Une déception, un rendez-vous manqué et, en fin de compte, une certaine tristesse de me sentir si loin de l'enthousiasme que j'aurais aimé afficher, moi qui m'attendais à passer un très bon moment avec Rabelais.
Peut-être m'accordera-t-on que je ne suis pas franchement hostile aux choses et écrits anciens ? Peut-être me concèdera-t-on que je n'ai rien contre l'humour gras ou grivois, bien au contraire ? Peut-être mettra-t-on à mon crédit que je me sens concernée tant par les questions d'éducation, de bonne gouvernance ou de trop forte emprise de la religion ? Peut-être reconnaîtra-t-on que j'ai une réelle passion pour l'histoire littéraire et la compréhension des œuvres en leur contexte ?
Peut-être me pardonnera-t-on d'avoir si peu aimé Gargantua malgré le fort désir que j'avais de découvrir cette œuvre ? Peut-être ai-je commis l'erreur d'aborder François Rabelais par ce livre plutôt que par son tout premier, Pantagruel ? Toujours est-il que malgré mon âge de plus en plus avancé, je n'avais jamais encore franchi le pas de la porte de notre grand épicurien d'auteur.
Il me faut bien confesser qu'hormis deux ou trois passages que j'ai trouvé assez drôles, mais sans plus, hormis deux ou trois idées que j'ai trouvées intéressantes, mais sans plus, ce livre m'est littéralement tombé des mains des dizaines de fois — au sens propre ! — et malgré sa relative petitesse (150 pages) il m'a fallu plusieurs mois pour en venir à bout ; c'est tout dire.
Du reste, de tout le reste, ne m'est apparue qu'une impression de lourdeur, de caricature tellement outrancière qu'elle en devient lassante au plus haut point. Les accumulations et les surenchères à n'en plus finir m'ont littéralement usée. Et pourtant, j'aurais vraiment aimé aimer. Mais non…
Je sais tout ce qu'on pourra me rétorquer, que vu l'époque, vu ce qui s'écrivait en ce temps-là, cette liberté de ton, cette audace, cette virulence ont un caractère inouï et novateur. Okay, certes. Mais je pourrais aussi vous dire que le grand souci du préfet de Paris, en 1900, était de savoir comment il allait pouvoir venir à bout de tout ce crottin de cheval (80 000 chevaux) qui jonchait et empestait les rues de la capitale. Ce n'était pourtant pas une question risible à l'époque.
Je pourrais aussi vous parler du Tour de France 1922 et de la victoire fameuse de Firmin Lambot, bénéficiant des déboires de Jean Alavoine qui perdit son maillot jaune dans les Alpes après plusieurs crevaisons et d'Hector Heusghem qui reçut une pénalité pour avoir changé de vélo après une chute. C'étaient pourtant des champions ces gars-là.
Je pourrais enfin vous parler des débats passionnés dans l'hémicycle de l'Assemblée Nationale entre les partisans d'Antoine Pinay et ceux de René Coty au cours de la deuxième législature en 1952. C'étaient pas des rigolos ces gars-là non plus, c'était le sommet de l'état français, et pourtant, comme le crottin de 1900, comme les crevaisons de Jean Alavoine, tout le monde s'en fout et royalement. (Et je dirais même que tout le monde à raison de s'en foutre.)
Eh bien, au risque de passer pour une hérétique, pour une odieuse sacrilège, ou, plus vraisemblablement, pour une simple ignare incapable de percevoir le bon grain derrière l'ivraie, je considère que beaucoup des combats de François Rabelais dans Gargantua sont passés de date. Ils étaient pertinents en leur temps, nécessitaient débats et réflexions, comme le crottin de cheval du préfet de Paris de 1900, mais que pour le lecteur du XXIème siècle, ils sont hautement dispensables.
Personnellement, ce qui me touche lorsque je lis des récits antiques, c'est de me sentir en résonance, de constater tout ce sur quoi l'auteur avait touché à l'universel dans l'humain, en somme, tout ce qui ne se périme pas. C'est peut-être la raison pour laquelle j'ai failli me décrocher la mâchoire avec Dante mais qu'en revanche je prends toujours mon pied avec les Grecs et les Romains, qu'ils soient tragédiens, philosophes, comiques ou poètes.
Je ne doute pas de la très grande érudition de François Rabelais, je ne doute pas du caractère innovant et insolite de son œuvre pour l'époque, je ne doute pas de l'influence qu'a eu son œuvre, très probablement sur une autre œuvre majeure comme celle de Cervantès (je pense notamment au chapitre XLII qui est carrément donquichottesque) ou les contes philosophiques du XVIIIème, mais passés mes premiers moments d'euphorie où j'espérais apprécier, je ne trouvais en moi que de l'ennui.
De sorte que, si je suis redevable de quelque chose à Gargantua, ce n'est absolument pas ni sur le fond, ni sur la forme, mais c'est de m'avoir permis une vraie réflexion sur l'évolution de notre langue. Là où j'ai pris le plus de plaisir, c'est à comprendre l'origine de mots sur lesquels je ne m'étais jamais questionnée. Par exemple, j'ai enfin compris que le mot fainéant vient tout simplement de " fait néant ". C'est d'ailleurs fou de constater l'évolution langagière ahurissante du français en cent ans seulement, par exemple, avec un auteur comme Pierre Corneille qui écrit Le Cid 103 ans après Gargantua.
J'ai aussi beaucoup rigolé en découvrant des orthographes délirantes, preuve, s'il en était besoin que l'orthographe ne sert peut-être pas tellement à grand-chose et qu'elle aussi se périme. Il y a aussi ces usages extrêmement libres (eux aussi !) d'orthographes différentes pour un même mot et à quelques lignes d'intervalle. Je peux vous citer, parmi pléthore d'autres, l'exemple suivant : harquebousiers et arquebuziers au chapitre XLVII.
Bien évidemment, on a envie d'être de son côté pour l'éducation ou encore, au chapitre XLVI, quand il nous dépeint son Grandgousier qui se montre magnanime envers Toucquedillon et qui représente sans doute pour l'auteur le summum du bien savoir gouverner : ne pas humilier ses ennemis et se montrer humble, même dans la victoire ; garder une ligne de conduite honorable et s'y tenir coûte que coûte ; ne pas montrer d'agressivité vis-à-vis de ses voisins, etc.
Bien sûr qu'on a envie d'applaudir à sa définition du monastère idéal, qui ressemble en tous points à la description d'un camp hippie, mais qu'est-ce que ça m'apporte tout ça, aujourd'hui, au XXIème siècle, vieille et décatie comme je suis… je me le demande.
Alors, certes, en matière de gauloiserie, on doit énormément à Rabelais, en matière d'humour aussi, en matière d'ironie également, et, plus fondamentalement, en matière de roman, tout simplement. Mais que cette forme primitive de roman m'a semblé pesante, que ces longues énumérations m'ont semblé sans intérêt.
Rabelais n'est pas en cause, c'est assurément moi qui suis une mauvaise lectrice mais si je dois témoigner honnêtement de l'impression qui me fut faite, force m'est de constater que nous ne nous sommes pas rejoints, lui et moi, lors de cette lecture et j'en suis la première désolée. Toutefois, et plus que jamais, souvenez-vous que ceci n'est qu'un misérable avis sur le géant Gargantua, autant dire pas grand-chose.
Je pense qu'il faut être indulgent, car c'est, à mon avis, un des tous premiers vrais romans ! Rabelais se situe dans le courant humaniste d'Erasme et Montaigne. A cette époque, l'Eglise catholique, toute puissante, est surtout représentée en France par les docteurs de la Sorbonne ; or Rabelais, dans la première partie de ce livre, s'attaque à eux, il avance donc à fleurets mouchetés !
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Vers Chinon, lieu de naissance de François Rabelais ( 1483 ), mais aussi de son héros, Gargantua ( vers 1420 ). Gargantua vit au royaume de son père Grandgousier, avaleur de litres de vin de de kilos de victuailles ... comme Obélix.
Une vieille femme ayant bouché les sphincters de Gargamelle, la femme de Grandgousier, car elle chiait ses tripes par kilos, le foetus Gargantua n'a pas d'autre solution que de grimper et de sortir par l'oreille d'icelle !
Calambours à la louche, jeux de mots, grossièretés, farces, jeux littéraires, mots-valises, néologismes, situations comiques, contrepèteries, anagrammes, rébus, élucubrations inversions, satires, lapsus, outrances, coqs à l'âne sont le lot de la première partie, visant, sans doute, à mettre les docteurs en théologie dans la confusion ( est ce du lard ou du cochon ? )
En effet, Rabelais démontre l'inefficacité de ces grands savants, quant à l'instruction des élèves, et ne veut sans doute pas se retrouver décapité comme Thomas More, cette même année en Angleterre, ou exilé !
Gargantua, très intelligent et très grand, est envoyé à la Sorbonne pour y apprendre la scolastique, par des docteurs très savants en jargon théologique, notamment Janotus, son premier précepteur ; mais il n'apprend que la paresse ! Tout cela est décrit par le narrateur, non pas François Rabelais, mais Alcofribas Nasier, anagramme d'icelui, pour sans doute, le protéger des foudres de la Sorbonne !
Si vous survivez au tsunami de cette première partie, que je compare à "Le bruit et la fureur", ou certains écrits de Nietzsche,la deuxième partie, la guerre contre Picrochole, se lit aisément, et c' est un lac calme, en comparaison ! Même si Picrochole-le-bileux, le colérique, est un tyran aussi bête que ses pieds, et que, semble-t-il, Rabelais compare à Charles Quint.
La troisième partie, que j'appelle le pardon, est intéressante, mais un peu naïve.
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Je pense que la première partie, brumeuse, comme "Les Provinciales" de Pascal ou même certains ouvrages de Nietzsche, est une protection contre les jésuites de la Sorbonne, l'église catholique étant encore très puissante !
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Outre les jeux de mots, farces de Polichinelle, Rabelais fait un vrai roman, rare en 1534, et c'est même, dans la partie deux un essai courageux contre les moines oisifs, les docteurs doctifiant des mots hasardeux, les indulgences, bref, tout le système catholique, ainsi que la lenteur de la justice.
Dans la troisième partie, c'est un véritable plaidoyer pour la paix qui se situe dans le courant philosophique et humaniste d'Erasme et de Montaigne.
Voltaire, avec Micromégas, reprendra le système de "Le bon gros géant" ainsi que Roald Dahl.
Un délice de la joie de vivre, mais pas d'une joie de vivre injustifiée, hallucinée et naïve, qui se dupe ou se tromperait dans ses visées : une joie de vivre qui inclut dans ses principes de plaisir la déliquescence même que la vie connaît à chaque seconde et qui fait de ses sources potentielles de laideur la preuve d'une diversité foisonnante de ses manifestations.
Gargantua est monstrueux. Il déborde de vie. C'est à en frissonner de plaisir et de terreur... mais le plaisir est si grand qu'on en oublie rapidement la terreur.
Je n'avais pas du tout aimé l'étude des textes de Rabelais au lycée. J'y suis revenue à l'âge adulte pensant que ce style passerait mieux, rien à faire. Je suis imperméable. Je n'aime définitivement pas. Rabelais n'est pas pour moi.
Certains, incontinents, consideroient pompeusement que maistre Rabelais, rabelinant rabelinoisement, n'estoit que pauvre diable conteur de scandales et d'infections. Lesditz meschants lecteurs doivent estre constipez de ventre Ces « trop diteulx, breschedents, plaisans rousseaulx, galliers, chienlictz, averlans, limes sourdes, faictneans, friandeaulx, bustarins, talvassiers, riennevaulx, rustres, challans, hapelopins, trainneguainnes, gentilz flocquetz, copieux, landores, malotruz, dendins, baugears, tezez, gaubregeux, gogueluz, claquedans boyers d'etrons et bergiers de merde » ne sont pas beuveurs illustres et sont demourer lecteurs de surface, rustres consommateurs de culture. Cestuy avaleurs paperivores n'ont pas rompu l'os et sugcé la sustantificque mouelle, « avecques espoir certain d'être faictz escors et preux à ladicte lecture ; car en icelle bien aultre goust trouverez et doctrine plus absconce, laquelle vous revelera de très haultz sacremens et mysteres horrificques, tant en ce que concerne religion que aussi l'estat politicq et vie oeconomicque. »
![]() | Sceneario 07 novembre 2022
Ce Gargantua est une belle adaptation, accompagnée en fin d’ouvrage par un cahier pédagogique, chaque chapitre s’ouvrant également sur un court glossaire permettant la lecture de la BD pour les plus jeunes !
Lire la critique sur le site : Sceneario |
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