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sur 1019 notes
Rentrée littéraire 2021 #37

Ben je me suis régalée ! Cela fait longtemps que je n'avais pas lu un livre aussi enjoué et intelligent ! Abel Quentin propose une radiographie affutée et éclairée, terrifiante de justesse aussi, sur les évolutions de notre société entre crise de l'universalisme, mutations générationnelles, dérives identitaires et violences des lynchages sur les réseaux sociaux.

Le narrateur, Jean Roscoff, est l'antihéros par excellence : fils des années 1980 et de la gauche mitterrandienne, il a connu la Marche des Beurs, l'antiracisme à la papa avant de foirer sa carrière universitaire avec un livre raté sur les époux Rosenberg. La soixantaine tassée, il publie chez un éditeur confidentiel un livre sur un très très très méconnu poète américain communiste qui s'est tué dans l'Essonne en 1960 après avoir fréquenté Sartre and co. Sujet a priori inoffensif ... sauf que Jean Roscoff a une constance remarquable à opter pour les mauvais choix et à faire n'importe quoi, son alcoolisme avoué ne l'aidant pas à éviter la récidive. Sauf qu'en 2021, un mot suffit pour un départ de feu immédiat. La mécanique dévastatrice de la polémique moderne se met en branle.

Le truculent Jean Roscoff évoque irrésistiblement les personnages de Philip Roth ou de J.-M. Coetzee ( celui de la Disgrâce notamment ) : des hommes dont la vie est faite, les combats menés, piégés dans leur époque, incompris par leurs contemporains. Abel Quentin a un talent de satiriste évident. Avec un humour très présent et rythmé, il croque notre époque avec une acidité qui appuie là où ça fait mal : les milieux littéraire et universitaires, et surtout la collision générationnelle à l'oeuvre dans la woke culture.

Depuis la Marche des beurs, le vocabulaire de l'antiracisme a changé et le narrateur ne les maitrise pas : « racisé », « privilège blanc », « appropriation culturelle », « intersectionnalité », lui dont le logiciel est profondément universaliste. Lui qui se définit comme progressiste n'est plus qu'un boomer mâle blanc clashé par la jeune génération ultra militante, excessive dans sa bonne foi, sans indulgence ni nuance.

Ce qui est très fort, c'est que malgré sa casquette de satiriste quasi houellecquienne, jamais Abel Quentin ne sombre jamais dans le brûlot méchant. Il souligne juste les excès de certains activistes à s'enfermer dans une communauté, à jubiler de façon malsaine dans une campagne de shaming après avoir sonné l'hallali pour ostraciser l'ennemi désigné avant de passer au suivant . Au contraire, il invoque les figures tutélaires de James Balwin ou Frantz Fanon, qui combattaient farouchement le racisme sans jamais se complaire dans la peau de la victime et surtout avec,en tête, le projet de faire société.

Un roman dense, enlevé par une hauteur de vue remarquable et un sens de l'intrigue impeccable, jusqu'à un réjouissant épilogue en ironique clin d'oeil.
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Jubilatoire ! Féroce ! Férocement jubilatoire ! Pourtant la couverture n'attire pas vraiment l'oeil, le titre encore moins…mais oui, ce livre est tout simplement un régal, il est excellent ! J'ai ri, parfois aux éclats.

Abel Quentin, dans un ton enjoué, sarcastique et vif, découpe finement au scalpel l'évolution de la lutte antiraciale et, par là même, celle de notre société, ses travers, ses évolutions générationnelles, ses mutations professionnelles, ses moyens de communication incontrôlables parfois dévastateurs. Sa soif absolue de vérité, d'égalité et de justice aussi qui engendre une forme d'intransigeance et des codes qu'il est facile d'outrepasser quand on ne les comprend pas, précisément, ces codes. C'est d'une justesse incroyable et ce n'est pas que jubilatoire…c'est drôlement instructif. A présent le wokisme n'a plus de secret pour moi !

Jean Roscoff, bedonnant universitaire retraité, bien porté sur la bouteille, politiquement à gauche comme en atteste indéniablement, pense-t-il, ses engagements à SOS Racisme dans les années 80, va s'attirer les foudres des wokes sur les réseaux sociaux. Les wokes, les «éveillés », les « conscientisés », celles et ceux qui sont conscients des injustices subies par les minorités, qui font de cette conscience un militantisme contre toute forme d'appropriation culturelle. L'insupportable petite amie de sa fille, Jeanne, est précisément woke et nous le savons dès la première phrase du livre :

« Nous sommes tous des enfants d'immigrés »… Ça veut dire quoi, ça ? Vous pensez vraiment que vous pouvez ressentir le dixième de ce que ressent un immigré ? Vous ne pensez pas qu'il était temps de les laisser parler, les « enfants d'immigrés » ? de ne plus confisquer leur voix ? Jeanne, la nouvelle copine de ma fille avait un regard dur, la bouche pincée. Elle me faisait penser à une puritaine qui aurait vécu dans l'Iowa, disons, en 1886. Sa mâchoire était contractée sous l'effet d'une souffrance continue".

Donc les wokes vont le clouer au pilori suite à son essai intitulé justement « le voyant d'Étampes » et portant sur un poète américain, un dénommé Robert Willow. Exilé en France dans les années 60 suite à la vague du Maccarthysme, ce poète aura côtoyé la bande de poètes communistes, notamment Jean-Paul Sartre, avant de s'isoler en banlieue parisienne, à Étampes, et de se tuer dans un accident de la route. Jean Roscoff, qui a le don de se passionner pour des sujets qui n'intéresse personne, va ainsi écrire un essai sur ce poète. Il espère que cet essai va lui permettre d'atteindre enfin une forme de renaissance, une reconnaissance sur le tard. Il relate donc avec passion l'engagement communiste du poète. Sa distance et son isolement ensuite.Sa poésie presque médiévale. Sauf que Roscoff néglige un détail, un petit détail : le poète était noir. L'universitaire voit avant tout en effet le poète exilé, il voit l'homme, sa solitude, ses errances, et ne pense pas à le définir par son identité raciale, car c'est réellement un détail pour lui. Sauf que pour les wokes, ça veut dire beaucoup. Et voilà notre homme renvoyé à son état d'homme blanc qui s'arroge le droit de s'accaparer l'identité de l'homme noir, de l'effacer, de le rendre invisible…Voilà ce que Jean Roscoff découvre, sonné, au lendemain de la sortie de son livre et de son intervention dans un petit bar confidentiel :

« La couleur de la peau du poète semble une contingence trop vulgaire, une précision inutile. le poète selon Roscoff est un ange, un être séraphique qui plane, gracile, au-dessus de son temps. Mais peut-on séparer l'oeuvre des circonstances dans lesquelles elle a vu le jour ? À certains moments, le déni ressemble furieusement à la mauvaise foi. (…) Déni, vraiment ? Il est permis de se poser la question ».

Cette critique va devenir affreusement virale…et Abel Quentin de nous en expliquer l'engrenage implacable. Engrenage des réseaux sociaux et de la sphère médiatique entre les dents duquel va se faire broyer Roscoff accusé d'une chose qu'il ne connait pas : l'appropriation culturelle… Cette critique aura le mérite d'ébranler les certitudes de notre homme (est-il raciste au fond ? quelles sont les raisons profondes de son adhésion à SOS racisme dans les années 80 ? N'a-t-il pas écrit l'histoire de ce poète à l'aune de ses propres biais, avec ses lunettes et son obsession du communisme aux États-Unis sans réaliser que, peut-être, Willow fuyait également la ségrégation raciale ?) avant de le faire chuter encore plus bas qu'il n'était déjà…ce petit blog sans danger n'étant finalement pas une goutte de fiel dans le néant comme il a cru au tout début.

Le décalage de ce sexagénaire avec les codes, les prises de positions et les vérités péremptoires de la jeune génération est radiographié avec un mordant et une justesse impitoyable. L'auteur appuie avec délectation là où ça fait mal et dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas de peur d'être voués aux gémonies…Cette crainte aujourd'hui, cette hésitation entre le silence sur le genre ou la race car cela nous apparait soit sincèrement secondaire, la personne important avant toute chose et ne peut être réduite justement à son genre, sa race, soit gênant ; ou au contraire la mise en valeur de ces éléments contextualisant et expliquant un parcours…Tiraillements entre des injonctions contradictoires…Je comprenais Jean tout comme j'ai aimé sa façon bougonne de se remettre en question. C'est la grande force du livre : s'il montre les hussards du wokisme d'un oeil impitoyable, il ne leur donne pas tort non plus. Il illustre le décalage de ton, l'évolution de la lutte anti-raciste qui est plus subtile aujourd'hui qu'un simple « Touche pas à mon pote ».
Sa détresse de ne plus comprendre dans quel monde il vit, de ne plus avoir les codes, de se marginaliser peu à peu, est particulièrement touchante.

« On ne dira jamais assez le vertige de celui qui réalise qu'il n'est plus dans le coup. Quelques individus de ma génération compensaient ce vertige par le fait qu'ils étaient en responsabilité. Ils avaient encore prise sur quelque chose, un travail, une tribune, un engagement associatif. Ils étaient encore, du point de vue économique, du point de vue du pouvoir, dans le jeu. Dans le game, aurait dit Léonie ».

Quant au style, Abel Quentin a un talent certain. Il a notamment une façon de croquer ses personnages tout à fait truculente, sans jamais tomber dans la caricature, c'est un régal et témoigne d'une grande finesse d'observation…tout comme l'est celle de résumer un milieu, que ce soit le milieu universitaire (des passages d'anthologie), le milieu professionnel du coaching…

« le jeune dandy à crinière n'était plus. Quelques vestiges perpétuaient son souvenir : lippe charnue, sourcils épais et regard bleu horizon. Pour le reste, je ne me faisais pas d'illusion. J'étais un sexagénaire aux jambes maigres, avec une bedaine ; morphologiquement, je ressemblais à un poulet-bicyclette »

« La fac était le décor familier qui me déprimait autant qu'il me rassurait et c'était celui des ensembles en béton, de la morgue intellectuelle, des rétributions symboliques, des cols roulés, des publications pointues, des colloques jargonneux, des photocopieuses en panne, des jeux de pouvoir invisibles, ascenseurs vétustes et amiantés, chapelles, culte des titres, grades, étudiants chinois effarés, acronymes mystérieux, baies vitrées sales, syndicats sourcilleux, cartons de tracts crevés, tags fripons dans les chiottes, c'était cette vieille ruine au charme inaltéré : l'Université. J'y avais passé près de quarante ans, elle ne m'avait pas ouvert les portes aussi grandes que je l'aurais souhaité, elle m'avait déçu mais enfin c'était mon monde, mon environnement naturel ».

Il m'est d'avis que ce mot de woke, dont nous entendons beaucoup parler, va certainement rentrer dans le dictionnaire prochainement tout comme a été sacralisé le mot cluster. En attendant soyez éveillés et conscients d'avoir là un livre à ne surtout pas manquer, plongez dans ce livre qui vous donnera quelques courbatures aux zygomatiques, aucune hésitation, vous ne commettrez ainsi aucun impair !!


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Débordé par sa gauche !
Un comble pour Jean Roscoff, universitaire retraité qui croyait que ses engagements à SOS Racisme dans les années 80 lui valaient une immunité réactionnaire, touche pas à mon rosier et qui va se faire électrocuter sur les réseaux sociaux, bouc des émissaires woke.
L'objet de la vindicte indigéniste ? Un essai sur un poète américain qui s'exila en France dans les années 60, qui côtoya une intelligentsia parisienne déboussolée par le stalinisme, avant de se tuer dans un accident de la route près de sa retraite d'Etampes.
De quoi déchainer les passions… de la famille de l'auteur et d'étudiants binoclards avec des vestes en velours. Que nenni, le monnde hennit. Ce pauvre Jean Roscoff, plus spiritueux que libidineux a négligé un détail : le poète était noir. Et en expliquant son parcours par ses idées et non par son identité raciale, le vieil universitaire va être renvoyé à son état d'homme blanc qui ose s'approprier une identité qui n'est pas la sienne, qui décolore pour rendre invisible, incapable d'envisager ce qui a pu motiver ce Robert Willow, poète et jazzman.
Nostradamus, tu ne l'as pas vu venir dans les étoiles Babéliotes ce « voyant d'Etampes ». Il faut dire qu'avec cette couverture dépressive et un titre aussi vendeur qu'un lundi sous la pluie, il ne partait pas en première ligne lors de cette rentrée littéraire. Et bien, je vous le dit, non vous le hurle, mieux, je vous le manifeste avec une banderole sponsorisée par tous les syndicats si besoin, je sors un hygiaphone sous vos fenêtres avec des slogans d'une grande profondeur, genre « Lecteur t'es foutu, ton marque page est dans la rue » ou « qui ne saute pas, n'as pas lu Quentin », ce roman est une merveille.
Philip Roth s'est réincarné. Il est français, drôle, et vient de livrer le roman de cette rentrée. Pour les autres, c'est par ici, la sortie. Ce roman, c'est une nouvelle version de « La Tache » que les apôtres de la victimisation veulent frotter pour la faire disparaitre. Ils veulent laver moins blanc que blanc. Péter un boulon et déboulonner les statues.
Cette histoire confronte les générations et les idées sans trébucher dans la flaque du pamphlet. L'intellectuel usé, fatigué par les échecs de sa vie, interroge ses certitudes, se défend, se remet en cause, s'excuse, combat. Ses mésaventures et sa naïveté de l'époque sont irrésistibles. Son ex-femme impitoyable de lucidité, sa fille indécise, la compagne militante et insupportable de celle-ci, ses quelques amis qui oscillent entre gauche caviar et idéaux perdus dans les (oeufs de lompes ou de) limbes, le petit éditeur craintif, tous les personnages sont bien carnés et échappent à la caricature. Les failles de Roscoff permettent de rendre le propos équivoque et nuancé.
Au-delà des idées, de l'universalisme ébréché par des « éveillés » qui ont déterré la hache de guerre des identités, l'auteur écrit surtout une farce ironique de notre temps qui s'attaque à l'intolérance et à la violence anonyme.
Tous les voyants sont au vert.
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Jean Roscoff, maître de conférences en histoire prend sa retraite à soixante-cinq ans, après une carrière sans relief. Désoeuvré et seul depuis que sa femme l'a quitté, il peine à garder le cap mais décide de se reprendre en main en écrivant un nouveau livre, une biographie d'un écrivain américain méconnu.
La parution de ce livre, au lieu de faire revivre Jean Roscoff, va le précipiter en enfer car il est voué aux gémonies, ne répondant pas aux critères de l'« idéologie woke ». Victime d'une cabale injuste, happé dans un tourbillon infernal, faisant l'objet d'une chasse à l'homme, Jean Roscoff, profondément antiraciste, n'imaginait pas la tempête médiatique que son roman allait provoquer, entrainant un torrent de violence pour avoir vu en Robert Willow, son personnage principal, l'écrivain, le poète talentueux, avant l'homme noir.

Le terrorisme pseudo-intellectuel venu des Etats-Unis et qui sévit depuis peu en France est bien décrit dans ce roman. A travers une écriture brillante et nuancée, Abel Quentin a su, avec humour, évoquer un sujet grave, très préoccupant et insidieux, essayant d'éveiller des consciences sur les dérives identitaires et les dangers idéologiques de la « culture woke » (je n'ai pu éviter l'oxymore). Il souligne également le danger face aux réseaux sociaux dont son personnage principal ne maîtrise pas les codes, outils qui peuvent se déchainer en meute féroce afin de tout détruire lâchement et anonymement dans des cabales incontrôlables.

Ce roman est excellent et souvent drôle, sans jamais tomber dans la caricature, faisant penser au livre de Philip Roth « La Tache », et sa descente aux enfers. Il est celui d'une époque où des militants bornés de la « cancel culture », funeste et inquiétante invention idéologique provenant des universités américaines, tentent d'imposer leurs propres normes.

Abel Quentin fait preuve d'un rare talent pour décrire un grave problème actuel, cette censure idéologique qui met en péril la vie de la pensée. Sans doute un des meilleurs livres de 2021.
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Doté d'une rare finesse d'observation, Abel Quentin analyse l'évolution de l'antiracisme et le harcèlement sur les réseaux sociaux en décrivant comment Jean Roscoff, universitaire fraichement retraité, homme de gauche formé par l'UNEF et SOS Racisme, devient un pestiféré voué aux gémonies et dénoncé comme odieux réactionnaire.

Spécialiste des USA, du maccarthysme, de la guerre froide et du parti communiste américain, Roscoff a publié en 1995 un ouvrage sur l'affaire Rosenberg, plaidant pour l'innocence de Julius et Ethel. Au lendemain de cette parution, la CIA déclassait ses archives et publiait les preuves de leur espionnage au profit de l'URSS. Sa carrière en subit les conséquences durables.

Trois décennies plus tard, enfin retraité, Jean se passionne pour Robert Willow, américain, jazzman, communiste exilé en France dans les années cinquante où il devient poète, passe de Miles Davis au chant grégorien, se retire à Etampes et meurt victime d'un accident de voiture.

« le voyant d'Etampes » présentait toutes les caractéristiques pour devenir un ouvrage confidentiel réservé à une clientèle limitée à quelques Babeliotes 😉)

Mais Roscoff a oublié que Willow était « afro-américain », un « black ». Et ce « détail » attire l'attention des « éveillés » et il est dénoncé sur les médias sociaux, son logement attaqué et sa fille agressée. Jean Roscoff est invité par Radio France. « le voyant d'Etampes » devient un bestseller !

Abel Quentin montre la dérive d'une gauche soixante-huitarde parvenue aux affaires sous Mitterrand et l'émergence de l'idéologie Woke avec ses militants « intersectionnels radicaux », experts en manipulation digitale, mobilisant les paumés pour leurs basses oeuvres contre « le privilège blanc ».

C'est passionnant, instructif, inquiétant. Car abattre les statues n'est pas l'apanage des talibans afghans mais l'objectif des inquisiteurs fanatiques de la « cancel culture ».

Écrit d'une plume aussi caustique qu'élégante, ce roman souffre hélas de quelques coquilles typographiques et d'une numérotation aberrante des chapitres.

Mais il mérite largement ses cinq étoiles et s'affirme comme un des romans les plus remarquables de cet automne.

A lire avant que la censure des bienpensants ne le place sur le bucher !
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Jean Roscoff est un historien fraichement retraité, qui souhaite consacrer de cette période particulière à rattraper la médiocrité de sa carrière, lui qui n'est pas passé sous les fourches caudines de l'agrégation. Malgré un précédent échec avec la publication d'une biographie en faveur des époux Rosenberg, exécutés quelques jours après la sortie du livre, leur activité d'espions ayant été prouvée, Jean se lance dans la rédaction d'une biographie du poète américain Robert Willow. Son histoire américaine, son émigration pour le Paris des années Saint Germain-des-prés, la qualité de ses poèmes tout l'enchante et le motive pour ce travail.

Lorsqu'il nous parle de son parcours, Jean n'omet pas de préciser qu'au delà de sa piètre carrière, son mariage a abouti à un divorce, et son alcoolisme, une des raisons de cet échec conjugal n'est pas juste un mauvais souvenir. Son rayon de soleil reste sa fille, même si la jeune femme qui partage sa vie l'inquiète en raison de sa virulence politique. Les soirées passées avec le couple sont mouvementées !
Lorsqu'il réussit à faire publier son ouvrage, qui aurait dû rester dans l'ignorance quasi-totale, étant donnée le sujet et la discrétion de la petite maison d'édition, Jean Roscoff se retrouve en pleine lumière, sous des projecteurs peu amènes, ceux qui prennent corps dans des messages de moins de 140 caractères et permettent à de sinistres abrutis de se lâcher en ligne. Tout cela parce que Jean, dans sa biographie du poète a omis un détail…

Et c'est là que le portrait désabusé que le narrateur nous offrait de lui-même se doit de devenir une plaidoirie, une proclamation d'innocence, qui l'atteint dans ce qu'il de plus cher, ses idées de gauche et son militantisme anti-raciste.

J'ai beaucoup aimé ce roman prétexte à un bilan des années qui ont vu l'arrivée d'une vague d'espoir pour tous les convaincus d'un renouveau inéluctable avec l'élection de Mitterand. Les souvenirs d'une jeunesse militantes rêvant que le culte du libéralisme n'étouffe les rêves d'un monde meilleur.
On s'attache rapidement à ce sexagénaire plus victime que coupable, et qui semble avoir le don de toujours choisir le mauvais cheval.

On est aussi au coeur de ce qui fait de notre société, un monde avec des codes qu'il vaut mieux maitriser si l'on veut éviter le pire, qui se trouve à portée de clavier.

J'avais apprécié Soeur, le précédent roman d'Abel Quentin, mais celui-ci m‘a encore plus convaincue.

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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On peut dire qu'il arrive au bon moment.
Ces débats sont à présent partout, et la majorité silencieuse, avec ou sans présupposés, doit se pencher sur ces questions sous peine de ne plus rien y comprendre.
Mise à jour demandée des logiciels : ( bien / mal ),( progressiste / réactionnaire ),( je / nous )
Voilà, l'intersectionnalité est dans la place, issue de plusieurs dizaines d'années de maturation dans les laboratoires de la radicalité, offrant un regard neuf et une ligne révolutionnaire (au sens qu'elle pointe des causes précises, et que leurs modifications entraineraient, selon elle, des conséquences immédiates ) à nous sociétés occidentales.

On pourrait facilement s'inquiéter de la recrudescence des radicalités dans l'arène du pragmatisme, débordant des travées que l'Equilibre leur a normalement réservées, pétries qu'elles sont de raccourcis, sophismes et autres paradoxes.
Paradoxe d'ailleurs, c'est bien à ces points de frictions qu'une pensée s'aiguise et grandit, s'ébauche de ses scories en s'affrontant à ses contradictions.
Que de ces pensées, wokes aux adeptes du grand-remplacement, naissent des paradoxes, n'a rien d'étonnant ou d'invalidant quant à leurs développements. C'est le fait de s'y confronter, de devoir convoquer des référentiels plus vastes pour tenter de les contourner, d'arbitrer, qui poussent à abandonner le noir et blanc, rite de passage exsudant normalement l'idée de sa gangue dogmatique : la radicalité comme enfance d'une pensée.
On pourrait y voir l'éternelle querelle des anciens et des modernes, d'ailleurs…
Le « avec nous ou contre nous » comme un vilain appareil dentaire…

Mais le monde des idées est coutumier du fait… rien que notre bon vieux capitalisme n'a toujours pas dépassé, sur beaucoup d'aspects, l'âge de raison; les limites physiques planétaires bien enterrées, recouvertes de linge sale et de cartons de pizza. La croyance au progrès technologique permanent (d'où une croissance énergétique continue) procède à la manière de la religion. On croit.

Pourquoi tenter d'élargir le spectre de manière un peu tautologique ?
Pour souffler, prendre une pause… et ce livre le permet, car en plus de servir de « le débat actuel, pour les nuls », il sait poser les questions à ceux qui en ont éclusé, déroulant le champ des possibles à mesure que chacun ferait preuve de sincérité, son héros Roscoff comme monument-marronnier du roman français contemporain (liste des auteurs que vous connaissez ci-jointe), maniant brillamment une épice nationale au dosage compliqué : le cynisme.
C'est une des réussites de ce roman : juste ce qu'il faut… quelques gouttes de doute…
Certes, il plaira davantage aux anti- qu'aux pros, mais impossible de ne pas y voir une démarche honnête.

Ce livre se concentre sur la partie la plus paradoxale pour nous, français, la race.
Il laisse de côté, non sans y faire allusion, l'autre grand versant, voie ombrée de plus grandes difficultés, le genre.
Il est très habile à dérouler, sous la patine du souvenir, l'histoire récente des mouvements anti-racistes, ses lignes de forces, ses figures, de touche-pas à-mon-pote, à l'époque plus affirmative du collectif égalité(*), de la genèse d'une certaine socio-anthropologie anglo-saxonne, à sa diffusion massive sous le pavillon de l'intersectionnalité actuelle.

(*) Souvenir de ma grande soeur, Fanny, composant un article pour feu le magazine Tribeca parisien, interviewant en cette fin de millénaire l'écrivaine Calixthe Beyala, posant la question de la « discrimination positive », nous laissant bras ballants devant sa contradiction avec certaines valeurs de la république, au nom du progrès moral, nous qui étions de gauche…)
...
Respirons bien.
Devant nous est proposée par la société une Rapunzel « racisée et conscientisée », transformée, par la magie de la publicité, en Reine de Sabamazon…
On reprend… ?

Bien construit, bien fléché (et sans couleur flashy), bien rythmé, bien écrit., il se pose en attendant que le génie romancier anglo-saxon se charge d'en écrire l'un ou l'autre de définitif, Lionel Shriver comme candidate déclarée (bien qu'on devrait moins se marrer qu'avec Philippe Muray…)
(*crac*)
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La chasse aux sorcières

Il n'a rien vu venir. Pourtant, il voulait conjurer le mauvais oeil. En écrivant un livre sur Robert Willow, un poète américain méconnu, Jean Roscoff pensait enfin pouvoir faire un pied de nez à toutes ces années de médiocrité et d'aigreur qui ont fait la lie de son existence. le professeur d'université fraîchement retraité, spécialiste du maccarthysme et accessoirement de la bouteille, va découvrir à ses dépens la dure réalité des chasses aux sorcières.
Un essai pour les initiés sur un poète décédé au début des années 60 suite à un accident de voiture sur une route de l'Essonne. Rien ne laissait présumer un déchaînement des passions.
Mais Jean Roscoff n'était pas au courant. Les règles ont changées. L'ère du dialogue a laissé sa place à celle de la critique, de la polémique et de l'insulte...

Portrait d'une génération qui s'entrechoque aux autres et qui se confronte aux dérives en tous genres que l'évolution des réseaux sociaux alimente chaque jour. Une prose vive, un style au caractère affirmé. Ce roman à l'humour acide est remarquable et nous invite à réfléchir sur l'évolution de la pensée dans une société gangrénée par l'esprit purement polémique de personnes aux contours indéfinis.

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Jean Roscoff, un universitaire à la retraite depuis peu, publie un essai sur un poète américain noir et communiste du XXe siècle complètement oublié, Robert Willow : le Voyant d'Etampes. Il faut dire que ce poète s'était retiré dans l'Essonne pour écrire son oeuvre, en partie en français. Simple maître de conférences non agrégé à Paris VIII Saint-Denis, Jean Roscoff a déjà connu des déboires dans sa carrière universitaire d'historien, en particulier un livre sur les époux Rosenberg, en 1995, les disculpant totalement de l'accusation d'espionnage des Etats-Unis au profit de l'URSS qui leur avait valu la chaise électrique, juste avant que le dossier soit déclassifié et que leur indiscutable culpabilité apparaisse au grand jour. Mais il ne s'attendait pas du tout à la réaction qu'allait susciter son nouvel essai qui avait toutes les chances de rester dans l'obscurité. C'était compter sans les « Nouvelles Puissances » indigénistes et la force des réseaux sociaux. ● D'Abel Quentin j'avais lu le premier roman, Soeur, paru en 2019, que j'avais beaucoup aimé. On retrouve dans son deuxième roman le style flamboyant de ce jeune auteur, mis au service d'un récit palpitant et passionnant. ● Abel Quentin réussit le tour de force à la fois d'expliquer avec beaucoup de pédagogie les ressorts de la pensée de la nouvelle gauche « woke » (« conscientisée ») et d'en faire une critique subtile et pleine de nuances. Car même si cette pensée rend la vie de son héros impossible, celui-ci est parfois obligé de reconnaître qu'elle n'a pas toujours tort. En réalité, le plus critiquable est son moralisme jusqu'auboutiste de justicier, de « commissaire du peuple », qui a aussi fait les heures les plus sanglantes de la Révolution française, d'autant que maintenant elle est fondée sur l'émotion : « Jeanne était sincère, elle était d'une extraordinaire, d'une désarmante sincérité. C'est cela aussi qui effrayait Marc : la force d'une conviction inébranlable. Certes cette conviction se nourrissait du sectarisme le plus étroit, et d'une fascination morbide pour la figure de la Victime (et cette figure ne reconnaissait aucun contre-pouvoir, puisque les Nouvelles Puissances avaient érigé l'émotion au rang de valeur suprême, la souffrance comme étalon de mesure universel). » Il s'agit d'une pensée totalitaire, car elle rend impossibles même les critiques qu'on peut lui opposer : « L'accusation de racisme systémique, dégagée de toute notion d'intentionnalité, était une arme singulièrement efficace. » ● Jean Roscoff a beau répéter tout au long du roman qu'il a « fait la marche des Beurs en 83, putain », il est complètement décontenancé par cette nouvelle façon de penser ; il est perdu. Il ne comprend pas que ce que battent en brèche ces nouveaux gauchistes c'est précisément l'universalisme hérité des Lumières auquel il est si attaché et le sens de la nuance camusien. Son incompréhension l'amène à la faute même si son intention est pure, et donc au châtiment : « Les Nouvelles Puissances étaient les adeptes d'un puritanisme exigeant. Elles broyaient tout élément antagoniste sans barguigner. Elles incriminaient les actes sans considérer l'intention. Ou plutôt elles déduisaient l'intention des actes, et se souciaient peu d'individualiser les peines. L'épaisseur des vies ne les intéressait pas. Il y avait les forces du Mal et il y avait les forces du Bien. » ● La force des réseaux sociaux et leur capacité de cruauté et de harcèlement feront le reste pour l'abattre. ● Abel Quentin écrit là LE roman sur la nouvelle gauche « woke », le nouveau féminisme, le nouvel antiracisme racialiste, la « cancel culture » et leurs nouveaux concepts d'intersectionnalité, d'appropriation culturelle, etc. ● Il manie de plus avec beaucoup de dextérité l'art du récit, comme le montre la surprise finale, tout à fait inattendue. ● C'est un roman profondément juste et jubilatoire, une oeuvre exceptionnelle, le grand livre de la rentrée littéraire 2021.
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Attirée par les critiques élogieuses sur Babelio, je me suis plongée dans ce roman d'Abel Quentin, auteur que je découvre. Et je ne regrette pas mon plongeon, c'est une histoire réjouissante, moqueuse et bigrement bien construite.

Jean Roscoff, anti héros aux angoisses existentielles, est un professeur d'université à la retraite, toujours amoureux de son ex-femme. Gauchiste et antiraciste, il a milité à SOS racisme dans sa jeunesse. Oui mais voilà, il boit trop, beaucoup trop pour oublier ses échecs et sa solitude. Malgré (ou à cause de) tous ses défauts, il est bigrement sympathique, ce jean Roscoff, on a envie de le tutoyer en buvant un coup avec lui et on espère juste qu'il va rebondir. Et bien justement, il se souvient de son admiration pour Robert Willow, ce poète américain méconnu, musicien de jazz et qui a terminé sa vie à Etampes après avoir fréquenté Sartre et tous les artistes de Saint-Germain durant les années 60. Sa mort tragique en pleine jeunesse dans un accident de la route rejoint le destin tragique de Camus
« Robert Willow n'était pas mon frère de sang mais un auteur injustement oublié, dont j'appréciais le travail. Je ne ferais pas une hagiographie, je poserais un regard lucide et juste, exprimerais une admiration mesurée »
Notre universitaire s'attache à l'engagement politique du poète qui a dû quitter les Etats-Unis lors de la vague du Maccarthysme, mais il met de côté le fait que Willow est noir. Pour l'écrivain, la couleur de peau est moins importante que l'engagement politique et intellectuel du poète. Grave erreur. Dès la sortie du livre, la réaction est immédiate et brutale. Tout d'abord de la part de la compagne noire et féministe de sa fille Léonie qui l'accuse de « prédation identitaire » car elle est « woke » et milite contre toute forme d'appropriation culturelle.
« On lutte aux côtés des autres minorités, mais on ne parle pas à leur place. La négrophobie, seuls les noirs peuvent en parler »
Puis, suite à l'article d'un blogueur qui détourne son propos et l'accuse de faire un déni sur la couleur de peau du poète, notre écrivain est traité de facho, de négationniste et de suprémaciste sur les réseaux sociaux qui s'enflamment. du jour au lendemain, ses amis lui tournent le dos tandis que son éditeur courbe le sien. Harcelé, sa vie devient vite un enfer, il doit se mettre au vert à la campagne.
Le lecteur assiste à l'introspection de Roscoff qui cherche à comprendre comment, lui, le militant de SOS racisme, peut se faire traiter de raciste. Ses convictions profondes sont ébranlées. Aurait-il commis une erreur. ? Willow aurait-fui la ségrégation de son pays ? Et notre homme découvre aussi un univers inconnu, celui de ces « éveillés », militants qui dénoncent l'appropriation culturelle. Suite à son ostracisation, il apprend ce qu'est la « cancel culture » et en subit les méfaits et les excès. C'est violent pour le vieil universitaire en mal de reconnaissance qui n'est plus dans le « game » pour parler comme sa fille. Son désarroi nous touche, il cherche à se remettre en selle et on veut y croire car il nous est sympathique, cet écrivain raté mais lucide qui finit par s'autoflageller.

Abel Quentin nous offre une splendide, une cruelle satire de cette société impitoyable avec le moindre manquement aux codes tacites qui imposent de ne pas parler de la race de l'autre. Les excès et la stigmatisation sur les réseaux sociaux et dans les médias déchainent une violence gratuite contre le pauvre écrivain dépassé par les évènements. de mon point de vue, c'est la partie la plus intéressante du roman où l'on voit cette montée en puissance, où l'auteur décortique pour le lecteur néophyte tous ces courants de pensée sur les luttes anti-racistes et sur le monde impitoyable de la « cancel culture » La plume de l'auteur se fait incisive et acerbe pour décrire ces mouvances. Sans être pontifiant, son argumentaire ne tombe jamais dans la hargne et la caricature. C'est intelligent, vif et passionnant. de plus, il sait nous tenir en haleine grâce à des rebondissements aussi inattendus que savoureux et j'ai pris un immense plaisir à la lecture de ce roman brillant.




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