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Britannicus est probablement, des pièces de Jean Racine, ma favorite. Les ingrédients de cette recette de qualité : un somptueux méchant, deux beaux machiavéliques, un brave muselé, deux tourtereaux au nid le tout revenu dans un fond d'histoire antique. Ajoutez à cela amour et politique, rythme et poétique et vous aurez l'exemple canonique d'une magnifique tragédie. Alors, bien sûr, tout comme on peut ne pas aimer le safran, l'ail ou le melon, on peut ne pas aimer du tout ce type de pièce, ce style d'écrit, mais dans ce type et dans ce style, avouons que c'est du grand art. Et d'ailleurs, rendons à ces arts ce qui appartient à Racine : la dramaturgie et le lyrisme. Ce n'est pas un champion de la formule fracassante comme peut l'être Corneille, mais quel verbe mes aïeux ! quel niveau ! quel style ! quelle homogénéité d'ensemble ! quelle construction ! Britannicus peut être perçu comme le pendant français de MacBeth avec dans le rôle titre Néron. Comme pour la tragédie de Shakespeare, le point central en est le basculement du souverain de l'intérêt général vers l'intérêt particulier, la chute du statut de chef d'état, père de la nation à celui de vulgaire tyran ou dictateur. Comme chez Shakespeare, même si les ferments du mal sont en germe et très présents chez Néron, il faut un catalyseur : c'était Lady Macbeth là-bas, c'est Narcisse ici, c'était le truchement des événements là-bas, c'est l'amour pour Junie ici. La mécanique est la même à la différence que le titre là-bas est MacBeth, c'est-à-dire qu'on s'intéresse plus particulièrement au héros maléfique, c'est Britannicus ici, c'est-à-dire la principale victime du souverain ayant basculé dans la tyrannie et l'horreur. Britannicus est un personnage assez insipide et naïf mais vis-à-vis duquel l'auteur parvient à nous faire ressentir beaucoup d'empathie parce qu'on le sent fragile, parce qu'on constate qu'il a subi beaucoup d'injustices, parce qu'il ne pense pas à mal et qu'il se montre prêt à pardonner à ses oppresseurs. Dans le fond, il est un peu couillon, mais on l'aime bien, on le chérie, on a envie de le dorloter, un peu comme le chiot boiteux d'une portée qui se fait toujours avoir et qui regarde les autres manger dans sa gamelle, la larme à l'œil. L'autre personnage fantastique de Britannicus c'est bien évidemment Agrippine, la terrible mère de Néron ; celle-là même qui par ruse et vilenie s'est glissé dans les bras de l'empereur Claude et l'a manipulé, l'a usurpé, l'a plus ou moins castré et finalement, l'a assassiné. Le tout dans le dessein de placer son propre fiston, Néron, à la tête de l'empire, en lieu et place du légitime prétendant, Britannicus. Elle espère qu'elle pourra castrer son fils comme elle a castré son mari, mais…, mais…, les chiens ne faisant pas toujours des chats, Néron tient bien plus d'elle qu'elle ne le souhaiterait. Il faut certainement dire quelques mots encore de Burrhus et de Narcisse, respectivement gouverneurs de Néron et de Britannicus. Racine aime bien les compositions symétriques inversées. Il avait déjà fait le coup dans Andromaque ; il récidive ici. En deux mots et très schématiquement cela donne : Néron (illégitime, immoral, fort, méchant, etc.) vs. Britannicus (légitime, moral, faible, gentil, etc.) et Burrhus (fidèle, honnête, soucieux du peuple, etc.) vs. Narcisse (traître, hypocrite, impitoyable, etc.) et l'on obtient dans la balance l'inéquation suivante : NÉRON + BURRHUS > BRITANNICUS + NARCISSE, d'où le résultat final. Les 2 B sont BattUS et les 2 N sont les Nantis (ou les Nababs). Cependant, vous conviendrez avec moi que j'ai commencé en vous parlant de poésie, de lyrisme et que j'en suis arrivée à de la mathématique ; c'est désolant, désespérant et je m'en excuse. Il me faudrait encore dire deux ou trois mots de Junie, expliquer le rôle purement fonctionnel d'Albine, méditer sur l'ambition d'Agrippine mais c'est comme d'expliquer la composition et la construction musicales : ça casse l'émotion qu'on éprouvait pour le morceau et en fin de compte, ça gâche un peu le plaisir. Donc, jouissez sans théorème, vibrez sans connaître la formule, savourez sans chercher à trouver l'inconnue de l'équation car ceci n'est qu'un malheureux avis, sujet aux erreurs de calcul, c'est-à-dire, bien peu de chose face à l'émotion, d'un texte, d'une langue, d'une représentation. + Lire la suite |