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Critique de mesrives


Je ne sais comment aborder cette insolite rencontre avec Tāhereh Qurrat al-Ayn dite Tâhereh la pure.
Chanter dans les bras du vent, c'est ainsi que Farzaneh Milani, auteur de sa biographie, définit la poésie et la vie de cette poétesse iranienne du 19ème siècle dans la préface du recueil.

Vingt cinq poèmes annotés par Jalal Alavinia (le fondateur des éditions Les lettres persanes), permettent d'embrasser la vie extraordinaire de cette femme d'exception où Tāhereh Qurrat al-Ayn (1817-1852) se met en scène et délivre ses odes mystiques, ghazals, dédiés à son Aimé, qui n'est autre que Seyyed ‘Ali Mohammad de Chiraz (1819-1850) dit le Bāb ou « Porte » vers la Vérité, considéré par le pouvoir religieux, le clergé chiite comme l'initiateur d'un mouvement hérétique et exécuté à Tabriz le 9 juillet 1850 .

Avant de continuer quelques mots sur le bâbisme pour situer le contexte dans lequel évolue la poétesse: "une religion qui se développe en Iran à partir de 1844, qui rejette l'autorité des lois et des règles de l'Islam et qui finalement se transforme en foi bahâïe", Tâhereh "fut la seule femme parmi ses dix-huit premiers disciples". On comprend mieux que la « poétesse de Qazvin » fut considérée comme une incendiaire par les autorités religieuses et perçue comme une révolutionnaire...

Des poèmes d'amour passionné, fusionnel, exalté, sensuel où Tâhereh, belle salamandre enflammée, clame avec force et beauté dans un rythme enivrant son union spirituelle avec le Bâb. Poèmes qui au-delà de l'évocation des désirs, des peines et des souffrances de la Séparation et de l'Absence traduisent par leur forme un mouvement dynamique à l'image de son cheminement et de sa liberté de mouvement qu'elle a acquise en transgressant de nombreux interdits pour devenir l'instigatrice de son destin.
Une poésie mystique révélée pour la première fois à travers un regard de femme, qui s'inscrit dans les traditions de la poésie mystique persane et de ses plus dignes héritiers : Djalâl-od-Dîn Rûmî, Hussein Mansour al- Hallaj , Nézâmi de Gandjeh et Farîd al-Dîn Attâr.

Des poèmes qui, au delà de la description de l'amour mystique et de l'émotion que leurs lectures suscitent, délivrent des messages universels à travers lesquels Tâhereh dévoilent ses préoccupations, défend ses convictions et chante son espérance en une vie et une société meilleure: liberté, égalité, vérité, justice, amitié, paix allant à contre courant d'une société patriarcale et d'un pouvoir religieux intolérant où la femme voilée n' a ni de voix ni d'espace excepté celui de la maison, "l' andaroune" ou appartement des femmes. Pourtant, elle ose parcourir la Perse en howdah, en palanquin, se libère de sa vie conjugale en refusant de rejoindre son époux, rompt avec les chaînes familiales pour se consacrer à ses convictions et aspirations.

Evoluant dans une société troublée en pleine effervescence politique, économique et artistique, à l'époque des Qajars (dynastie au pouvoir de 1779 à 1924 et période marquée par l'ouverture sur le monde occidental), séduite d'abord par le shaykhisme de Seyyed Kazem Rashti, une école philosophique et spirituelle dont elle enseignera la doctrine, Tāhereh Qurrat al-Ayn se tourne vers le mouvement bâbiste. C'est lors de la réunion bâbiste de Bachtane durant l'été 1858, que Tâhereh lève le voile, en prenant la parole à découvert déclenchant un séïsme dans l'assemblée, un acte extra-ordinaire qui scellera son sort.

Une histoire fascinante qui finit tragiquement puisqu'à l'âge de 36 ans elle sera assassinée par étouffement après plus de trois années de détention et refusé de renier sa foi et ses convictions.

Occultée de l'histoire officielle iranienne mais devenue une légende, sa mémoire, ses idées ont perduré. Comme des graines elles ont traversé les frontières et se sont répandues dans le monde entier. Considérée comme la pionnière du mouvement féministe en Iran, elle s'inscrit dans l'histoire des femmes qui ont su et pu faire entendre leur voix au même titre que Parvine Etessami, Forough Farrokhzad, Simin Behbahani (1927-2014); chacune à leur tour elles ont incarnés la défense de la liberté d'expression et du droit des femmes en Iran.

Admirative et fascinée je ne peux que vous conseiller de découvrir les gazhâls de Tāhereh Qurrat al-Ayn ou Tâhereh la pure qui je l'espère seront vous émouvoir.
A la fin de l'ouvrage des extraits de témoignages d'orientalistes comme Arthur de Gobineau ou Edward Granville Browne, permettent de cerner la personnalité de Tāhereh Qurrat al-Ayn. Eloquente, pertinente, belle, charismatique, courageuse sont les mots qui reviennent le plus souvent pour qualifier Tāhereh Qurrat al-Ayn cette poétesse qui était aussi théologienne, philosophe, grande érudite maîtrisant aussi bien sa langue maternelle que l'arabe.

Elle a rêvé d'un monde meilleur, équitable, où la voix des femmes serait entendue et leurs libertés reconnues. Tâhereh la pure ou une poésie entre quête d'absolu et équité terrestre.

Une poésie sensuelle et engagée d'une femme libre
Belle découverte et rencontre étonnante.

Pour ceux qui seraient intéressés, une fiction chez Actes Sud que je n'ai pas lu lui rend hiommage: La femme qui lisait trop de Bahiyyih Nakhjavani.
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