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Rachel Ertel (Traducteur)
EAN : 9782260009566
245 pages
Julliard (12/09/1999)
4.5/5   8 notes
Résumé :
La rue, roman inclassable, se situe quelque part entre Joseph Roth, Kafka, Bruno Schultz et Hermann Ungar, entre Otto Dix, Chaïm Soutine et Georg Grosz. Récit d'un soldat démobilisé vers 1920, après quatre années de guerre contre les armées prussiennes d'abord et bolchéviques ensuite, c'est une longue errance hallucinée à travers une ville, à travers la mémoire, à travers un univers où la frontière entre le rêve et la réalité est brouillée, où le fantastique, le gro... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Je me suis encore approvisionnée d'un beau livre dans le Square des Poètes, et curieusement, c'est arrivé pendant la fête juive de Yom Kippour ! J'ai d'abord fait la rencontre avec un tableau, celui de la couverture, qui m'a fait confusément penser aux portraits de Chaïm Soutine où le grotesque et le macabre se mêlent ! Finalement cette oeuvre est d'Arnold Schoenberg, surtout célèbre comme compositeur, l'inventeur de dodécaphonisme ! Dès le début, je suis donc dans mon élément. le texte me parle énormément : la Rue, des errances, la pluie et le froid, la longue obscurité de la nuit de l'hiver, un temps vague où on s'invente des histoires fabuleuses ou simplement on se fait la conversation pour lutter contre la faim de pain ou d'autre chose. Nous sommes nombreux à nous retrouver dans l'écriture riche, sincère et touchante d'Isroel Rabon. Ce qui fait la différence c'est qu'il s'agit ici du récit d'un soldat démobilisé vers 1920, ses cauchemars incessants dépassent tout, le déchiquettent. Il est à la marge autant du monde juif que du monde chrétien. Quels nerfs n'auront pas lâché devant tant de cadavres putréfiés et de barbelés ? Cependant, envers et contre tout, l'invincible humour juif est présent. Ce roman, traduit du yiddish et préfacé par Rachel Ertel, est inclassable même si on y reconnaît des ambiances de Joseph Roth, Kafka, Isaak Babel, Bruno Schultz et Hermann Ungar.
Le héros s'engage dans un cirque où il côtoie de multiples personnages. Des artistes suicidaires qui peuplent le livre viennent réciter leurs poèmes la nuit dans des salles vides. Que d'amours perdues avant même d'être rencontrées ! Toutes sortes de baladins et amuseurs lui content leurs périples absurdes à travers le monde : la Russie, la Hongrie, la Roumanie, la Galicie, la Lituanie, l'Extrême Orient, Pékin. Les récits s'emboîtent l'un dans l'autre. La narration oscille autant entre le passé et le présent qu'entre l'hallucination et le réel.
La préface est bouleversante. Rachel Ertel nous présente l'auteur du livre. Sans elle l'oeuvre d'Isroel Rabon aurait sombré dans l'oubli. Né à 1900, il passe son enfance à Lodz, « le Manchester polonais ». Malgré la misère, la crasse et le bruit des métiers à tisser, l'enfant précoce révèle un don pour la peinture et la poésie. Orphelin, il vit en vagabond, puis il est enrôlé dans l'armée polonaise et combat contre les Bolcheviks, comme le héros principal du roman ! Nous apprenons qu'Isroel Rabon périt à Ponary, un camp d'extermination près de Vilno en 1942.
Ce roman en abîme attire par sa violence allégorique, son intensité émotionnelle rare. La fin du livre sonne de façon prémonitoire : « le jour même, l'homme brun et moi sommes partis pour Katowice. Nous fîmes la moitié du chemin à pied et l'autre en train. Nous fûmes embauchés dans les mines de charbon. Dès le lendemain nous descendîmes sous terre. Et la terre fut ensevelie, et nous fûmes ensevelis avec elle, par la neige. »
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« Vers où irais-je, qui peut me répondre ? Vers où irais-je, puisque toutes les portes sont fermées ? » (Vu ahin zol ikh geyn, ver kon entfern mir ? Vu ahin zol ikh geyn, az farshlosn z'yede tir ?) C'est ce que crie le parolier yiddish Igor Korntayer dans son poème Vu ahin zol ikh geyn?

Dans La rue, Isroël Rabon, magnifiquement traduit par Rachel Ertel, nous rend compagnon de route d'un jeune juif démobilisé de l'armée polonaise, une fois achevées les guerres menées tambours battant des années 1918-1921. N'ayant aucune raison de revenir chez lui, vraisemblablement totalement paumé, notre jeune soldat décide de partir pour Lodz après avoir entendu, au guichet militaire de la gare, un grand Polonais prononcer avec entrain le nom de cette ville. (En polonais on prononce : Woutch.)

Nous voilà embarqués pour Lodz où notre juif perdu ne connaît personne et où les portes l'enferment dehors comme dans la complainte de Korntayer. Mais notre soldat est un passant qui s'ouvre à la rencontre ; il nous fait saisir l'âme de cette ville et de ceux qui la peuplent. Lodz, une ville plus industrielle tu meurs. Lodz, la Manchester polonaise : des ouvriers et des nouveaux riches ; des usines, des taudis de briques rouges ; des villas décorées de stuc ; la lutte entre différents destins.

Alors, est-ce qu'il y a ici quelque chose à saisir ? Se passe-t-il vraiment quelque chose ? le récit a des lacunes assurément. On ne fait sans doute que s'aventurer dans la ville la plus décriée de Pologne aux côtés d'un simple passant qui se fait saisir et qui lâche. Un récit parcellaire sur ceux à la marge.

Mais finissons par parler de moi. Car ce roman est à chaque fois un véritable voyage, intense, vers un temps perdu que je n'ai jamais vu mais pourtant déjà vécu tant de fois, au travers des histoires de mon grand-père... Car tout, oui, tout, mais absolument tout ce qu'il m'a confié y est.

Un livre irrationnel qui, quant à moi, me touche chaque fois que je lis, toujours avec la même émotion.

Et peut-être qu'à Lodz la marge a toujours été le centre, finalement.
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
De nouveau je n’avais plus un sou en poche […] Dans le parc des hommes se prélassaient sur les bancs […] En face de moi, une jeune fille était plongée dans un livre. De son visage incliné on ne voyait de profil que les lèvres serrées, l’arête fine du nez à la narine palpitante et une joue pâle. Elle semblait totalement absorbée par sa lecture. Je constatais une fois de plus que le vrai lecteur ne lit pas seulement des yeux. Chaque trait, chaque muscle, chaque nerf de sa figure lisait. Les fines veinules bleues sur ses belles mains diaphanes vibraient et se contractaient. On pouvait imaginer que les mots qu’elle saisissait du regard coulaient dans son sang et dansaient dans ses veines.
A tâtons, elle tira un mouchoir de son sac et le porta à ses yeux. Elle pleurait… Soudain, elle leva la tête. Deux grands yeux noirs, noyés de larmes, me fixèrent et se troublèrent. Elle se redressa en hâte et partit. Elle avait honte de ses larmes.
Depuis combien de temps n’avais-je pas tenu de livre entre les mains ? Je n’aurais pu le dire. J’ai éprouvé brusquement une fringale de livres comme on peut éprouver une fringale de pain. Je les aurais dévorés, sans égards pour leur contenu, j’aurais avalé les lettres de tout papier imprimé.
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Dans une rue animée elle s’arrêta. Elle contempla le flot des passants, hésita un instant, puis tendit, dans l’air froid sa main blanche. […]
La ville me parut terriblement lointaine et hostile. Les milliers de lumières, les points incandescents des becs de gaz et des réverbères électriques, les lampes allumées aux fenêtres, les phares et les lanternes des voitures et des calèches étaient devenus maintenant les yeux de créatures démoniaques qui me menaçaient et m’emplissaient de terreur.
Quelques pièces tombèrent dans sa main et chacune figea une larme dans ses yeux agrandis et fixes. Je me blottis tout entier dans les plis chauds de sa robe, me serrant contre elle et, le visage ainsi enfoui, sans un bruit, sans un mot, je pleurai.
Je me sentais seul et abandonné dans la rue glaciale.
J’avais l’impression que chaque pièce frappait sa main pétrifiée par le gel avec un tintement métallique donc l’écho se répercutait dans ma tête avec un bruit mat et creux.
— Maman, maman, tu as froid ?
Je lui posai la question à plusieurs reprises.
Elle ne répondit pas, ne me regarda pas. Impassible, rigide, elle tendait la main dans la nuit et mendiait…
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Des semaines à traîner dans la grande ville. Je n’avais que trop visité et fréquenté tous les lieux où on peut se mettre à l’abri de la pluie et où je guettais vainement des visages familiers. Dans les deux gares et les salles d’attente des tramways on me connaissait déjà comme le loup blanc.
[…] J’avais fini par aimer cette solitude, noire et amère, par aimer même ma faim de pain et d’une chemise propre.
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L’homme est ainsi fait qu’il est capable de se considérer comme un moins que rien, de s’insulter, de se traîner dans la boue et d’éprouver un immense amour pour cette loque.
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L’étrangeté de lointaines villes inconnues se collait aux vitres de la gare et des voitures. Ternes et embuées elles disaient que leur âme – la foule des passagers – venait de leur être ôtée. Une locomotive traînant quelques wagons de marchandises glissa en silence sur les rails, poussive et soucieuse, s'enfonçant dans les ténèbres, se perdant au loin, avalée par la nuit. Elle ne lança pas son sifflement, comme si elle avait honte de troubler le vide et la tristesse qui se déposaient sur la terre en nappes de brouillard.

J'accompagnai du regard le train de fret et mes yeux restaient rivés sur ses lanternes qui brillaient dans l'obscurité.

En moi s'éveilla la nostalgie des départs – partir, partir n'importe où.

Mon regard se perdait au loin, là où le train s'enfonçait dans la nuit et où la lueur des phares s'estompait peu à peu, peu à peu, jusqu'à s'éteindre totalement.
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Isroel Rabon : Balut
A la Cité Internationale Universitaire de Paris, Olivier BARROT reçoit Rachel ERTEL, spécialiste de la langue yiddish et traductricedu roman "Balut" d'Isroel RABON. Elle parle de l'auteur, I. RABON, et du contexte de son livre. "Balut" relate la survie de deux orphelins à Balut, un quartier dans lequel règne la misère.
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