Chil Rajchman a demandé à sa famille de publier son témoignage après sa mort. Bien que j'en ai lu plusieurs du même type, je me rends compte que même s'ils racontent en substance la même chose, chaque témoignage est différent et nous amène à considérer cette période sous un angle différent. Et celui-ci a provoqué une intense réflexion (pour moi du moins) tout au long de cette lecture, et bien après aussi.
Chil - un diminutif d'Ezequiel en yiddish, même si a priori on ne l'aurait pas deviné - est un jeune homme approchant la trentaine lorsqu'il est déporté au camp de Treblinka. Il n'y reste "qu' " un an car il fait partie de ceux qui ont pu s'échapper pendant la révolte. On se pas vraiment ce qu'il faisait avant la guerre, mais clairement son récit n'a rien à voir ni avec celui de
Primo Levi, ni celui d'Eli
Wiesel ni même
Imre Kertesz. Entre autre parce que
Chil Rajchman est parfois plus "cru" dans ses descriptions.
Ici, c'est bien le témoignage d'un adulte, mais pas celui d'un intellectuel. Lui est très débrouillard, ne cherche pas à analyser les évènements, il constate simplement et se détache tant bien que mal de ses émotions , c'est au lecteur que revient la charge d'analyser. Les "postes" qu'il a eu durant son internement à Treblinka l'ont toujours mis au plus près de la mort de ses semblables, son récit contient donc beaucoup d'explications sur "les bonnes façons de tuer et de dépouiller made in Nazis". C'est en partie ce qui fait qu'il m'a été impossible de lire ce livre d'une traite - alors qu'il n'est pas bien épais.
L'auteur parle très peu des rapports entre les détenus, à l'inverse, il s'attarde beaucoup sur la description des comportements sadiques/déviants/pervers des SS allemands et ukrainiens. Avec ses descriptions, on les voit moins comme des monstres que comme des lâches, des pauvres types que le système a valorisé et qui en viennent à se sentir mieux à Treblinka que chez eux car ils ne font pas face à la guerre mais sont constamment en position de toute puissance avec pillages autorisés à la clé (conversations rapportées par
Chil Rajchman). On voit bien aussi dans ce témoignage comment le nazisme a constitué une mort de la pensée chez les individus, en organisant par exemple une sorte de culte du secret malsain. Que ce soit en empêchant les détenus de communiquer entre eux, en empêchant toute communication avec l'extérieur. Ou en faisant subir des choses tellement impensables (pour des gens équilibrés) qu'elles sont littéralement IN-croyables, y compris pour ceux qui les subissent. Ces traitements incroyables justement qui les empêchent de penser à eux. On le voit bien avec
Rajchman qui fait ressortir son instinct de survie quasi animal durant son année de détention et devient un animal traqué lors de sa fuite. Ce n'est qu'une fois "sorti d'affaires" que vient le temps de penser et la dépression.
Finalement, je me suis demandée pourquoi nous lisons ces témoignages. Pas par masochisme ou curiosité malsaine. Mais peut-être parce que ce type de récit (qui n'est pas de la fiction) nous dit ce que c'est d'être humain quand les conditions ne le sont pas. Les témoignages des rescapés sont en eux-mêmes des actes de résistance. Que ce soit en nommant leurs compagnons d'infortune et en parlant de leurs vie "avant", ou en décrivant la bravoure dont certains ont fait preuve dans ce qu'ils savaient être les dernières minutes de leur vie. le simple fait que face au désespoir ambiant des hommes faméliques, apeurés et tabassés plus que de raison on trouvé en eux les ressources nécessaires pour planifier une révolte (et la faire) plutôt que de se pendre, rien que ça, c'est un hymne au courage. Et, il me semble que cela montre un autre visage des déportés : des visages de personnes qui ne sont pas des victimes.
Après la lecture des mots de la fin, qui sont absolument déchirants, on se dit que cela a dû également demander beaucoup de courage et un instinct de survie énorme aux rescapés pour réussir à fonder une famille après une telle expérience.