L'idée lui vint alors, géniale. Faute de pouvoir affronter l'obstacle, il l'emjamberait. Echouait-il à trouver la première phrase idéale ? Eh bien, soit ! Il commencerait par la deuxième.
Comme disait souvent Clemenceau, on ne ment jamais autant qu’avant les élections, pendant une guerre et après la chasse.
EPITAPHE
Je reconnus bien l'humour cynique et la mégalomanie de mon ami Pierre Gould lorsque, découvrant sa tombe, je lus l'épitaphe qu'il avait fait graver sur la pierre : "NE RIS PAS / TON TOUR VIENDRA."
« Je veux faire de mon art un art dangereux, disait [l'artiste américain]. Ceux qui le découvrent doivent en être à jamais transformés. » L’œuvre parfaite, disait-il aussi, est celle qui rend toutes les autres inutiles et les annule. Sa première œuvre fut une symphonie qu'il conçut de manière que les auditeurs ne pussent quitter la salle sans avoir perdu une partie de leur ouïe. Il réalisa ensuite une trentaine de tableaux avec une peinture de sa fabrication, enrichie d'un élément toxique connu pour ses effets destructeurs sur la rétine. « Idéalement, commenta-t-il, le spectateur qui contemple mes tableaux durant un temps suffisamment long doit être devenu aveugle avant d'avoir quitté la galerie. » Il se consacra enfin à la littérature, écrivant des romans qu'ils imprimait lui-même sur un papier enduit de poison puis faisait relier dans un carton abrasif qui ensanglantait les mains. « Mon grand œuvre, disait-il, sera un livre qui détruit chez celui qui l'a lu la possibilité de lire de nouveau. Toutes les autres phrases qu'il verra par la suite lui paraîtront étranges et incompréhensibles, quelle que soit leur langue. »
Miyazawa mentait comme il respirait – presque mieux, d'ailleurs, compte tenu de son asthme.
L'ANGOISSE DE LA PREMIERE PHRASE
La première phrase : voilà l'ennemi. C'est ce que pensa Gould le jour où il décida d'écrire u livre auquel il songeait depuis de nombreuses années. Devant sa feuille blanche, il passa des heures à chercher la première phrase idéale. Sans cesse il posait la pointe de son stylo sur le papier et tentait de libérer son poignet pour dessiner la boucle de la première lettre ; il s'interrompait à chaque fois avec la certitude horripilante qu'il y avait une meilleure manière de démarrer le texte.
L'INTRUS
L'intrus avait fait irruption dans ma vie dix-huit mois plus tôt, sans que rien n'annoncât son arrivée. Je l'avais découvert au fond du jardin, par une belle après-midi de printemps : un jeune homme d'une vingtaine d'années au visage enfantin, le front caché par une épaisse frange de cheveux blonds. Il était occupé à tailler ma haie et, concentrée sur sa tâche, ne m'avait pas entendu approcher.
- Qui êtes-vous? Lançai-je sans aménité.
Il eut un sursaut et se tourna vers moi ; son visage exprima alors une sorte de soulagement, comme si lui et moi nous nous connaissions depuis longtemps.
- La haie avait besoin de quelques coups de sécateur, dit-il sans répondre à ma question. J'ai jugé bon de ne pas attendre la semaine prochaine.
Il me tendit distraitement la main ; décontenancé par son aplomb, je la serrai avant de me ressaisir.
- C'est très gentil à vous, mais vous en avez assez fait. Prenez vos affaires et filez.