Citations sur La fille à la porte (16)
Nous avions laissé la voiture à l'entrée de la cathédrale en tirant la valise derrière nous. Si nos oreilles étaient faites pour entendre le piétinement d'un faon dans les bois, les roulettes de la valise étaient le pas ferraillant d'un nouveau prédateur. Le faon n'avait qu'à s'enfuir, de son pas léger dans le bois, nous le poursuivions avec notre bête féroce.
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Je ne sais pas pourquoi l’idée d’aimer deux personnes à la fois, plutôt qu’une seule, me fascinait. Je ne pensais pas être amoureux de la fille avant de tomber amoureux de ma compagne, et je suis tombé amoureux de ma compagne qu’après avoir pris conscience que j’étais peut-être amoureux de la fille.
Mentionner la fable du Renard et des Raisins peut paraître de mauvais goût, mais je suis sûr que mon collègue crevait de jalousie quand il a appris que je baisais la fille. Et j’ai mes raisons de le croire. Il s’était démené comme un fou pour lui organiser une épouvantable exposition dans la galerie d’un ami, forçant tous ses collègues à assister au vernissage, comme à une soirée d’entreprise. Ses œuvres emplissaient à peine la moitié de la pièce et, pour le reste, une flopée de verres de vin et d’étudiantes sur leur trente-et-un, selon le concept artistique du trente-et-un.
Je ne suis pas une personne difficile, je ne suis pas snob, je me lie avec n’importe qui, je m’amuse, je m’ennuie, je fais tout ce qu’il y a à faire, mais, autant brandir un cliché : l’amitié, c’est autre chose. Mon meilleur ami est parti deux mois avant moi, avec ma petite amie. Enfin, techniquement, au moment où ils sont partis, elle n’était plus ma petite amie, mais une semaine avant, elle l’était encore. Une semaine avant, nous étions chez moi, elle avait la tête sur mes genoux et l’air terrifié : « Je me sens seule ici. Je n’ai personne. » Et moi de lui répondre : « Comment ça, tu n’as personne ? Je suis là, moi. » Je me demande pourquoi je me retrouve toujours à jouer ce rôle. C’était pareil avec ma compagne.
En général, je n’expose pas de photos, mais celle-ci est particulièrement belle. Enfin, c’est ce que l’on croit quand on est à son avantage sur une photo.
Mon compagnon et moi n’avons jamais eu de problème à parler de sexe. Cela nous excitait même au début. De nous deux, j’étais la plus loquace, même si j’avais toujours tendance à travestir ma voix – tantôt aiguë comme celle d’une adolescente de douze ans, tantôt rauque. On ne se disait rien d’extraordinaire : je pouvais lui raconter d’anciennes aventures plus ou moins véridiques, histoire de jouer la salope, ou au contraire faire comme si c’était la première fois, ou encore lui demander de me maintenir les bras, de me bander les yeux ou de jouir sur mon visage, des choses de ce style. Il m’est aussi arrivé de prétendre être l’une de ses élèves.
Une fois qu’on a commencé quelque chose de mal, autant aller jusqu’au bout. Cette soudaine prise de responsabilités n’est qu’une mascarade, et il est normal que j’en paie les conséquences. Mais je pensais les avoir payées : la fille me manquait tellement. Et en effet, je gardais encore ses sous-vêtements. Elle avait abandonné mon cours, mais je la croisais à l’Académie. Elle détournait la tête, ne me saluait pas. Ça lui passera, pensais-je. Et pendant ce temps-là, je rêvais toujours d’elle.
Avoir une histoire avec une élève n’est jamais une bonne idée. Il y a bien une raison pour laquelle c’est toujours déconseillé. À ma décharge, je peux dire que j’étais un jeune professeur ou, pour faire dans le pathos, un professeur novice. Qui plus est, à Miden, en terre étrangère, j’avais besoin de chaleur. À cela, je peux ajouter d’autres circonstances atténuantes plus convaincantes. J’enseignais la philosophie dans une Académie d’art. Mes étudiantes étaient très intéressées par la matière.
On n’arrive jamais nulle part, on peut donc continuer ainsi pendant un moment et moi – par exemple –, j’ai le temps nécessaire pour remettre de l’eau sur le feu et faire davantage de thé. Ce n’était pas possible avec la fille. Premièrement, parce qu’elle ne parlait pas de refoulement ; et deuxièmement, parce qu’elle n’avait pas encore bu la moindre gorgée.
J’étais l’Agresseur. Celui qui agresse, qui perpétue la Violence. La fille en était la victime. Elle était la Victime. La Violence est ce genre de balle qui lui rebondit dessus sans qu’elle cherche à esquiver, pour ensuite, deux ans plus tard, s’apercevoir qu’elle est couverte de bleus. Et avant, où étaient les bleus ? Avant, elle ne savait même pas qu’elle pouvait esquiver.