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EAN : 9782718606705
70 pages
Galilée (17/11/2005)
4.82/5   11 notes
Résumé :
« Racine disait que la scène est un lieu qui n’est pas, en un temps qu’on ignore, à huit heures du soir, éclairé par des chandelles de suif, et qui ne se retrouve jamais à l'aube, quelque peine qu’on se donne pour le rechercher au plus lointain recoin des ruelles de la cité où l’on vit."

Georges de La Tour est paru aux éditions Flohic en 1991.
La présente édition, corrigée et entièrement recomposée, est définitive.

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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
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« Une masse brune, une flamme citron, un rouge franc, un vermillon plus sourd, une grandeur triste. »

Pascal Quignard se parle à lui-même. Une sorte de spiritualité mystique se dégage des mots qu'il utilise pour exprimer cette peinture d'ombre et de lumière. La flamme serait-elle Dieu ?

Georges de la Tour, ce fils d'un boulanger de Vic-sur-Seille en Lorraine, est réputé à son époque : en 1639, il se rend à Paris et reçoit le titre de « Peintre ordinaire du roi » ainsi qu'un logement au Louvre. le roi Louis XIII possède un « Saint Sébastien soigné par Irène » qu'il admire dans sa chambre.

Caravage, mort depuis peu lorsque La Tour commence sa carrière, influence la plupart des peintres par des effets de clair-obscur soulignant les reliefs, appuyant les contrastes violents d'une forte dramatisation lumineuse.
La Tour s'en inspire mais son clair-obscur est bien différent de celui de l'artiste italien. Un rapport unique s'établit entre la lumière et l'ombre :
« Il obéit aux leçons du Caravage. Il sacrifia toutes les auréoles qui encerclent la tête des dieux et des saints pour leur substituer les reflets d'une bougie. »

Les pensées de Pascal Quignard vagabondent. Il s'interroge : « La Tour fut un des derniers génies de la Renaissance. Il a emprunté à Honthorst l'artifice qui consiste à cacher le luminaire par un écran de fer, par une main, par un personnage, par un crâne. »

La « Madeleine au miroir » médite : « La clarté ne se concentre que sur le visage, le buste, la main qui hésite et les longs doigts qui effleurent et qui s'efforcent de reconnaître à tâtons le relief de la mort. »
De toutes les « nuits » de la Tour, Cette Madeleine est peut-être celle où l'effet de silence et de solitude est le plus poignant. Tournée vers un miroir, abîmée dans une sorte d'extase, la pécheresse songe, revenant sur sa vie :
« Ce n'est pas une Vénus repentie mais une femme grave dont le corps a aimé le plaisir et qui pense. La séductrice ne nous regarde plus, nous, les hommes. Ni ne regarde directement le crâne et la mort. Elle regarde le reflet. Son reflet n'est pas son reflet. Là ou Madeleine s'attendait à découvrir les traits de son visage, le monde des morts est là, et son silence. »

1638. La Tour a 45 ans pendant la guerre de trente ans. Les troupes françaises ravagent la Lorraine. Les villages brulent. La peste décime la région. L'artiste s'est-il spécialisé dans les nuits au moment de l'incendie de Lunéville ? La Tour va devenir le maître de la nuit.

Son « Saint Joseph Charpentier » du Louvre m'impressionne toujours autant. L'effet lumineux est intense. L'homme, usé par la vie, est en plein travail dans son atelier, le corps tout entier dans le labeur, les reins cassés, les bras forts :
« L'homme est la force même devenue chair, grand tablier serré à la taille, veines gonflées sur le front, muscles saillants, mains énormes, pieds larges. »
Assis face à lui, l'enfant Jésus, d'une beauté irréelle, éclaire la scène avec une chandelle, la main traversée par la flamme : « La main qui tient la chandelle est seule à avoir des doigts qui sont si longs. le visage est le vrai foyer de la clarté, lèvres gonflées, l'oeil grand ouvert sur plus grand et sur plus lointain que ce qu'il voit. »

Cette nativité est le tableau le plus émouvant de l'artiste. Un chef-d'oeuvre exceptionnel ! le « Nouveau-né » réside au musée des Beaux-Arts de Rennes. Heureux Bretons !
Il dort dans les bras de Marie emmailloté dans ses langes. Une lumière de vie s'accroche en le faisant luire au front de l'enfant. L'ineffable et le sacré se révèlent : or, rouge flamboyant et nuit obscure. Pendant que la Vierge Marie tient l'enfant Jésus, la sainte Anne adoucit avec sa main la lueur de la bougie qu'elle tient pour éclairer la scène.
« le bébé devient le foyer dont la clarté vient sculpter de sollicitude les deux visages des jeunes femmes qui sont penchées vers lui. Chez La Tour, les dieux sont sans nimbes, les anges sont sans ailes, les fantômes sans ombre. »

Une scène d'intimité montre une femme demi-nue au ventre lourd écrasant une puce entre ses doigts. La lumière de la chandelle sculpte son corps. Une prostituée ? Une servante ? Une Madeleine ? :
« Je ne m'expliquerai jamais le caractère à ce point non érotique de cette femme au bout du compte si féminine et jeune et belle. »

La production de Georges de la Tour a dû compter environ 300 toiles. L'incendie de Lunéville en a brûlé une bonne moitié. Après sa mort, le peintre sombre dans l'oubli. Ses toiles, essentiellement connues pour ses scènes religieuses, seront souvent attribuées aux frères le Nain. Début 20ème ce maître du clair-obscur est redécouvert et replacé parmi les plus grands peintres français du 17e. Aujourd'hui, ses « nocturnes », ne cessent de nous éblouir. Il ne reste plus qu'une bonne trentaine des lumineuses toiles de l'artiste.

« La beauté est une flamme de chandelle dans la tristesse, dans l'argent, dans le mépris, dans la solitude. Dans la nuit. Une haleine d'enfant la courbe ; un souffle la menace ; le vent définitif l'éteint. »


Vous pouvez voir les merveilleux tableaux en HD sur mon blog

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Pascal Quignard, en véritable passeur, nous transporte dans sa barque silencieuse du royaume des vivants vers le royaume des morts ; de la lumière vacillante d'une chandelle vers les ténèbres insondables qui dévorent le cadre des peintures de Georges de la Latour.

A la façon du Caravage, La Tour fait tomber les auréoles. «Les dieux sont sans nimbes, les anges sont sans ailes, les fantômes sans ombre.» L'ordinaire devient sacré. «toute femme devient Marie». «A la fois elles font du Mystère la chose la plus domestique et elles rendent subitement solennelles les molécules de la condition humaine : naissance, séparation, sexualité, abandon, silence, angoisse, mort.»

Le regard sensible de Pascal Quignard pointe certains détails des oeuvres qui nous incitent à nous interroger avec lui.
«Dans le Songe de Saint Joseph» Pascal Quignard observe que «la main (de l'enfant) tendue ne touche pas encore le poignet du vieillard. Cette main, curieusement, ne porte pas d'ombre sur la poitrine du dormeur. Les fantômes sont reconnaissables à l'impuissance où sont leurs corps disparus de porter une ombre sur les choses.»
C'est magnifiquement dit et bien observé mais je m'interroge. Et si cette absence d'ombre avait pour but de concentrer notre regard sur une autre ombre ; celle des ciseaux projetée sur la table ; le ciseau de la Parque Atropos qui coupait le fil de la vie.
Un autre détail m'intrigue. La main gauche de l'enfant suspendue dans l'air, paume tournée vers le haut, doigts fléchis. On a l'impression que cette main est en attente de recevoir quelque chose. Serait-il alors possible de penser, si on prend en compte toute la composition, de voir les bras de l'enfant comme un mouvement de balancier arrêté ; une main en plateau ; suspendue dans l'air, en attente, pour la pesée de l'âme.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Georges_de_La_Tour_022.jpg

Des fils, des vies, Pascal Quignard en entrecroise plusieurs. Des bords obscurs des peintures de Georges de la Tour, il fait surgir le chant des Leçons de Ténèbres de Couperin, la parole de Jacques Esprit, celle de Saint Jean de la Croix, la guerre de 30 ans, la peste, les incendies, les tableaux brûlés ; la vie d' «un homme aussi violent que fier. Sans charité» qui produisit entre quatre cents et cinq cents toiles dont il ne reste que vingt-trois originaux, trois gravures et deux lettres.
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Pour entrer dans le secret des tableaux de Georges de la Tour la compagnie de Pascal Quignard est parfaite. Il nous le montre obéissant aux leçons du Caravage.
Il a une manière bien à lui de délivrer les secrets du peintre et d'interpréter ses tableaux. C'est lui qui dit « Il fit de la nuit son royaume » « Les oranges et les rouges de la Tour brûlent par-delà le temps comme des braises. »
Ou encore « Georges de la Tour élut la vie quotidienne la plus simple, la plongea et la simplifia encore dans la nuit, pour la revêtir du reflet de grandeur qu'est la luisance, la couche de lumière. »
Pour Pascal Quignard Georges de la Tour est LE baroque janséniste, ses personnages « sont immobiles, divisés entre la nuit où ils s'élèvent et la lueur qui les éclaire en partie. Surgissant dans l'ombre, touchés par un fragment de lueur, ils tiennent en suspens un geste incompréhensible »
Le livre de Quignard est à choisir pour la beauté des mots alliée à la beauté des oeuvres.
Lien : http://asautsetagambades.hau..
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Chez Georges de La Tour, la lumière montre à l'insu des corps qu'elle montre. Ils sont surpris dans l'extase ; surpris dans la stupeur ; ou dans l'insomnie ; ou par la fatigue ; surpris dans l'application qu'ils mettent à écraser une puce ou un pou avec leurs ongles ; surpris dans l'instant où ils soufflent sur la flamme ou sur le foyer de la pipe ou sur le brandon qu'ils tiennent entre leurs doigs.
Ils ne s'adressent pas à eux qui les voit.
Ils ne regardent pas la lueur qui les éclaire sans qu'ils le sachent. Une présence les absorbe. Ils ne se mêlent pas à notre vie. Ils sont notre vie quand nous sommes à l'autre, quand nous ne sommes plus en spectacle ; quand, dévêtus, alors que nous songions à nous coucher, un songe vide, un retour à soi nous arrête en nous même.
C'est l'aimée qu'on voit dormir.
Il arrive qu'on ressente parfois de brusques appels de solitude. Même la vie amoureuse engendre à l'improviste de brusques appétits paniques de solitude.
C'est l'envie de se retrouver seul, de faire des gestes sans témoins. C'est l'envie de relâcher les traits, d'ôter son visage. À vrai dire, c'est quelque fois simplement l'envie de prendre un bain ou de se couper les ongles. Ce sont des convoitises d'ermites d'une heure ou deux. C'est l'envie de se laver le coeur dans le silence. De se chuchoter à soi-même dans le silence sa paresse et sa peur et son vide et de se savonner soi-même comme un ancien bébé.
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Il y eut deux grandes chandelles dans l'histoire et elles ont coïncidé dans le temps : les leçons de ténèbres de la musique baroque, les chandelles des toiles de La Tour.
Les offices des Ténèbres, lors de la semaine sainte, constituaient un rite au cours duquel on éteignait une à une, dans le chant, les lettres hébraïques qui forment le nom de Dieu et, une à une, grâce au souffle d'un enfant en robe rouge et surplis, les bougies qui les représentaient dans l'obscurité de l'agonie.
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Tous les personnages qu’a peints Georges de La Tour sont immobiles, divisés entre la nuit où ils s’élèvent et la lueur qui les éclaire en partie. Surgissant dans l’ombre, touchés par un fragment de lueur, ils tiennent en suspens un geste incompréhensible.

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George de La Tour a désiré que la large chevelure blonde et bouclée traditionnelle devînt lisse et noire. Les larmes traditionnelles de la pénitente ne roulent plus sur la joue. Ce n’est pas une Vénus repentie mais une femme grave dont le corps a aimé le plaisir et qui pense.
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[Les personnages qu'a peints Georges de La Tour] ne regardent pas la lueur qui les éclaire sans qu'ils le sachent. Une présence les absorbe. Ils ne se mêlent pas à notre vie. Ils sont notre vie quand nous sommes à l'autre, quand nous ne sommes plus en spectacle ; quand, dévêtus, alors que nous songions à nous coucher, un songe vide, un retour à soi nous arrêtent en nous-mêmes.
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Vidéo de Pascal Quignard
L'auteur Pascal Quignard a bâti une oeuvre érudite et sensible. Avec "Compléments à la théorie sexuelle et sur l'amour", il poursuit sa réflexion sur la sexualité et la relation amoureuse et nous parle d'art, de masochisme, ou encore de sirènes... Il est l'invité de Géraldine Mosna-Savoye et Nicolas Herbeaux.
Visuel de la vignette : Les Amants / René Magritte
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