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Critiques filtrées sur 2 étoiles  
Béton Armé a reçu la Mention Spéciale du jury du Prix Wepler-Fondation La Poste, le 11 novembre 2013.

Béton Armé ou l'impossible tâche de noter un texte extraordinairement beau, mais dans lequel je n'ai pas reconnu Shanghaï : où se situe la limite entre fantasmes et désinformation ...
Après la découverte de ses livres ("Mouvement par la fin - un portrait de la douleur", ou "Demeure le corps - chant de l'exécration") beaucoup de lecteurs savent déjà que Philippe Rahmy est un écrivain talentueux.
Pour "entrer" dans le texte de Béton Armé, il faudrait à mon avis faire table rase de tout ce que l'écrivain a livré de lui-même dans ses précédents écrits, et découvrir ce nouveau livre en oubliant le sévère handicap dont il souffre en permanence. Car on plonge en effet brutalement dès les premières lignes dans le vif du sujet et à aucun moment, volontairement, Rahmy ne nous préviendra que c'est un homme fragilisé qui part ainsi à la découverte d'une mégapole effrayante dans sa fureur, dans ses vacarmes "de machine de guerre".La maladie, on la découvre lentement, au fil de ses souvenirs, de son enfance racontée par petits retours en arrière. Mais jamais il n'en est question lorsqu'il nous raconte Shanghaï : d'ores et déjà, ce "dieu" comme il la nomme, a fait de lui un homme debout, prêt à se battre pour, au terme de son apparente errance, aboutir à une délivrance à laquelle, on le comprendra plus tard, il aspirait dès son arrivée à Shanghaï.
Mon avis est qu'il serait dommage d'ouvrir le livre et le lire au hasard des pages, sans respecter le fil d'Ariane que Rahmy nous tend dès la première ligne, même si on ne le saisit pas immédiatement : car le texte, sublime dans sa limpidité, ne se laisse pas si facilement appréhender ! Certes cela reste possible puisqu'il est construit en paragraphes courts apparemment indépendants les uns des autres. Mais se livrer à une telle lecture séquencée serait amputer le livre de son rythme inexorable, lui ôter son "âme", ce mouvement lent mais sûr qui le porte en avant, page après page, jusqu'à l'épilogue : le but ultime vers lequel finalement on se sentait happé sans le réaliser, depuis la première page.
"Béton Armé" n'est donc pas pour moi "une succession de fragments organisés en 42 chapitres", comme on peut le lire dans l'Humanité. Je l'ai ressenti au contraire comme un lent cheminement harmonieusement rythmé par la découverte de Shanghaï, un affrontement permanent qui, devenant peu à peu quête initiatrice, labyrinthe, poussant inexorablement Rahmy et son lecteur vers ce que j'appellerai le "Saint Graal" devant lequel Rahmy (redevenant ainsi européen, puisque rendu au terme de sa quête) s'agenouille : la Belle Pudong. L'Oeil du Cyclone, l'Ultime But, la mort sacrificielle, à genoux .
"Pudong domine. Quelque soit la volonté qu'on oppose à cette beauté froide, on s'agenouille. Quel que soit le régime capable d'un tel prodige, on l'aime. Et puis on se sent mourir de toutes parts". (page 182).

Voir Pudong et mourir. Mourir pour mieux renaître de ses cendres, et tel le Phoenix revenir à la vie, dépouillé de ses anciennes souffrances, des morts que l'on porte toujours en soi et qui nous entravent dans l'amour qu'ils nous vouent encore, eux aussi. "Ami, frère, je t'ai cherché dans la foule chinoise comme si je marchais dans le royaume des morts". (page 203). Mais à l'inverse d'Orphée, c'est un homme délivré, apaisé, qui rentrera en Europe : l'ami tant aimé et mort tragiquement dans son enfance restera dans les mystérieuses limbes de Shanghaï pour mieux se sublimer, et Rahmy se délivrera de l'anathème "jeté sur le monde indifférent et sur la vie impuissante. Mon voyage prend fin et le tien commence, ami, frère, une ascension au milieu des étoiles. Je te rends ta liberté. Je rentre chez moi parmi les vivants". (page 203).
"Jamais je n'ai vu se dessiner, comme ici, l'avenir du monde. Shanghaï est le chemin le plus court entre hier et demain". (Page 148).
Voilà : le chemin esquissé par petites touches, tel un tableau surgissant des pensées de Rahmy, se termine ici sur l'autel dédié à Pudong, et se refermera sur l'hier, pour mieux lui ouvrir demain. Shanghaï acceptera l'offrande, celle de l'ami, du frère que Rahmy aura enfin le courage d'arracher à lui-même avec cette violence qui le lie à son âme soeur, celle de Shanghaï : "ce visage aux cheveux noirs ne m'a pas quitté. Est-il celui d'un ange, d'un démon, est-il l'image de ma muse ou de ma folie ? Je le dépose à tes pieds. Je le déchire aux quatre coins de Shanghaï. Je le répands aux carrefours comme on disperse des cendres, comme j'ai produit et reproduit, la nuit de ta mort, l'anathème que j'ai jeté". (Page 203).
Le livre refermé, revient en un lointain écho une autre quête, un autre labyrinthe, une autre ville : une ville Janus, qui, telle Shanghaï, aspira dans le passé un autre héros : c'est Venise, solaire, éclaboussée de lumière avec ses murs peints à la chaux pour rejeter loin la mort qui rôde ; noire et délétère dans ses mystères, venimeuse et morbide, tortueuse, retenant un homme qui par amour aussi, lui, prendra la décision contraire : celle de rester quand il faudrait partir et renouer avec la vie : oui, Béton Armé me ramène à Venise, et cet homme qui voudrait fuir mais qui finalement restera pris dans les filets de la Ville, c'est Aschenbach.
Mais là où Rahmy triomphera en s'arrachant au souvenir de l'ami perdu , Aschenbach lui, se délitera dans la morbidité de Venise, et en quête d'un amour impossible, y perdra son âme et sa vie. Voir Venise et mourir ; voir Shanghaï et revivre.
Ce livre confirme l'immense talent de Philippe Rahmy.
Mais malgré ma vive admiration je resterai marquée par ce que l'on peut prendre pour des fantasmes, mais qui sont pour moi et pour des étudiants chinois en langue française à qui j'ai fait lire le livre, comme des clichés sur la Chine et ses habitants.
Là où finit le fantasme commence la désinformation.
De par mon travail étant appelée souvent à vivre à Shanghaï, je n'ai absolument pas reconnu la mégapole. Shanghaï est en fait la plus européenne des villes chinoises, la plus occidentale. L'âme chinoise est vive, toujours prompte à s'intéresser aux scènes de rue. En chine, à Shanghaï comme ailleurs, en quelques minutes une centaine de personnes peuvent se rassembler dans une rue, sur une place, pour n'importe quel petit fait divers, et discuteront vivement "l'événement" entre eux. Rien ne les laisse indifférents. Et surtout pas un accident, une chute, une dispute, une rixe ...Ils sont la vie-même. Et pas du tout ces hommes et ces femmes fatalement indifférents et repliés en eux-mêmes que nous décrit le livre.
Personne en Chine ne passe devant un malade sans lui porter secours.
L'auteur nous parle de l'indifférence des Chinois face à une personne accidentée, et nous explique qu'en Chine, devant payer les frais d'hôpitaux si l'on vient en aide à un blessé, personne ne bronche :
Je connais, comme tout Shanghaï d'ailleurs, ce cas juridique d'un homme ayant amené à l'hôpital une vieille dame trouvée inconsciente sur la chaussée, suite à un accident dont il n'avait même pas été témoin : il fut contraint de régler les frais de santé. Il s'agit d'un cas unique bien connu, et qui a divisé Shanghaï en 2011. L'affaire fit grand bruit à l'époque : une vieille dame chinoise victime d'un accident de la circulation fut trouvée inconsciente par un automobiliste, qui bien sûr par civisme l'emporta à l'hôpital où elle fut soignée. Ne pouvant régler les frais des soins, la vieille dame assigna en justice son sauveur, l'accusant de l'avoir lui-même renversée. Faute de preuves tangibles (la femme était inconsciente et ne pouvait reconnaître le chauffard), la justice chinoise fit son travail en condamnant l'automobiliste à payer une partie de la facture, mais pas sa totalité puisque aucune preuve ne pouvait être apportée ... rien ne prouvant le contraire non plus. Ce cas est encore dans toutes les mémoires là-bas. En Chine, un homme amenant à l'hôpital une personne blessée n'a pas à payer la facture. J'ai vu devant le campus de Jiao Tong un cycliste chuter sur la route. En quelques secondes un attroupement s'était formé, cinq minutes plus tard l'ambulance arrivait, appelée par la foule, et embarquait prestement le cycliste qui n'en demandait pas tant, ayant semble-t-il simplement mal à la jambe.
On peut par ailleurs et sans problème en quelques clics, comme en France, se connecter aux sites littéraires, et Babelio est à la portée de tous aussi facilement qu'en France. Les journaux également, le Monde comme Le Figaro. Les réseaux sociaux sont bloqués, sauf les réseaux sociaux type Linkedln. Cependant il suffit d'un VPN à 3 ou 5 euros par mois pour facilement outrepasser ces blocages.
Beaucoup de fausses informations, participant aux clichés qui circulent, au moment où les Chinois s'ouvrent enfin à l'étranger. Les étudiants FLE chinois qui ont lu le texte ont été émus par sa beauté, mais blessés, choqués par l'image qu'il renvoyait de leur ville, de leur âme. "Laissons faire le temps, un jour, on nous comprendra", m'a confié sagement un des étudiants...
"Béton Armé" est un livre que l'on n'oublie pas. Mais je regrette de ne pas y avoir retrouvé le peuple shanghaïen ...
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