AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de enjie77


« du temps que l'Océan n'était qu'un désert d'eau bouillonnante, on trouvait une île que l'on appelle aujourd'hui Noirmoutier, celle ou d'Elbée fut fusillé par les bleus et qu'habitaient en ce temps-là des sorciers. L'enchanteur Merlin y naquit d'une druidesse et d'un démon. A dix ans, l'enchanteur Merlin épousa une sorcière d'une grande beauté qui, dans ses cornues, cherchait à transformer le sable de la mer en lingots d'or. Elle fit tant chauffer ses cornues qu'elles explosèrent dans un grand bruit de tonnerre et que la belle sorcière disparut. Pour se désennuyer du veuvage, l'enchanteur Merlin se mit à composer avec de la glaise, un os de baleine et une fiole de sang, les géants Grandgousier et Gargamelle. C'est Grandgousier et Gargamelle qui, plus tard, engendrèrent Gargantua. Gargantua était un géant si grand que, lorsqu'il s'asseyait sur la cathédrale de Fontenay-le-Comte, et qu'il posait un pied sur celle de Luçon et l'autre sur celle de Niort, il pouvait se pencher sur le marais et boire dans une seule goulée la Sèvre Niortaise, la Vendée et L'Autize. »

Noirmoutier est l'Ile chère à mon coeur, ma madeleine de Proust, réminiscence de ces mois de vacances précieux qui ont marqué mon enfance, mon adolescence, ma jeunesse, ma vie d'adulte. Imprégnée des récits des guerres vendéennes, des faits d'armes de François Athanase Charrette de la Contrie, du général d'Elbée et d'Henri de la Rochejaquelein, même si, adolescente, je n'en ai conservé que le côté romanesque, il était évident que ces « Mouchoirs rouges de Cholet » de Michel Ragon, sur les guerres de Vendée ne pouvaient qu'attirer mon attention.

Michel Ragon que j'ai découvert à la suite d'une critique écrite par @Dandine sur « La mémoire des vaincus » et que je remercie vivement, ici, possède un talent de conteur à l'image d'Henri Vincenot ou Jean Giono. Son parcours est assez exceptionnel. Né dans une famille vendéenne, orphelin de père à huit ans, il quitte l'école à quatorze ans. Passionné par la littérature et l'art, il n'aura de cesse de se cultiver au point de passer un doctorat à l'âge de cinquante ans, de devenir un expert reconnu en art abstrait et architecture.

C'est au décès de sa maman qu'il éprouve la nécessité de se pencher sur ses racines vendéennes. Ses recherches vont l'inspirer et il écrit entre autres, « Les mouchoirs rouges de Cholet ».

J'ai beaucoup aimé ce livre. Michel Ragon porte une grande tendresse à ses personnages, la lecture en est tout imprégnée. Et pourtant, la violence est omniprésente. Elle se laisse deviner après les combats comme elle se fait plus intense dans le quotidien de ces courageux paysans. Pour nous aider à mieux comprendre l'état de la Vendée après le passage des Colonnes Infernales du Général Tureau, l'auteur imagine cette fiction historique qui nous plonge avec réalisme au coeur d'un village dont il ne reste que des ruines, nous permettant ainsi de prendre la mesure de ce que furent ces années terribles de guerre civile. le style de l'auteur, l'affection qu'il porte à ses personnages, le foisonnement sociologique donnent un récit qui n'a rien de comparable avec la noirceur de la Terre de Zola.

Nous sommes en 1796, dans un paysage meurtri, incendié, ravagé par les Colonnes Infernales de Tureau, général républicain chargé d'anéantir les derniers foyers insurrectionnels de la Vendée militaire - l'armée catholique et royaliste - laissant libre cours aux exactions habituelles, pillages, viols, tortures, massacres de masse.

L'accalmie tant attendue s'annonce. L'apaisement incite les survivants à sortir de leur cachette tapie au fond des bois. Ils se regroupent, enterrent leurs morts, se comptent sur les doigts de la main. Habillés de guenilles, affamés, mués par l'instinct de survie, les paysans retrouvent la force, le besoin de reconstruire leur village. Ils réorganisent leur quotidien avec ce qu'ils trouvent, avec ce que la nature peut encore leur offrir afin de survivre. L'écriture si réaliste de l'auteur fait du lecteur le témoin de cette renaissance. Alimentant notre imaginaire de multiples détails du quotidien ou de l'artisanat, de dialogues dérivés du patois, de nom de villes ou de villages, Michel Ragon nous suggère la vision de ce paysage assassiné et du courage qu'il faut pour tout recommencer, pour exister, pour perpétrer dans un monde rural exsangue.

Nous faisons la connaissance de Dochâgne, de Chante-en-Hiver, du curé-Noé, de Tête-de-Loup, de Louise et c'est peu à peu la résurrection de tout un village à laquelle nous assistons jusqu'à La Restauration.

Le récit est parfois très émouvant, parfois désespérant et parfois très drôle. A force de tous les accompagner, de pénétrer leur intimité, de les imaginer évoluer, de ressentir leur peine, de se les représenter à la fois ignorant, fruste mais aussi solidaire, pragmatique, parfois en rivalité, on redevient soi-même « Jacquou le Croquant », même si ce n'est pas la même région.

C'est ainsi que l'on prend la mesure de la vraie misère, des conséquences de ces guerres de Vendée, l'indigence qui parle de famine, des mauvaises récoltes, l'eau des puits impropre, l'incurie quant aux soins des enfants qui en meurent, de l'ignorance dans laquelle est maintenue le paysan, soumis à l'Eglise, sujet de toutes les superstitions, ce paysan qui préfèrera crier famine plutôt que de manger une pomme de terre qui serait le légume du diable.

Mais j'ai aimé retrouver la valeur des choses, revenir à l'essentiel comme celle du feu ou celle du pain. Il y a ainsi de très beaux passages messagers d'une grande portée symbolique. Découvrir les us et coutumes, leurs ogres et leurs fradets, leur façon de vivre leurs mythes fut pour moi comme un retour aux sources, un retour à l'authentique si ce n'est l'absence de la médecine dans ces territoires ruraux qui s'est longtemps heurtée aux croyances et superstitions.

Si l'essentiel du roman de Michel Ragon s'intéresse plutôt aux conséquences de l'après guerre de 1793/1796 sur le quotidien des Vendéens, il pousse son analyse sociologique jusqu'à nous faire sentir à quel point les préoccupations de ces combattants du quotidien étaient éloignées des enjeux de la politique. Pour eux, les comportements des pouvoirs successifs ainsi que les compromissions leur paraissaient totalement abscons et ne pouvaient que les décevoir d'autant que les persécutions n'ont pas cessées pour autant, ce qui fera dire à Dochâgne :

« J'ai vu tant de misère que j'ai perdu mes chansons »

Commenter  J’apprécie          8921



Ont apprécié cette critique (83)voir plus




{* *}