’ai aimé la vie, docteur. Depuis mon départ de la clinique, le mois dernier, j’ai été heureuse de me trouver à la campagne, heureuse du plaisir que mon mari prenait à moderniser cette vieille maison. Il est jeune et enthousiaste… tellement plus jeune que je ne l’ai jamais été ! Je sais qu’il poursuit d’autres femmes… Mais lorsqu’on est malade au point où je le suis, il est possible de s’élever au-dessus des mesquins tourments de la jalousie. Seulement, il n’y a pas que cela. Aujourd’hui, j’ai appris que quelqu’un, me touchant de très près, a fait une chose, une chose pour laquelle je ne vois pas de qualificatif. Alors, maintenant, je ne désire plus que mourir.
Je pense que, lorsqu’elle était enfant, il s’est peut-être produit un événement ayant déterminé un complexe en elle. Me rendant compte combien il lui était pénible de m’en parler, j’ai obtenu d’elle la promesse de garder à jamais le silence sur ce point. Ah ! si vous saviez comme je peux me le reprocher maintenant ! Il fallait la laisser parler, au contraire, et nous n’en serions pas où nous en sommes maintenant. Dire que, hier soir, je croyais enfin toucher au bonheur ! J’avais l’impression qu’elle commençait à m’aimer réellement et…
Ce n’est pas cette souffrance-là qui me coûte, docteur, dit-elle avec un sourire amer. J’y suis habituée. Sans elle, je me sens presque perdue. C’est l’autre souffrance qui compte… Pourquoi le corps survivrait-il quand l’âme n’aspire plus qu’à s’en délivrer ?
C’est la vie qui me terrifie. La découverte que j’ai faite aujourd’hui m’a fait perdre foi en tout ce qui est beau, tout ce qui est bon, docteur ! La vie ne m’offrira que de l’amertume… si l’on ne m’en délivre pas !
Il arrive souvent que des jeunes filles s’enfuient ainsi au moment de se marier. Une ultime appréhension, je suppose.