Citations sur Le Diable au corps (276)
Ce qui chagrine, ce n'est pas de quitter la vie, mais de quitter ce qui lui donne un sens.
Quand elle dormait ainsi, sa tête appuyée contre un de mes bras, je me penchais sur elle pour voir son visage entouré de flammes. C'était jouer avec le feu. Un jour que je m'approchais trop sans pourtant que mon visage touchât le sien, je fus comme l'aiguille qui dépasse d'un millimètre la zone interdite et appartient à l'aimant. Est-ce la faute de l'aimant ou de l'aiguille ? C'est ainsi que je sentis mes lèvres contre les siennes. Elle fermait encore les yeux, mais visiblement comme quelqu'un qui ne dort pas. Je l'embrassai, stupéfait de mon audace, alors qu'en réalité c'était elle qui, lorsque j'approchais de son visage avait attiré ma tête contre sa bouche.
L'amour, qui est l'égoïsme à deux, sacrifie tout à soi, et vit de mensonges.
J'étais ivre de passion. Marthe était à moi ; ce n'est pas moi qui l'avais dit, c'était elle. Je pouvais toucher sa figure, embrasser ses yeux, ses bras, l'habiller, l'abîmer, à ma guise. Dans mon délire, je la mordais aux endroits où sa peau était nue, pour que sa mère la soupçonnât d'avoir un amant. J'aurais voulu pouvoir y marquer mes initiales. Ma sauvagerie d'enfant retrouvait le vieux sens des tatouages.
« Je pleure, parce que je suis trop vieille pour toi ! »
Ce mot d'amour était sublime d'enfantillage. Et, quelles que soient les passions que j'éprouve dans la suite, jamais ne sera plus possible l'émotion adorable de voir une fille de dix-neuf ans pleurer parce qu'elle se trouve trop vieille.
Je me demandais, je me demande encore si l'amour vous donne le droit d'arracher une femme à une destinée, peut-être médiocre, mais pleine de quiétude.
Je revins à la maison à neuf heures et demie du soir. Mes parents m'interrogèrent sur ma promenade. Je leur décrivis avec enthousiasme la forêt de Sénart et ses fougères deux fois hautes comme moi. Je parlai aussi de Brunoy, charmant village où nous avions déjeuné. Tout à coup, ma mère, moqueuse, m'interrompant :
— À propos, René est venu cet après-midi à quatre heures, très étonné en apprenant qu'il faisait une grande promenade avec toi.
J'étais rouge de dépit. Cette aventure, et bien d'autres, m'apprirent que, malgré certaines dispositions, je ne suis pas fait pour le mensonge.
Aussi incapable de mourir que de vivre, je comptais sur un assassin charitable. Je regrettais qu'on ne pût mourir d'ennui, ni de peine. Peu à peu, ma tête se vidait, avec un bruit de baignoire. Une dernière succion, plus longue, la tête est vide.
L’égoïsme des enfants est-il différent du nôtre ? L’été, à la campagne, nous maudissons la pluie qui tombe, et les cultivateurs la réclament.
"Rien n’absorbe plus que l’amour. On n’est pas paresseux, parce que, étant amoureux, on paresse. L’amour sent confusément que son seul dérivatif réel est le travail. Aussi le considère-t-il comme un rival. Et il n’en supporte aucun. Mais l’amour est paresse bienfaisante, comme la molle pluie qui féconde. Si la jeunesse est niaise, c’est faute d’avoir été paresseuse. Ce qui infirme nos systèmes d’éducation, c’est qu’ils s’adressent aux médiocres, à cause du nombre. Pour un esprit en marche, la paresse n’existe pas. Je n’ai jamais plus appris que dans ces longues journées qui, pour un témoin, eussent semblé vides, et où j’observais mon coeur novice comme un parvenu observe ses gestes à table."