Tage : j'ai nommé José-Maria de Eça de Queiroz ! On applaudit bien fort s'il vous plaît. En me l'offrant, mon frère m'avait bien précisé : « tu verras, il essaye de faire de la tragédie mais il n'y arrive pas ».

Et on ne saurait mieux résumer. Son écriture fluide et élégante met en scène l'aristocratie et le plus beau monde du Portugal, que pourtant un cheveu sépare des cocottes, des décavés et des traîne-savates sans le sous. Ce petit monde se côtoie, se mêle, flirt, couche, ragote, calomnie. Une matière de premier choix pour mettre peu à peu en place une terrible situation ne pouvait déboucher que sur un magnifique et dramatique dénouement. Et pas à dire, il se donne un mal fou.Mais à chaque fois… Cela se transforme en farce. On sent que c'est plus fort que lui. On l'imagine derrière sa table, mettant peu à peu place son engrenage fatal, se répétant :  « allez, cette fois ça finira mal et ça fera pleurer dans les chaumières, paroles d'athée ! »

Et puis au dernier moment un petit événement bassement terre à terre vient briser la solennelle Noirceur et la grandiose Ignominie du moment et plouf, l'offenseur s'humilie dans une lettre d'excuse pour échapper au duel, mais en prenant le temps de vérifier l'orthographe des mots, et il faut bien courir derrière le tramway pour l'attraper si l'on ne veut pas rentrer à pieds. Caramba (ou sa version portugaise) encore raté ! Qu'on imagine Monsieur Bovary dire à son épouse : « ma chère, vous partez vivre un mois avec des métayers et arracher des patates, si après cela vous voulez toujours partir avec votre amant, vous ferez comme bon vous semble » !

On range généralement Eça de Queiroz dans la catégorie des romanciers naturalistes. Un naturaliste oui, mais qui aurait fait sienne la fameuse phrase de Shakespeare : la vie n'est pas une tragédie, c'est une farce bouffonne ! »
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Il m'a fallu un challenge pour m'attaquer à ce pavé de 800 pages que j'avais depuis longtemps sur mes étagères (il m'avait été offert) mais qui ne m'attirait pas du tout. Et pourtant quel roman à la fois roman d'amour, saga familiale, intrigues, rebondissements, chronique d'une époque, d'un pays : le Portugal, d'une ville : Lisbonne, d'une classe sociale : la bourgeoisie aristocratique et artistique mais qui pressent par certains signes qu'une page est en train de se tourner sans oublier l'écriture.

Dites-mois, mes enfants, si l'on trouve encore des gens comme ces Maia, de ces âmes de lion, généreuses et brave ! Tout semble mourir dans ce malheureux pays !...  L'étincelle a disparu, la passion a disparu.... (...) Sapristi, il fait noir que dans mon âme. (p761)

Fin du XIXème siècle - Carlos, dernier descendant de la famille Maia, personnage central du roman, a été élevé par son grand-père, Alfonso, et a bénéficié d'une enfance choyée malgré la perte de ses parents : son père s'est suicidé peu après la disparition de sa femme alors qu'il n'avait que quatre ans. Carlos devient médecin et envisage son avenir entre un cabinet médical et l'écriture de récits sur la médecine. Il noue avec Ega (dans lequel l'auteur s'est transposé semble-t-il) une amitié forte, celui-ci étant écrivain et poète, partageant avec lui espoirs, pensées et questionnements mais également leurs vies de jeunes hommes célibataires faites de soirées à refaire le monde et en particulier d'imaginer leur pays évoluer car ils le trouvent le plus souvent assez arriéré par rapport à d'autres et sur tous les points de vue. Et puis il y a les femmes et chacun va vivre des histoires plus ou moins légères jusqu'à une rencontre où le destin de Carlos (mais également Ega) et de sa famille va chaviré. Fin d'une dynastie, fin d'une époque celle de la légèreté et de l'insouciance.

Malgré la longueur et peut-être parce que j'ai un attrait pour la littérature anglaise dont l'auteur était friand, j'ai pris plaisir à arpenter les rues et les belles résidences de Lisbonne, participant à un bal costumé ou à une course hippique qui ne sont prétextes qu'à règlement de comptes entre gens de la bonne société. Les personnages sont très représentatifs du milieu avec ce qu'il faut de désoeuvrement pour ceux qui ont tout reçu à la naissance, d'intrigues et de coups bas pour ceux qui rêvent de grimper l'échelle sociale sans compter les rivalités artistiques et conquêtes sentimentales dont  les femmes mariées sont la cible privilégiée du groupe d'amis (peut-être parce qu'il n'était ainsi pas question d'engagement), les cantonnant le plus souvent à des rôles de séductrices, frivoles même si certains prennent des positions opposées :

C'était à propos de la femme du secrétaire de  la légation de Russie (...) le comte, qui l'admirait aussi, vantait surtout son esprit et sa culture. Défaut fâcheux, selon Ega, car le devoir d'une femme est d'abord d'être belle et ensuite d'être stupide. Aussitôt le comte affirma avec exubérance que lui non plus n'aimait pas les femmes savantes ; oui, la place de la femme est près du berceau, non dans le bibliothèque.... (p452)

Je ne connaissais même pas de nom J.M. Eça de Queiros (1845-1900) qui fut avocat et diplomate mais également écrivain, une
des grandes plumes de la littérature portugaise, admiratif de Victor Hugo et de la littérature anglaise et de ses codes (le check-hand est très souvent cité dans le roman)  et je dois avouer que j'ai mis, un peu de temps à le lire, pas par manque d'intérêt car j'y revenais avec plaisir mais parce qu'il aborde de nombreux sujets et qu'il demande une certaine concentration par la présence de nombreux personnages en particulier dans la "société" amicale-artistique-politique et bien séante de la vie portugaise en cette fin de siècle. Certaines épisodes sont très longuement narrés : le bal masqué et la course hippique par exemple. Au niveau du thème, on pourrait faire le rapprochement avec le Guépard dans lequel il est également question de la fin d'un monde, celui des Salina et j'ai particulièrement aimé le personnage du grand-père, Alfonso, tendre et diplomate.

Dans une écriture élégante, descriptive mais très fluide, l'auteur règle ses comptes à la fois avec son pays mais également avec une société en mettant en évidence ses travers, en s'amusant presque à la manière d'un vaudeville des situations grotesques de chacun. S'il fait de Carlos de Maia son héros c'est finalement Ega qui se fait l'observateur privilégié d'un monde en décadence même si lui-même vit et participe à ce drame à travers un amour impossible. C'est un roman ambitieux qui explore la conscience de ses personnages, les confrontant à des choix cornéliens et une très belle histoire d'amour impossible sans oublier le contexte politique de l'époque :

Dans ce pays béni, tous les politiciens on un "immense talent". L'opposition reconnaît toujours que les ministres qu'elle couvre d'injures ont, en dehors des qu'ils font, "un talent de premier ordre !" Inversement la majorité admet que l'opposition, à qui elle reproche constamment les bêtises qu'elle a faites, est pleine de "très robustes talents !". Mais tout le monde est d'accord pour die que le pays est dans le gâchis. Il en résulte une situation ultra-comique : un pays gouverné par un "immense talent" qui, de tous les pays d'Europe, est, de l'avis unanime, le plus stupidement gouverné ! Je fais une proposition : comme les talents échouent toujours, essayons une fois les imbéciles ! (p619)

Un petit regret : dès le début j'ai pressenti ce qui allait se jouer en fin de roman,  mais connaissant peu la littérature portugaise et l'histoire de ce pays, ses codes et univers, j'ai pris plaisir à suivre les états d'âme des protagonistes avec ce qu'il faut de rebondissements, d'aventures, de quiproquos, de mensonges et d'aveux qui font de ce roman une fresque familiale avec en toile de fond le Portugal de la fin du XIXème siècle, dont on sent que bientôt il devra par la force des choses, comme dans d'autres pays, se résoudre à un autre devenir loin des acquis et privilèges, de la légèreté de certaines classes mais dont l'auteur annonce également son manque d'ambition et l'image qu'elle offre au monde.

J'ai beaucoup aimé pour l'écriture, son élégance, pour sa richesse de thèmes, son apparente légèreté qui se révèle un pamphlet d'une société et d'une époque et parce que je m'aperçois que les personnages et l'ambiance restent profondément présents en moi. 
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Les deux thèmes de prédilection d'Eça de Queiros sont indiscutablement la conscience humiliée des Portugais à l'égard de leur pays en cette seconde moitié du 19ème siècle et la passion amoureuse, surtout impossible.

Dans les salons de l'aristocratie lisboète, il est beaucoup question de l'apathie qui s'est abattue sur le pays et a stérilisé ses ressources : sans talents politiques novateurs, sans richesses appréciables malgré d'immenses colonies, incapable de développer une agriculture florissante ou une industrie viable, sans génie artistique, le Portugal vit d'emprunts qui vont le conduire à la banqueroute et pour tout le reste à la traîne de l'Europe, imitant les pays plus dynamiques jusque dans ses sociétés philanthropiques et ses manifestations sportives ; inapte aux vrais raffinements de civilisation, il échoue même à sauvegarder sa propre culture, qui se limiterait aux lâchers de taureaux dans les rues. Mélancoliques et indolents, ces messieurs en viennent à souhaiter mezza voce une mise sous tutelle espagnole et se laissent sombrer avec majesté et fatalisme en confiant leurs affaires aux régisseurs et aux banquiers.
Pour le reste, ce qui occupe cette classe oisive et encore privilégiée, c'est l'amour, bien sûr, grande affaire quand on n'a rien à faire : l'amour comme passe-temps, de préférence adultère, l'amour de scandale et de routine, mais aussi l'amour passion, l'amour fou, l'amour pour lequel on est prêt à sacrifier son avenir. Dans l'intrigue d'Eça de Queiros surgit toujours un obstacle au bonheur des amants, infranchissable : jamais celui que l'on voit se profiler, mais toujours pire. Je n'en révèlerai pas davantage.
Le style est extrêmement agréable, fluide et classique mais très alerte, souvent malicieux. La description de la nature portugaise (on a envie de partir pour Sintra toutes affaires cessantes) et des intérieurs est exquise. Les personnages ont un relief qui les fait vraiment exister, on a l'impression de connaître Alfonso, Carlos, Ega.
Queiros est considéré comme appartenant au mouvement littéraire naturaliste : "Les Maïa" comportent d'ailleurs de nombreuses polémiques opposant les personnages sur leur conception de l'art. Mais il ne s'agit pas du naturalisme d'Emile Zola dans "L'assommoir" ou "La terre", mais d'une forme plus proche de celle de Flaubert ou Maupassant.
Une très belle découverte pour moi, tout comme "La tragédie de la rue des fleurs", lue précédemment.
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J'avais depuis très longtemps envie de relire ce classique de la littérature portugaise qui avait marqué mes années étudiantes. Je relis peu (quasiment jamais), sans doute par peur d'écorcher les souvenirs enflammés que je garde d'un roman. Pourtant 27 ans après j'ai redécouvert Les Maia et le plaisir a été le même.

Publié pour la première fois en 1888, Les Maia est l'un des romans les plus connus de l'écrivain Eça de Queiroz.
L'auteur nous raconte la vie d'une famille portugaise à la fin du XIXe siècle mais dépasse la simple saga familiale pour faire la critique de la société de son temps.

Au centre de ce roman, on trouve l'histoire d'une famille sur trois générations ; le patriarche, Afonso Maia, son fils Pedro et son petit-fils, Carlos. C'est sur cette dernière génération que va se concentrer une grande partie du livre en mettant l'accent sur les amours incestueuses de Carlos da Maia et Maria Eduarda.

Cette intrigue sentimentale aux accents de tragédie grecque est encadrée par une critique socio-politique d'un pays sombrant dans la léthargie de la monarchie constitutionnelle.
Le roman tourne à la chronique de moeurs. Avec une rigueur photographique l'auteur dépeint la haute société lisboète, la mentalité de la bourgeoisie portugaise du XIXe siècle, la situation décadente du pays (sur le plan politique et culturel). Tout cela est imprégner d'un humour très fin qui dessine la défaite et la désillusion des personnages.
Le temps d'un repas, d'une soirée littéraire, d'un voyage à Sintra, on découvre les détails de la vie quotidienne de cette bourgeoisie oisive et les discussions entre les personnages sont un délice d'ironie et de dérision.

Les personnages sont une des grands réussites du roman. On se régale de la causticité de João da Ega (peut-être une représentation de l'auteur lui-même), de la lâcheté et des mensonges de Dâmaso qui rassemble tous les vices de la société ou, au contraire, de la dignité et du bon goût de l'anglais Craft, représentatif de la supériorité économique et culturelle britannique de l'époque. Je regrette simplement que les personnages féminins soient toujours marqués par une forte image de péché et de destruction.

Roman réaliste et naturaliste, « Les Maia » est plus qu'une histoire d'amour tragique, c'est le roman d'une société vouée à l'échec par l'inertie et l'incompétence.

Traduit par Paul Teyssier
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critiques presse (1)
Telerama
11 juillet 2019
Une immense saga dans laquelle on découvre Lisbonne à la fin du XIXe siècle, à travers l’itinéraire tumultueux de Carlos da Maia.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (26) Voir plus Ajouter une citation
L'aïeul dont les yeux brillaient maintenant de tendresse devant ses roses, et qui au coin du feu se plaisait à relire son Guizot, avait été pendant quelques temps, selon son père, le plus farouche jacobin du Portugal. Et pourtant la fureur révolutionnaire du pauvre jeune homme avait seulement consisté à lire Rousseau, Volney, Helvétius et l'Encyclopédie, à faire partir des fusées à étoiles en l'honneur de la Constitution et à arborer un chapeau de libéral et une haute cravate bleue en récitant dans les loges maçonniques d'abominables odes au Suprême Architecte de l'Univers. Mais cela avait suffi à indigner son père. Caetano da Maia était un vieux et fidèle Portugais qui se signait au nom de Robespierre et qui, dans son apathie d'aristocrate dévot et valétudinaire, n'avait plus qu'un sentiment vivace : l'horreur, la haine du Jacobin à qui il attribuait tous les malheurs, ceux de la patrie et les siens propres, depuis la perte des colonies jusqu'à ses attaques de goutte. Pour extirper le jacobinisme de la nation, il avait donné son cœur à l'Infant Don Miguel, Messie puissant et restaurateur providentiel… Et avoir justement pour fils un Jacobin lui paraissait une épreuve comparable seulement à celle de Job.
Au début, dans l'espoir que le jeune homme s'amenderait, il se contenta de lui montrer un visage sévère et de l'appeler d'un ton sarcastique "citoyen". Mais quand il sut que ce fils, son héritier, s'était mêlé à la foule qui, en une nuit de fête civique et de lampions, avaient jeté des cailloux dans les vitres éteintes de l'ambassadeur d'Autriche, envoyé de la Sainte-Alliance, il considéra ce garçon comme un Marat, et toute sa colère éclata. La goutte cruelle qui le clouait dans son fauteuil ne lui permit pas de rosser le franc-maçon avec sa canne des Indes, à la façon d'un vrai père portugais. Mais il décida de le chasser de chez lui sans pension ni bénédiction, en le reniant comme un bâtard. Ce franc-maçon ne pouvait être de son sang !


Pages 29 et 30.
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Elle était vraiment comme la déesse qu'il avait imaginée : sans contact antérieur avec la terre, elle était descendue de son nuage d'or pour venir chercher, dans cet appartement meublé de la rue Sao Francisco, son premier tressaillement humain.

Dès la première semaine des visites de Carlos, ils avaient parlé d'affections. Elle croyait candidement qu'il pouvait y avoir, entre une femme et un homme, une amitié pure et immatérielle faite de l'aimable concordance de deux esprits délicats. Carlos jura qu'il avait foi lui aussi en ces belles unions, toutes d'estime et de raison pourvu qu'on y mêlât, si légèrement que ce fût, une pointe de tendresse….. Cela les parfumait d'un grand charme et n'en diminuait pas la sincérité. Et par ces mots un peu vagues, murmurés entre les points de la broderie avec de longs sourires, il avait été subtilement établi qu'il ne devait y avoir entre eux qu'un sentiment semblable, chaste, légitime, plein de douceur et dépourvu de tourments.

Peu importait à Carlos! Pourvu qu'il pût passer cette heure-là dans le fauteuil de cretonne à contempler Maria qui brodait et à causer de choses intéressantes, ou rendues intéressantes par la grâce de sa personne, pourvu qu'il vît son visage, légèrement rougissant, se pencher, avec la lente attraction d'une caresse, sur les fleurs qu'il lui apportait , pourvu que son âme fût bercée par la certitude que la pensée de Maria l'accompagnait avec sympathie à travers sa journée, dès qu'il quittait cet adorable salon de reps rouge, son cœur était merveilleusement satisfait.


Pages 413/414
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Alors tandis qu'ils suivaient ce long Aterro, si triste dans l'obscurité sous les becs de gaz endormis qui brillaient en file comme à l'enterrement, Alencar se mit à parler de la "grande époque" de sa jeunesse et de la jeunesse de Pedro. Et à travers le lyrisme de ses phrases, Carlos sentait monter comme le parfum suranné d'un monde défunt….. C'était le temps où les jeunes gens conservaient encore un peu de l'ardeur des guerres civiles. Pour la calmer, ils allaient en bande écumer les cafés, ils crevaient de méchants chevaux de trait en galopant jusqu'à Sintra. Sintra était alors un nid d'amoureux. Sous ses ombrages romantiques, les nobles dames s'abandonnaient aux bras des poètes. Elles étaient toutes des Elvire ; ils étaient tous des Antony. L'argent abondait. La Cour était gaie. La Régénération, lettrée et galante, allait relever le pays, ce beau jardin de l'Europe. Les bacheliers arrivaient de Coimbra tout frémissants d'éloquence. Les ministres de la couronne chantaient au piano. Le même souffle lyrique gonflait les odes et les projets de loi…

- Lisbonne était bien plus divertissante dit Carlos,
- C'était autre chose, mon petit Carlos! On vivait! On ignorait ces grands airs scientifiques, ce charabia philosophique, ces blancs-becs positivistes! …. Mais on avait du cœur, mon garçon, on avait de la flamme! Même en politique! ….Regarde cette saloperie d'aujourd'hui, cette bande de fripouilles…. En ce temps-là, on allait à la Chambre et on y sentait l'inspiration, on y sentait le trait de génie!.....On voyait de la lumière sur les fronts!..... Et puis, mon garçon, il y avait des femmes rudement jolies.

Pages 208/209
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Dans ce pays béni, tous les politiciens on un "immense talent". L'opposition reconnaît toujours que les ministres qu'elle couvre d'injures ont, en dehors des qu'ils font, "un talent de premier ordre !" Inversement la majorité admet que l'opposition, à qui elle reproche constamment les bêtises qu'elle a faites, est pleine de "très robustes talents !". Mais tout le monde est d'accord pour die que le pays est dans le gâchis. Il en résulte une situation ultra-comique : un pays gouverné par un "immense talent" qui, de tous les pays d'Europe, est, de l'avis unanime, le plus stupidement gouverné ! Je fais une proposition : comme les talents échouent toujours, essayons une fois les imbéciles ! (p619)
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- Alors que lui apprendriez-vous, monsieur le curé, si je vous confiais cet enfant? Qu'il ne faut pas voler l'argent dans les poches des autres, ni mentir, ni maltraiter les inférieurs, parce que c'est contraire à ce que prescrit la loi de Dieu et que cela conduit en Enfer? Hein, c'est cela ?
- Il y a autre chose...
- Je sais. Eh bien, tout ce que vous lui apprendriez à ne pas faire parce que c'est un péché qui offense Dieu, il sait déjà qu'il ne faut pas le faire parce que c'est indigne d'un homme bien élevé et d'un homme de bien...
- Mais, monsieur...
- Ecoutez, monsieur le curé, toute la différence est là. Je veux que cet enfant soit vertueux par amour de la vertu, et honnête par amour de l'honneur; et non parce qu'il a peur des chaudières du Diable ou qu'il poursuit l'appât du royaume des Cieux...
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