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Cécile Lignereux (Éditeur scientifique)
EAN : 9782035839091
175 pages
Larousse (23/01/2008)
3.72/5   778 notes
Résumé :
Iphigénie est innocente et vertueuse ; c'est pourtant elle que son père doit se résoudre à sacrifier. Iphigénie incarne la douceur et la tendresse ; c'est pourtant elle qui est au centre du déchaînement des fureurs familiales. Iphigénie exalte le dévouement et l'abnégation jusqu'au sublime ; c'est pourtant elle qui subit les lâchetés et les excès dévastateurs. Tels sont les tragiques paradoxes d'Iphigénie, où l'oracle divin ne semble rien d'autre que le révélateur d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (53) Voir plus Ajouter une critique
3,72

sur 778 notes
J'ai du mal à penser de cette Iphigénie
Qu'elle brille et, mieux, qu'elle touche au génie !
Oh ! Si vous saviez ce qu'elle me bassine
La molle tragédie de notre ami Racine !
Pourquoi ? Me direz-vous. Pourquoi ? Eh bien c'est là
Qu'il me faut confesser mon dégoût des mets plats,
Gentils, conciliants, irrévocablement
Moraux, probes et droits, si lisses, franchement
Qu'ils confinent, pour moi, au telenovela !
Une tragédie ? Ça ? Non, un soap opera.
Alors, voilà un roi, le Grec Agamemnon,
Qui voudrait guerroyer, faire entendre son nom
Jusqu'aux remparts de Troie. Il rameute en ce sens
Tous les rois d'alentour, sans soucis de dépense :
Ulysse, Achille… bref tous les grands noms sont là,
Armés jusqu'aux dents et même beaucoup plus bas
Ils sont là, ils sont prêts, c'est l'heure de partir,
Mais ni vent, ni Dieux, n'y veulent consentir.
Que faudrait-il alors pour qu'ils le tolérassent ?
Immoler une fille — et pas qu'une connasse —
Il faudrait qu'elle fût fille d'un roi du même nom
Que le boss des boss et qui, bien sûr, dira non.
Mais l'oracle est formel : « C'est ça ou rien, mon pote. »
« Quoi ? s'étrangle le roi, être pire que Pol Pot ?
Je ne peux, je ne dois. Tant pis, je renonce. »
Quand Ulysse apprend ça, vite il le semonce :
« Mais, vous n'y pensez pas, mon cher Agamemnon,
Que diront Achille et les gars du même nom
Quand ils apprendront que pour sauver la pucelle
Vous pliez les genoux et faites votre selle ! »
« C'est ma fille, c'est mon sang, aussi je m'ingénie
Si je peux éviter qu'on tue Iphigénie,
Je la retiens loin d'ici et j'attends. »
« Inutile, mon cher roi, car il n'est plus temps.
En effet, c'est elle que j'aperçois ici. »
« Ah ! Diable ! Satan ! Méchante prophétie ! »
La jouvencelle endimanchée, ignorant tout,
Se réjouit en Aulis de pouvoir prendre époux.
Et quel époux, vous dis-je, rien moins qu'Achille.
Auprès du prodige, elle se sent tranquille,
Et pourtant, oui, pourtant… Elle l'a vu dans les yeux
De son père chéri : un aveu périlleux.
Elle n'ose saisir, cherche des excuses
À celui que, pourtant, les indices accusent.
Achille aussi sent bien que se prépare un loup,
Or, lui aimerait bien pouvoir tirer son coup
Avec la demoiselle, alors il interroge
Son futur beau-père : « Je pense qu'on déroge
Aux élémentaires lois du respect moral
Et c'est donc pour cela qu'auprès de vous je râle :
Pensez-vous qu'on puisse ainsi du grand Achille
User et offenser sans se faire de bile ? »
C'est tendu, je vous dis, ça sent l'hémoglobine
Et c'est là que Jeannot nous sort de son chapeau
À la brave fillette, une horrible copine,
Sur le front de laquelle flotte comme un drapeau
Où l'on lit en grosses lettres : « Vile salope »
Sortez les violons et le pathos galope…
Pour moi, beurk, mais c'est le contrat tacite
À plus ou moins toutes les bonnes tragédies :
En effet, faut que ça saigne, décapite,
Trucide, lamente, chiale et expédie.
Faut que ce soit injuste et plutôt révoltant
Faut de l'innocent, qu'on trouve ça dégoûtant
Qu'on veuille se lever, se battre nous aussi…
Alors que reste-t-il si gagnent les gentils,
Si même on épargne la maman de Bambi ?
Un jus de courge, une bouillie de salsifis…
En tout cas tout ce qui me gonfle et m'ennuie,
Rien à voir avec l'original d'Euripide :
Tous les héros ici, je les trouve insipides.
J'admets, c'est sûr, je ne suis pas hyper polie,
Je secoue l'idole et je beugle : « Remboursée ! »
Car, même en terme de langue, il me manque
Un quelque chose, et ce n'est pas la panacée
Si je la compare avec celles qui me marquent :
Point de ces envolées sublimes qui chantent
Encore à mes oreilles, ces vers qui me hantent,
Qui frappent les esprits, que dis-je, sont la vie…
Mais inutile que je vous indispose
Car vous savez que ce n'est là que mon avis
C'est-à-dire, comme toujours, pas grand-chose.
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Dans la littérature, il y a deux types de beautés ; la beauté d'une oeuvre inachevée (comme les Pensées de Pascal, certaines oeuvres de Mallarmé …) et la splendeur d'une oeuvre qui a atteint un achèvement absolu comme les tragédies de Racine. Sa tragédie mythologique Iphigénie est un exemple de cette perfection.

Inutile de rappeler ici l'histoire, je suppose, très connue d'Iphigénie fille d'Agamemnon et fiancée d'Achille. Ce qu'il faut surtout mentionner c'est le plaisir de cette lecture que trouve un lecteur du XXIe siècle en l'abordant.

Différents types d'amours se battent ici dans cette pièce : l'amour filial d'Iphigénie envers son père et sa soumission volontaire (comme le fils du prophète Abraham), l'amour d'Achille et son dévouement pour sa fiancée, son amour pour la gloire, l'amour passion d'Eriphile, l'amour du devoir d'Agamemnon, l'amour maternel de Clytemnestre qui affronte son mari pour sauver sa fille.

La finesse de l'élaboration des caractères fait partie de cette perfection. On se trouve devant un roi pusillanime et indécis, une fille courageuse et forte, un fiancé brave et fidèle, des conseillers pleins de ruse.

Par ailleurs, cette pièce, dont le suspense est un élément essentiel dans sa trame, nous livre un dénouement qui bouleverse tout notre horizon d'attente et qui surprend plus d'un lecteur (surtout au siècle de Racine).
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Paris , en enlevant Hélène , épouse d'un roi grec, et en la ramenant à Troie ne sait pas encore qu'il va déclencher le courroux des hommes et des Dieux.
Les Grecs , emmenés par Agamemnon, fondent sur Troie . Mais les Dieux ont stoppé les ventilos et la flotte est bloquée. Un sacrifice est demandé, la fille d'Agamemnon , Iphigénie.
En s'inspirant de l'oeuvre d'Euridipe , Racine a magnifié le personnage d'Iphigénie .Prête à donner sa vie pour son pays, renoncer à sa jeunesse , à l'amour alors qu'elle n'est qu'innocence et beauté quand les hommes s'entre déchirent , pensent pouvoir, honneur .

Il est bien sur beaucoup questions d'honneur , on ne rigole pas avec ça.
Remarquez aujourd'hui aussi, quand on se fait piquer sa femme ou son mari , ça n'engendre pas toujours que des scènes de liesses.
Les Dieux antiques ont l'air aussi retors que la conception que certains ont des Dieux actuels. Ils exagèrent quand même, il y avait sans doute moyen de mettre les ventilos en marche sans exiger le sacrifice de la fille du chef.Mais , bon , plus de pièce alors , parce qu'honnêtement le sacrifice d'un quidam n'aurait ému personne. Toutes les vies n'ont visiblement pas la même valeur.

Je ne suis toujours pas habitué au théâtre classique mais j'avoue que le rythme des vers est envoutant et m'a bercé durant ma lecture.
Je ne suis pas loin de devenir fan quand même de tous ces Grecs antiques à la destinée incroyable, engendrant des pièces "cornélienne" où l'expression avoir le choix entre la peste et le choléra prend tout son sens .
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Alors que les Grecs se préparent à attaquer les Troyens, plus une brise ne souffle. Les bateaux restent à quai et les troupes commencent à y voir un mauvais présage. Menelas est pressé de retrouver Hélène. Son frère Agamemnon ne demande qu à en découdre et Ulysse roi d Ithaque rêve de retrouver la douce Penelope.
Agamemnon consulte le devin Calchas comme il est coutume de faire. Celui ci lui révèle la terrible prédiction. Les bateaux resteront à quai tant qu Agamemnon n aura pas sacrifié aux Dieux sa fille Iphigénie, Agamemnon est torturé entre son devoir et l amour de sa fille. Il fait venir la jeune fille en prétextant d avancer ses noces avec le beau Achille.
Les intentions d Agamemnon sont révélées à la mère d Iphigénie, Clytemnestre par un serviteur. Contre toute attente la jeune fille accepte son sort pour l amour de son père.
L auteur fait intervenir une autre jeune fille, esclave ramenée par Achille et qui serait la fille cachée d Hélène.
Le texte est magnifique et m a bouleversée. Toutefois, je regrette que l auteur soit parti dans cette direction. J aurais aimé qu Agamemnon aille jusqu au bout et qu Iphigénie soit sauver par l intervention des Dieux.
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Même si ce n'est pas ma pièce préférée de Racine, c'est une jolie pièce que cette Iphigénie.
Il y a toujours là le vers de Racine, pas aussi beau que dans Andromaque, Esther, Phèdre, Britannicus ou Athalie, mais beau tout de même. C'est d'ailleurs la plus grande qualité de la pièce ; la construction de la pièce n'a rien d'exceptionnelle, il y a même des maladresses de ce côté-là, la fin est consternante ( mais ce n'est là que la fin, c'est-à-dire une petite portion de pièce ), les personnages manquent, pour la plupart de finesse psychologique ( je pense à Achille, à Clytemnestre, à Ulysse… ), et seul Agamemnon, magnifique en père déchiré entre l'amour de sa fille et son devoir de chef d'armée, est vraiment digne de figurer à côté des magnifiques figures de l'univers racinien.
Toutefois, si je m'en tiens à ce qu'il en est généralement, c'est une bonne pièce que cette Iphigénie, dans laquelle on sent bien la marque de Racine ( mais un peu trop celle du Racine maladroit de Phèdre, et pas assez celle du Racine de Bajazet et de Mithridate-le sujet d'Iphigénie est pourtant tellement approprié à ce Racine-là ! ).
Une jolie petite pièce du grand Jean Racine.

[...]

"Iphigénie" est une assez belle pièce de Jean Racine.
Ce n'est pas ma préférée, mais elle est bien plaisante. Et il faut admettre que, même si, d'autres pièces de Racine, me touche, un peu plus, "Iphigénie" est néanmoins une grande pièce, une pièce très bien construite, exceptionnellement bien construite, à vrai dire ; quelle progression !... Quelle progression vers le coup final !...
Le vers de Racine est un peu moins beau qu'il a pu l'être auparavant et qu'il le sera plus tard ( je place "Iphigénie" dans ce qu'on pourrait appeler le "coup de mou", de la création racinienne, avec cette pièce et "Phèdre" ), mais demeure très beau quand même.
L'intrigue, qui, à la base, est très intéressante aurait demandé, c'est vrai, à être travaillé davantage, et à ce qu'on y enlève tout ce qui est superflu.
Néanmoins, Racine conserve à cette pièce une force. Les personnages sont très riches, un peu moins que d'autres personnages raciniens, encore une fois, et, si il devait y avoir un personnage marquant dans cette pièce, ce serait Agamemnon, personnage tout de douleur, magnifique dans son dilemme tragique ( et, non pas, racinien ). Mais c'est vrai qu'Agamemnon n'est pas aussi beau, n'est pas aussi complexe psychologiquement, n'a pas des émotions ( et une situation ) aussi émouvante que celle du Néron, de "Britannicus", de l'Oreste d'"Andromaque", ou du Mithridate de la pièce éponyme. Il n'en demeure pas moins un grand personnage racinien. C'est une assez grave faiblesse, d'autant plus que, dans "Iphigénie", ce sont les personnages, qui ont la place essentielle.
Malgré cela, malgré ces défauts, "Iphigénie" demeure une belle pièce, et les personnages restent intéressants, un peu fade par endroits, c'est vrai, parfois un peu tout d'une pièce, mais néanmoins intéressants.
Racine nous dépeint tout une galerie de personnages, et cette galerie est passionnante.
J'ai également apprécié le vers, cette simplicité, cette sobriété, et pourtant, cette noblesse, ce côté relevé.
"La colère des dieux demande une victime"... N'est-ce pas l'un des vers les plus beaux du théâtre tragique français ?...
Mais ce que j'admire surtout, c'est la construction narrative. Tout va vers le coup final, tragique, et c'est magnifique, c'est beau, c'est magistral, c'est l'oeuvre d'un maître de la dramaturgie... Tout est organisé, pour mieux laisser passer l'émotion.
En somme, une bien belle pièce de Racine, dont le grand atout est la construction, qui, malgré certaines faiblesses, reste digne de figurer aux côtés des autres pièces de Jean Racine.
Je préfère l'"Iphigénie à Aulis", d'Euripide, sur la même thématique, mais l'"Iphigénie", de Racine, est néanmoins, très bonne.

Seconde critique collée par un administrateur.
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Citations et extraits (87) Voir plus Ajouter une citation
IPHIGENIE

C'est mon père, seigneur, je vous le dis encore,
Mais un père que j'aime, un père que j'adore,
Qui me chérit lui-même, et dont jusqu'à ce jour
Je n'ai jamais reçu que des marques d'amour.
Mon cœur, dans ce respect élevé dès l'enfance,
Ne peut que s'affliger de tout ce qui l'offense.
Et loin d'oser ici, par un prompt changement,
Approuver la fureur de votre emportement,
Loin que par mes discours je l'attise moi-même,
Croyez qu'il faut aimer autant que je vous aime,
Pour avoir pu souffrir tous les noms odieux
Dont votre amour le vient d'outrager à mes yeux.
Et pourquoi voulez-vous qu'inhumain et barbare
Il ne gémisse pas du coup qu'on me prépare ?
Quel père de son sang se plaît à se priver ?
Pourquoi me perdrait-il s'il pouvait me sauver ?
J'ai vu, n'en doutez point, ses larmes se répandre.
Faut-il le condamner avant que de l'entendre ?
Hélas ! De tant d'horreurs son cœur déjà troublé
Doit-il de votre haine être encore accablé ?
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IPHIGÉNIE

Seigneur, où courez-vous et quels empressements
Vous dérobent sitôt à nos embrassements ?
A qui dois-je imputer cette fuite soudaine ?
Mon respect a fait place aux transports de la Reine.
Un moment à mon tour ne vous puis-je arrêter ?
Et ma joie à vos yeux n'ose-t-elle éclater ?
Ne puis-je...



AGAMEMNON

Hé bien ! ma fille, embrassez votre père,
Il vous aime toujours.



IPHIGÉNIE

Que cette amour m'est chère !
Quel plaisir de vous voir et de vous contempler
Dans ce nouvel éclat dont je vous vois briller !
Quels honneurs ! Quel pouvoir ! Déjà la renommée
Par d'étonnants récits m'en avait informée,
Mais que voyant de près ce spectacle charmant,
Je sens croître ma joie et mon étonnement !
Dieux ! Avec quel amour la Grèce vous révère !
Quel bonheur de me voir la fille d'un tel père !



AGAMEMNON

Vous méritiez, ma fille, un père plus heureux.



IPHIGÉNIE

Quelle félicité peut manquer à vos voeux ?
A de plus grands honneurs un roi peut-il prétendre ?
J'ai cru n'avoir au ciel que des grâces à rendre.



AGAMEMNON, à part

Grands Dieux ! à son malheur dois-je la préparer ?



IPHIGÉNIE

Vous vous cachez, Seigneur, et semblez soupirer :
Tous vos regards sur moi ne tombent qu'avec peine.
Avons-nous sans votre ordre abandonné Mycènes ?



AGAMEMNON

Ma fille, je vous vois toujours des mêmes yeux.
Mais les temps sont changés, aussi bien que les lieux.
D'un soin cruel ma joie est ici combattue.



IPHIGÉNIE

Hé ! mon père, oubliez votre rang à ma vue.
Je prévois la rigueur d'un long éloignement.
N'osez-vous sans rougir être père un moment ?
Vous n'avez devant vous qu'une jeune Princesse
A qui j'avais pour moi vanté votre tendresse.
Cent fois lui promettant mes soins, votre bonté,
J'ai fait gloire à ses yeux de ma félicité.
Oue va-t-elle penser de votre indifférence ?
Ai-je flatté ses voeux d'une fausse espérance ?
N'éclaircirez-vous point ce front chargé d'ennuis ?



AGAMEMNON

Ah ! ma fille !



IPHIGÉNIE

Seigneur, poursuivez.



AGAMEMNON

Je ne puis.



IPHIGÉNIE

Périsse le Troyen auteur de nos alarmes !



AGAMEMNON

Sa perte à ses vainqueurs coûtera bien des larmes.



IPHIGÉNIE

Les dieux daignent surtout prendre soin de vos jours !



AGAMEMNON

Les Dieux depuis un temps me sont cruels et sourds.



IPHIGÉNIE

Calchas, dit-on, prépare un pompeux sacrifice.



AGAMEMNON

Puissé-je auparavant fléchir leur injustice !



IPHIGÉNIE

L'offrira-t-on bientôt ?



AGAMEMNON

Plus tôt que je ne veux.



IPHIGÉNIE

Me sera-t-il permis de me joindre à vos voeux ?
Verra-t-on à l'autel votre heureuse famille ?



AGAMEMNON

Hélas !



IPHIGÉNIE

Vous vous taisez ?



AGAMEMNON

Vous y serez, ma fille.
Adieu.

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AGAMEMNON

Tu vois mon trouble ; apprends ce qui le cause,
Et juge s'il est temps, ami, que je repose.
Tu te souviens du jour qu'en Aulide assemblés
Nos vaisseaux par les vents semblaient être appelés.
Nous partions. Et déjà par mille cris de joie,
Nous menacions de loin les rivages de Troie.
Un prodige étonnant fit taire ce transport.
Le vent qui nous flattait nous laissa dans le port.
Il fallut s'arrêter, et la rame inutile
Fatigua vainement une mer immobile.
Ce miracle inouï me fit tourner les yeux
Vers la divinité qu'on adore en ces lieux.
Suivi de Ménélas, de Nestor, et d'Ulysse,
J'offris sur ses autels un secret sacrifice.
Quelle fut sa réponse ! Et quel devins-je, Arcas,
Quand j'entendis ces mots prononcés par Calchas !
Vous armez contre Troie une puissance vaine,
Si, dans un sacrifice auguste et solennel,
Une fille du sang d'Hélène
De Diane en ces lieux n'ensanglante l'autel.
Pour obtenir les vents que le ciel vous dénie,
Sacrifiez Iphigénie.

ARCAS

Votre fille !

AGAMEMNON

Surpris, comme tu peux penser,
Je sentis dans mon corps tout mon sang se glacer.
Je demeurai sans voix, et n'en repris l'usage
Que par mille sanglots qui se firent passage.
Je condamnai les Dieux, et sans plus rien ouïr,
Fis voeu sur leurs autels de leur désobéir.
Que n'en croyais-je alors ma tendresse alarmée ?
Je voulais sur-le-champ congédier l'armée.
Ulysse, en apparence approuvant mes discours,
De ce premier torrent laissa passer le cours.
Mais bientôt, rappelant sa cruelle industrie,
Il me représenta l'honneur et la patrie,
Tout ce peuple, ces rois à mes ordres soumis,
Et l'empire d'Asie à la Grèce promis :
De quel front immolant tout l'État à ma fille,
Roi sans gloire, j'irais vieillir dans ma famille !
Moi-même (je l'avoue avec quelque pudeur),
Charmé de mon pouvoir et plein de ma grandeur,
Ces noms de Roi des Rois et de chef de la Grèce
Chatouillaient de mon coeur l'orgueilleuse faiblesse.
Pour comble de malheur, les Dieux toutes les nuits,
Dès qu'un léger sommeil suspendait mes ennuis,
Vengeant de leurs autels le sanglant privilège,
Me venaient reprocher ma pitié sacrilège,
Et présentant la foudre à mon esprit confus,
Le bras déjà levé, menaçaient mes refus.
Je me rendis, Arcas ; et, vaincu par Ulysse,
De ma fille, en pleurant j'ordonnai le supplice.
Mais des bras d'une mère il fallait l'arracher.
Quel funeste artifice il me fallut chercher !
D'Achille, qui l'aimait, j'empruntai le langage.
J'écrivis en Argos, pour hâter ce voyage,
Que ce guerrier, pressé de partir avec nous,
Voulait revoir ma fille, et partir son époux.
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ACHILLE

Quoi, Madame, un barbare osera m'insulter ?
Il voit que de sa soeur je cours venger l'outrage.
Il sait que le premier lui donnant mon suffrage
Je le fis nommer chef de vingt rois ses rivaux.
Et pour fruit de mes soins, pour fruit de mes travaux,
Pour tout le prix enfin d'une illustre victoire,
Qui le doit enrichir, venger, combler de gloire ;
Content et glorieux du nom de votre époux
Je ne lui demandais que l'honneur d'être à vous.
Cependant aujourd'hui sanguinaire parjure,
C'est peu de violer l'amitié, la nature,
C'est peu que de vouloir sous un couteau mortel
Me montrer votre coeur fumant sur un autel.
D'un appareil d'hymen couvrant ce sacrifice,
Il veut que ce soit moi qui vous mène au supplice ?
Que ma crédule main conduise le couteau ?
Qu'au lieu de votre époux je sois votre bourreau ?
Et quel était pour vous ce sanglant hyménée,
Si je fusse arrivé plus tard d'une journée ?
Quoi donc à leur fureur livrée en ce moment
Vous iriez à l'autel me chercher vainement,
Et d'un fer imprévu vous tomberiez frappée,
En accusant mon nom qui vous aurait trompée ?
Il faut de ce péril, de cette trahison,
Aux yeux de tous les Grecs lui demander raison.
À l'honneur d'un époux vous-même intéressée,
Madame, vous devez approuver ma pensée.
Il faut que le cruel qui m'a pu mépriser
Apprenne de quel nom il osait abuser.
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ÉRIPHILE
Moi ! vous me soupçonnez de cette perfidie !
Moi, j’aimerais, madame, un vainqueur furieux,
Qui toujours tout sanglant se présente à mes yeux,
Qui, la flamme à la main, et de meurtres avide,
Mit en cendres Lesbos…

IPHIGÉNIE
Oui, vous l’aimez, perfide ;
Et ces mêmes fureurs que vous me dépeignez,
Ces bras que dans le sang vous avez vus baignés,
Ces morts, cette Lesbos, ces cendres, cette flamme,
Sont les traits dont l’amour l’a gravé dans votre âme ;
Et, loin d’en détester le cruel souvenir,
Vous vous plaisez encore à m’en entretenir.
Déjà plus d’une fois, dans vos plaintes forcées,
J’ai dû voir et j’ai vu le fond de vos pensées ;
Mais toujours sur mes yeux ma facile bonté
A remis le bandeau que j’avais écarté.
Vous l’aimez. Que faisais-je ! et quelle erreur fatale
M’a fait entre mes bras recevoir ma rivale !
Crédule, je l’aimais : mon cœur même aujourd’hui
De son parjure amant lui promettait l’appui.
Voilà donc le triomphe où j’étais amenée !
Moi-même à votre char je me suis enchaînée.
Je vous pardonne, hélas ! des vœux intéressés,
Et la perte d’un cœur que vous me ravissez :
Mais que, sans m’avertir du piège qu’on me dresse,
Vous me laissiez chercher jusqu’au fond de la Grèce
L’ingrat qui ne m’attend que pour m’abandonner,
Perfide, cet affront se peut-il pardonner ?

Acte II - Scène 5
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Vidéo de Jean Racine
Rencontre proposée par Yves le Pestipon. Jean Racine, Lettre à La Fontaine, 11novembre 1661, de «De Lyon» à la fin.
On lit, on joue, on voit, on étudie beaucoup les tragédies de Racine. On a raison, mais on oublie parfois qu'il eut une vie, des amis, et qu'il écrivit des lettres. Ce qui nous reste de sa correspondance occupe presque tout un volume de la Pléiade. C'est passionnant, et c'est admirablement écrit. Parmi ces lettres, celle qu'il écrivit d'Uzès, le 11novembre1661, vaut par son ton, son humour, ses anecdotes, et son destinataire, le célèbre fabuliste qui ne l'était pas encore. On y découvre des complicités, presque de «loup» à «loup», une pratique de la langue, des styles, et du voyage, qui nous en apprend beaucoup sur le xviiesiècle français, et fait rêver. Très petite bibliographie Racine, Oeuvres complètes, II, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard. Georges Forestier, Jean Racine, Gallimard, 2006.
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