Verger
Peut-être que si j'ai osé t'écrire,
Langue prêtée, c'était pour employer
Ce nom rustique dont l'unique empire
Me tourmentait depuis toujours: Verger.
Pauvre poéte qui doit élire
Pour dire tout ce que ce nom comprend,
Un à peu près trop vague qui chavire,
Ou pire : la clôture qui défend.
Verger: ô privilége d'une lyre
De pouvoir te nommer simplement.,
Nom sans pareil qui les abeilles attire,
Nom qui respire et attend.....
Nom clair qui cache le printemps antique,
Tout aussi plein que transparent,
Et qui dans ses syllabes symétriques
Redouble tout et devient abondant.
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Les Élégies, la première.
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Éteins-moi les yeux : je saurai te voir,
bouche-moi les oreilles : je saurai t'entendre,
et même sans pieds saurai venir à toi,
et même sans bouche t'invoquer encore.
Brise-moi les bras, je te saisirai
avec mon cœur comme avec une main,
obstrue ce cœur, mon cerveau battra,
embrase ce cerveau,
mon sang te portera.
LE LIVRE D'HEURES
Deuxième livre LE LIVRE DU PÈLERINAGE 1901
( Extrait des notes : ce n'est pas une prière à Dieu, mais bien une déclaration d'amour à Lou Andreas-Salomé. Longtemps, Le Livre d'heures est resté un secret entre Lou et Rainer )
Je continue de marcher, solitaire. Au-dessus de moi,
je sens le printemps frémir dans les branches.
Un jour, je viendrai, avec des sandales sans poussière,
attendre aux grilles du jardin.
Et tu viendras quand j'aurai besoin de toi,
et tu prendras mon hésitation pour un signe,
et silencieusement tu me tendras les roses épanouies de l'été
des tout derniers buissons.
POUR TE FÊTER - Écrit pour Lou Andreas-Salomé
Il te faut ne pas comprendre la vie,
elle deviendra une fête alors.
Et laisse venir chaque jour,
comme un enfant, en marchant,
de chaque vent,
se fait offrir maintes fleurs.
Les rassembler, les conserver
ne lui effleure pas l'esprit.
Il les détache doucement des cheveux
dont elles étaient si volontiers prisonnières,
et tend les mains vers les chères jeunes années,
en en espérant de nouvelles.
POUR ME FÊTER
Un même espace unit tous les êtres :
espace intérieur au monde.
En silence l’oiseau vole au travers de nous.
O moi, qui veut grandir,
je regarde au-dehors, et en moi grandit l’arbre.
Fragments
NOUVEAUX POÈMES, [II]
À mon grand ami Auguste Rodin
PAYSAGE
Comme à la fin, en un éclair
construit d'un amas de pentes, de maisons, de morceaux
de vieux ciels, de ponts brisés,
et de très loin, là-bas, comme par le destin,
frappé par le soleil couchant,
accusé, éventré, ouvert —
le village tragique succomberait :
si ne tombait soudain dans la blessure,
s'y répandant, de l'heure immédiate,
cette goutte de bleu si fraîche
qui mélange déjà la nuit au soir,
si bien qu'aux lointains allumé,
doucement, comme délivré, le feu s'éteint.
Tranquilles sont les portes et les arcs,
des nuages transparents flottent
au-dessus des rangées de maisons blêmes
déjà embues d'obscurité ;
mais tout à coup de la lune un rayon
s'est infiltré, éclatant, comme si
quelque part un archange avait tiré son épée.
p.451-452
"L"heure grave"
Poème de Rainer Maria Rilke, chanté par Colette Magny