Mon avis :
Les histoires qui traitent de hasards et de coïncidences ont ceci de commun avec Timothée Damour et tous les gourous de n'importe quelle église, c'est qu'il faut une bonne dose de foi pour avaler sans broncher le sirop qu'ils nous servent. En mécréant convaincu, je digère assez difficilement les salades, quelle qu'en soit la sauce qui les accompagne. Exception faite de celles que je me raconte, évidemment…
Mais je sais bien que d'autres regardent le monde différemment ! Certaines personnes cherchent à voir dans chaque chose un signe et dans chaque signe un message.
Victoire est l'une d'elles, ce qui n'est pas vraiment étonnant pour une joueuse compulsive, les cartes et les chiffres étant depuis fort longtemps les vecteurs d'une lecture suggestive des auspices. Ce qui est bien moins salissant que les entrailles d'animaux, convenons-en. Mais il ne s'agit pas ici de parler des arts divinatoires… Ce n'est d'ailleurs pas le sujet du livre, même si le hasard et les coïncidences en sont le fil rouge et marquent le chemin de vie du personnage central.
Même si l'on ne croit pas que « tout est écrit », il ne fait guère de doute que le milieu dans lequel on grandit influence nos choix futurs. Être orpheline de mère dès son plus jeune âge et passer son enfance dans un cirque démarquent forcément et promettent un avenir peu ordinaire. Surtout si l'on a démontré quelques talents pour les chiffres et la mémorisation que n'importe quel homme de spectacle rêverait d'exploiter…
Tout ceci pourrait déboucher sur un débat des plus intéressant autour de la prédestination ou du libre arbitre, et la lecture de ce roman amènera peut-être certains d'entre vous à une réflexion sur ce thème, mais si j'écris ce papier, c'est avant tout pour parler de littérature, avec tout le côté subjectif que cela implique.
Si j'ai ouvert sur le hasard et les coïncidences, ce n'est pas de façon fortuite. L'emploi du coup de chance, de l'événement imprévu qui tombe à pic, du retournement de situation accidentel est fort courant, dans la fiction. La difficulté réside dans la façon dont ces « concours de circonstances » s'articulent dans le récit. Il ne faut pas qu'ils aient l'air de tomber comme un cheveu sur la soupe… Dans ce roman, c'est la casualité des rencontres qui forme l'ossature du récit…
L'ensemble est plutôt bien construit, les choses se révèlent petit à petit et l'intérêt reste intact jusqu'à la fin. du moins, en fonction de la capacité de chacun à accepter la magie des coïncidences.
Mais parlons un peu des personnages…
Victoire, qui donne son nom au roman, est sans doute une jeune femme fort sympathique, en plus d'être une artiste talentueuse… mais on a parfois l'impression qu'elle n'a pas beaucoup de jugeote ! Sa crédulité n'est d'ailleurs pas contrebalancée par les autres protagonistes : Timothée Damour, le gourou, n'est pas le manipulateur sadique qu'on pourrait imaginer, mais se révèle tout aussi naïf que notre héroïne, et Colette, la fidèle collaboratrice, fait preuve d'un angélisme un peu puéril ; quant au diplomate, sa candeur est certes rafraîchissante, mais pas très en accord avec l'esprit retors que demande la charge. On se demande également si les « méchants » ne sont pas très stupides : aucun usurier ne laisserait une personne sans solides garanties s'obérer à ce point !
L'écriture est agréable, et ce récit teinté d'humour se lit avec plaisir ; ce roman plaira certainement à ceux qui aiment la romance (même si, ici, il n'y a pas de rencontre amoureuse) et les histoires de princes charmants, mais j'avoue que personnellement, je n'ai pas totalement adhéré à cette histoire un peu trop « sucrée » à mon goût.