LA COLOMBE DE L'ARCHE
Maudit
soit le père de l'épouse
du forgeron qui forgea le fer de la cognée
avec laquelle le bûcheron abattit le chêne
dans lequel on sculpta le lit
où fut engendré l'arrière-grand-père
de l'homme qui conduisit la voiture dans laquelle ta mère
rencontra ton père !
(14 novembre 1923)
LA FOURMI
Une fourmi de dix-huit mètre
Avec un chapeau sur la tête,
Ça n'existe pas, ça n'existe pas.
Une fourmi trainant un char
Plein de pingouins et de canards,
Ça n'existe pas, ça n'existe pas.
Une fourmi parlant français
Parlant latin et javanais,
Ça n'existe pas, ça n'existe pas.
Eh ! Pourquoi pas ?
Demain
Âgé de cent mille ans, j'aurais encor la force
De t'attendre, ô demain pressenti par l'espoir.
Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses,
Peut gémir : Le matin est neuf, neuf est le soir.
Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille,
Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu,
Nous parlons à voix basse et nous tendons l'oreille
À maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.
Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas c'est pour guetter l'aurore
Qui prouvera qu'enfin nous vivons au présent.
Conte de fée
Il était un grand nombre de fois
Un homme qui aimait une femme
Il était un grand nombre de fois
Une femme qui aimait un homme
Il était un grand nombre de fois
Une femme et un homme
Qui n'aimaient pas celui et celle qui les aimaient
Il était une fois
Une seule fois peut-être
Une femme et un homme qui s'aimaient
LE LOTUS
Le lotus et la grenouille,
Il pleut, il pleut, il mouille,
Surveillent le caïman,
Il pleure, il pleure, il ment.
Mais le lotus élégamment
Protège la grenouille.
Il pleut, il pleut, il mouille.
Poésie - La voix - Robert DESNOS