« Jouer comporte des risques : dépendance, endettement, isolement … Appelez le 09 … (appel non surtaxé) » Cette mention légale attachée à toute publicité sur les jeux, paris ou autres, aurait très bien pu servir d'incipit au livre de, et sur
Christian Quesada.
À mi-chemin entre biographie et roman à suspense «
le maître de midi » relate le parcours chaotique d'un surdoué de la mémoire et d'un inconditionnel des jeux Celui capable de faire coïncider érudition et culture. Né en 1964, le jeune Christian étonne tout le monde, lui le premier, par sa faculté à retenir tout ce qu'il lit ou voit à la télévision. Pendant tout son “primaire” cet élève aux facilités déconcertantes est promis à un bel avenir scolaire jusqu'à ce qu'au collège un gros grain de sable vienne enrayer la belle mécanique : les mathématiques. Il est capable de jongler avec les chiffres comme avec les lettres mais la résolution des problèmes des équations il ne pige pas et s'en désintéresse très vite. Dès lors il va se traîner jusqu'au lycée avant de tout laisser tomber. Enfermé dans sa chambre il se drogue de connaissances, lit le dictionnaire, le quid, les encyclopédies, retient tout. Un jour il gagne un concours radiophonique et se retrouve à Las Vegas.
Le virus du jeu s'empare de lui. Il déchiffre les échecs, joue et gagne de plus en plus de parties, va même jusqu'à rédiger une méthode simple pour intéresser les gamins à ce jeu si compliqué. Anime des soirées pour des clubs de jeu où se côtoient jeunes et moins jeunes à qui il va expliquer le scrabble, le backgammon, les dames… Il se retrouve bientôt en lice pour les sélections des Chiffres et des Lettres. Tout s'enchaîne : les victoires, les tournois, d'autres victoires, des records, l'argent tombe de partout, la belle vie s'organise, les filles, l'alcool, les nuits blanches, même à l'armée il réussit à sortir pour chaque compétition qu'il gagne avant de se retrouver au mitard pour insubordination ! Les petits boulots s'enchaînent aussi pour garder une vie sociale. D'autres concours, d'autres tournois, le fric, la fête, les copains, l'alcool, la drogue… Et un jour la chute libre, plus rien, les dettes, le trou noir. Et l'huissier qui vient en compagnie d'un serrurier récupérer le peu qui lui reste avant de l'expulser de son appartement.
Les mois de galère à dormir sur un matelas au milieu d'autres paumés de la vie, les mauvaises bières, les relations interlopes et un jour, il tombe sur son meilleur copain de l'armée, qui, terrifié devant son état, le prend chez lui et le remet un peu d'aplomb. Grâce à lui, Christian reprend goût à la vie, découvre Internet et les jeux en ligne auxquels il devient vite un crack. Il repart chez ses parents, s'enferme de nouveau dans son cagibi, se remet à travailler sa mémoire et grâce au web ingurgite de nouvelles connaissances. À plus de quarante ans il remet sa vie en route. Petit à petit il remonte la pente, tombe amoureux et redémarre une nouvelle fois. le travail reprend, en banlieue, la stabilité s'installe. D'autres boulots vont suivre mais sa femme quitte Paris pour la Provence. Christian devient papa, un garçon puis un deuxième très vite. le week-end, il descend dans le sud voir sa petite famille pendant quelque temps, mais finit par démissionner pour les rejoindre tous les trois. Bon gré mal gré il enchaîne les CDD jusqu'à un accident bête, qui va le laisser sur le carreau, sans un rond, sans perspectives et sans sa femme qui l'a quitté, fatiguée de tant d'incertitude, avec les enfants sur les bras.
Le RSA, la mort de sa mère, de nouveau les galères, et un jour à Marseille, une session de sélection pour les “Douze coups de Midi”, pourquoi pas ? Sa mère lui en avait parlé avant de rendre son dernier soupir.
La suite vous la connaissez sans doute ou vous la découvrirez en lisant le livre écrit à quatre mains par Christian lui-même et
Nicolas Torrent, co-auteur de cette biographie.
Christian Quesada : l'homme qui sait presque tout, sur tout, et qui aime tant le partager. Il aura tout connu, et subi : la différence, les addictions, la dépendance au jeu, la gloire, la déchéance, l'amour, l'abandon, les deuils, la solitude… Et c'est sans doute pour ça qu'il a écrit ce livre pour partager ses heures de bonheur factice et ses jours de galère véritable. Ce n'est pas une leçon de vie qu'il prétend donner, mais le témoignage de celui qui s'est brûlé les ailes, et même plus, en flambant tout ce qu'il avait gagné pour l'amour du jeu “à la folie”. Ce n'est pas pour l'argent non plus, il en a gagné plus qu'il ne lui en faut pour vivre, lui le plus gros gagnant des jeux télévisés (au moins en France), pensez plus de 800 000 euros ! Et il semble assagi, avoir compris les dangers de ce qui l'a détruit. Il n'a pas oublié l'époque où il animait des ludothèques pour jeunes ou pour seniors, lorsqu'il aidait les gamins de banlieue à faire leurs devoirs en leur enseignant des méthodes ludiques, aujourd'hui il a comme projet de créer une structure pour aider les jeunes en échec scolaire. Il a certainement aussi sa façon d'aider d'autres personnes en difficulté, mais ça c'est son secret, sa part intime qu'il veut garder comme telle.
J'ai été touché par la sincérité qui se dégage de ce bouquin. Ce n'est pas un futur prix littéraire, mais c'est écrit avec la sincérité de l'homme qui a passé cinquante ans de sa vie à jouer pour le meilleur et pour le pire. J'ai lu ici ou ailleurs qu'on lui reproche (avec plus ou moins de conviction) arrogance, pédanterie, vanité et autres défauts Mais je crois plutôt que dans la simplicité de celui qui est issu d'une famille peu favorisée par la vie, et qui, par un don de la nature a tout appris ou presque - non sans travail, s'exprime la joie candide de le faire savoir aux autres sans forfanterie mais avec une jubilation qui peut agacer.
Un dernier mot pour remercier Babelio et les éditions “J'ai lu” pour la découverte du parcours hors norme d'un champion de la connaissance tous azimuts.